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« Quand on est mal intronisé, il faut s’assurer de bien partir », conseille Ricardo Seitenfus à Michel Martelly

vendredi 22 janvier 2016

Ancien représentant spécial du secrétaire général de l’OEA en Haïti en 2010 et dorénavant pourfendeur du trident impérial (USA, Canada, France), Ricardo Seitenfus a livré ses impressions sur la nébuleuse électorale de Port-au-Prince, à seulement 3 jours d’une élection sans enthousiasme. Celui qui se livre dans un interminable réquisitoire contre la présence de l’international en Haïti croit que la crise haïtienne nécessite une solution haïtienne, et appelle à un pacte de libertés et de garanties démocratiques. Il était l’invité de l’émission Panel Magik (sur Magik9) ce jeudi.

A Port-au-Prince, à quelques jours du 24 janvier, les grands pontes (nationaux et internationaux) se rencontrent, discutent et font le lobbying, aux fins de désamorcer une torpille en gestation et d’éviter au pays de sombrer dans le précipice. L’exécutif et le CEP continuent de s’accrocher à leur scrutin à un seul candidat alors que l’opposition annonce la couleur et entend jouer au trouble-fête. Témoin oculaire et acteur important lors de la crise électorale de 2010, le professeur Ricardo Seitenfus a tiré la sonnette d’alarme ce jeudi, affirmant qu’on est en train de danser dangereusement sur un volcan. « C’est une crise politique qui doit être traitée de manière politique. Il y aura un pourrissement de la situation. On n’entre pas par infraction au palais national. Les candidats doivent le savoir. A commencer par le candidat [Jovenel Moïse] s’il se présente tout seul le 24 janvier. Les conséquences prévues par l’histoire haïtienne sont terribles », assimilant le comportement de la communauté internationale en Haïti à un jeu à somme nulle. « Je ne sais pas si cela répond aux intérêts de la communauté internationale. C’est-à-dire faire en sorte que cette crise soit le renouvellement de celle de 2000-2004. C’est une erreur monumentale. Ce jeu ne va pas résoudre la crise », augure-t-il, ajoutant qu’organiser des élections le 24 janvier avec un seul candidat c’est ouvrir la boîte de Pandore. Au président Michel Martelly, Ricardo Seitenfus n’a qu’un conseil. Celui de s’assurer de bien laisser le pouvoir parce que mal intronisé. « Le président Martelly, étant donné son parcours artistique, a eu une grande chance dans la vie. Celle de servir son pays au plus haut niveau. On a des doutes sur la façon dont il a été intronisé. Je crois qu’il devrait avoir un seul souci. Il doit bien partir. Il doit faire très attention à ce que doit être sa place dans l’histoire, dans cette transition politique. Il doit tout faire pour que cette transition politique réussisse. Et la pire des manières de le faire, c’est imaginer que la démocratie se fait avec un seul candidat », suggère-t-il. Le professeur d’université explique que la démocratie, c’est d’abord l’alternance du pouvoir, mais c’est également la compétition. « Ce n’est pas un jeu, ni un spectacle », fait-il savoir. Selon ce professeur d’université, ayant produit plusieurs travaux sur Haïti, cette crise de 2015 n’est pas la même que celle qu’a connue le pays en 2010. « A un moment de la durée, Préval et Inite ont accepté avoir perdu et décidé de rentrer à la maison. Aujourd’hui, l’opposition est dans la rue et elle va y rester. On aura des mois et même des semestres d’instabilité. Donc ce n’est pas dans l’intérêt de la communauté internationale, ni d’Hillary Clinton d’aller dans ce sens », a-t-il dit, comme un avertissement aux pays amis d’Haïti. L’ancien représentant de l’OEA en Haïti déplore que les grands manitous « soumettent le calendrier électoral haïtien à celui des Etats-Unis ». « On veut vite élire un président en Haïti pour que cela ne fasse pas de vague, ce, afin que la campagne d’Hillary Clinton se déroule sur tapis rouge », estime-t-il, se rappelant le fameux communiqué de presse de l’ambassade américaine en 2010, auquel on colle la vertu d’avoir favorisé l’accession au pouvoir du chanteur Michel Martelly. « Cette fois-ci, on ne le fait pas. Mais ils ont une position tout à fait claire et un souci énorme. Puisque madame Clinton était bien impliquée dans les décisions de 2010-2011, si on a mal commencé, on doit bien finir. C’est-à-dire, le 7 février le président Michel Martelly doit partir, et on doit avoir un nouveau président. Quitte à avoir une crise interminable dans le pays », explique-t-il. Tenant compte de la position des différents acteurs haïtiens, et analysant les tons et positionnements des acteurs de la communauté internationale, Ricardo Seitenfus pense que cette dernière subit un tournant en Haïti. « Pour la communauté internationale, cette crise a un avant et aura un après. Ce qui se fait en Haïti, qu’il s’agisse des acteurs politiques, des acteurs sociaux, des acteurs économiques ou de la diaspora, est un acte d’une importance extraordinaire. C’est un acte de récupération de la souveraineté nationale. Les affaires haïtiennes appartiennent aux Haïtiens. C’est très important. La communauté internationale a mal joué et est en train de revoir sa position », analyse-t-il, estimant que les acteurs de la CI perdent un peu de repère. « Le diktat ne se combine pas avec la démocratie. Si j’ai un conseil à donner à la communauté internationale c’est d’écouter les acteurs haïtiens. Sans une solution haïtienne à la crise haïtienne, il n’y a pas de salut ». Analysant l’échiquier politique haïtien, Ricardo Seitenfus y voit des acteurs qui ne vivent que par la crise et des élections qui servent de préférence à mettre encore plus de l’huile sur le feu. L’ancien diplomate propose un pacte de libertés et de garanties démocratiques, essentiel à la résolution de la crise haïtienne. « On ne peut pas faire l’économie de ce pacte. Sans lui, la crise va durer. Le point essentiel serait d’avoir un système électoral crédible. La clef du combat politique c’est la question électorale. Sans résoudre la question électorale, pour qu’elle soit au-dessus des parties, indépendante de l’exécutif et permanente, on n’a pas de solutions », a-t-il expliqué, enjoignant les étrangers de laisser aux Haïtiens toute la latitude de résoudre leurs problèmes, et aux acteurs celle de réaliser qu’il n’y a qu’un seul chemin pour arriver au pouvoir. « On n’entre pas par la petite porte au palais national », a-t-il fait remarquer.
Jean Daniel Sénat
jdsenat@lenouvelliste.com


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