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Bloc-Notes

Retour de voyage

mercredi 27 janvier 2016

Une tournée de promotion en France à l’occasion de la sortie de mon dernier roman m’a permis de constater combien, malgré la multiplication des moyens de communication, les informations ne circulent pas de peuple à peuple, de pays à pays. La réalité haïtienne ne fait pas la une, et il y a encore des gens qui confondent Haïti et Tahiti, et d’autres qui pensent qu’Haïti est un territoire français. On ne peut leur en vouloir. Les médias ne s’intéressent qu’au pire qui arrive dans le monde. Il n’y a en soi rien de mauvais de parler des tueries et des catastrophes naturelles, mais nul n’y perdrait si l’on se connaissait un peu mieux, entre peuples. J’ai pu aussi constater, mais cela je le savais un peu déjà, la difficulté qu’on a d’être simplement un écrivain quand on est d’un pays mal connu. Écrire est une chose, parler en est une autre. On dialogue avec soi-même et de grandes parts d’inconnu en nous lorsque l’on écrit, même si l’on peut (d’autres iraient jusqu’à dire qu’on doit ; mais c’est un point de vue excessif) choisir d’écrire les yeux braqués sur la réalité sociale. On pourrait dire que l’écrivain n’a de compétence que sur son œuvre. Mais l’écrivain d’un pays comme Haïti est interpellé en tant que citoyen et se retrouve, malgré lui, obligé de parler de choses qui ne concernent pas directement son modeste travail. Peut-on choisir de se taire quand on entend dire que son pays est frappé d’une malédiction, que l’indépendance est un tort, que les ONG nous sauvent, que la colonisation avait quand même du mérite puisque « vous écrivez si bien en français », que « votre pays est un beau pays, dommage que vous soyez si compliqués », que ci et ça qui témoignent d’une incroyable somme de méconnaissance et d’incompréhension ? Peut-on répondre à cela que je ne parlerai que de mon Kannjawou, du bonheur et des peines que j’ai eus à l’écrire ? Bien sûr que cette responsabilité citoyenne, qu’elle nous incombe ou que nous la choisissions, est porteuse de risques. Car me voilà obligé d’admettre qu’il y a dans la vie et dans la circulation des idées, des formes et des sens, plus importants ou plus immédiats que ce que j’écris. Et l’on peut s’égarer ou se faire piéger. S’entendre dire des choses qu’on n’a pas dites. Voir, peiné, ses propos déformés ou déviés. Et l’on s’en ramasse plein sur les réseaux sociaux… C’est un grand risque, pourtant secondaire à l’urgence citoyenne de témoigner. Peut-être faut-il se tacher pour être vraiment en vie ? Je n’ai pas de réponse autre que personnelle à la question. Mais elle me hante. Peut-on, du lieu de l’art, réclamer une distance tranquillisante face aux urgences du réel qui font qu’on peut être amené à parler autrement que dans son « œuvre » ? On le peut sans doute à l’intérieur de l’œuvre. Mais quand je prends la parole, ce n’est plus un roman que j’écris. Pour ma part, je persiste à croire que les voix des artistes, des écrivains, des intellectuels peuvent aussi servir à informer, défendre, dénoncer. Ma conviction est que les temps actuels le réclament de nous.
Antoine Lyonel Trouillot
zomangay@hotmail.com


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