MosaikHub Magazine

Le président et le carnaval

mardi 2 février 2016

Chaque 12 janvier, le président de la République d’Haïti rate le coche. Il ne peut trouver ni les mots ni les gestes pour rejoindre le sentiment qui traverse tous ceux qui ont eu peur, déploré des morts, assisté aux dégradations de la capitale et d’autres villes du pays. Michel Martelly semble n’avoir pas vécu dans sa chair goudougoudou ni vu de ses yeux le corps d’un proche explosé sous la pression des blocs de béton. Alors Sweet Micky, le chanteur, l’amuseur, qui est en lui, est en mode carnaval chaque fois que janvier sonne. C’était le cas en 2010, c’est encore le cas en 2016. Le mardi 12 janvier 2016, après sa prestation minimale au mémorial de morne Saint-Christophe, là où se trouvent des fosses communes où furent enterrés des dizaines de milliers des nôtres, le président a prononcé au Marriott un discours sur l’éducation, du moins, il devait faire un discours sur l’éducation. Il a pris de précieuses minutes pour parler de lui, de ceux qui le diffament et de la vengeance qu’il s’offrira au prochain carnaval, micro en main, du haut d’un char. En janvier, Martelly, Sweet Micky ou président, ne pense qu’aux effluves du carnaval, même le 12 janvier. C’est dommage, mais c’est comme ça. Le public réuni dans la salle du Marriott a souri et ri de bon cœur aux blagues du président de la République. Il a toujours su comment faire avec le public, Martelly. Il est un bon animateur. Ses pareils présidents, les diplomates, les hommes d’affaires, les bourgeois en goguette, les protestants coincés, les catholiques lubriques ou le dernier des gueux, Martelly emballe tout le monde quand il vous cherche et vous charme. Au Marriott, comme ailleurs, ce fut le cas ce 12 janvier. Dans son adresse, Michel Martelly, le président, a demandé que le chanteur qu’il redeviendra bénéficie de la liberté de la presse, pour pouvoir dire lui aussi, à son tour, ses vérités à ses détracteurs. En fait, il voulait parler de liberté d’expression. Le 21 janvier, le président Michel Martelly, sur les ondes de Télé Métropole, non seulement revint sur le sujet de sa méringue, mais joua un extrait pour les téléspectateurs. Ceux qui en doutèrent encore eurent l’occasion de constater que le train était lancé et le président le leur a appris lui-même, son char de carnaval était déjà en construction. L’émission du 21 devait rester dans le cadre des élections, le président ne pensait qu’au carnaval. Le lendemain, 22 janvier, les élections furent reportées sine die. Il ne lui resta que le carnaval Ce 31 janvier 2016, la méringue présidentielle a été présentée au public et est en diffusion. Le monde entier peut se la procurer sur la plateforme iTunes. La presse est la cible du chanteur-président. Le politicien qui veut bénéficier de la liberté d’expression s’en donne à cœur joie contre des journalistes, icônes de la presse haïtienne. Michel Martelly, Sweet Micky encore plus que le président, comme tout créateur, comme tout artiste, comme tout musicien, a le droit de dire tout ce qu’il veut et d’exprimer ses pensées sous la forme qui lui sied le mieux. La presse ne peut être que sensible à sa demande. La liberté d’expression est une revendication permanente de la presse en Haïti et l’une des rares conquêtes du 7 février 1986. Il n’y a aucun cadeau à faire à Martelly chanteur de le laisser en jouir. Cette jouissance lui revient de droit, comme à nous tous. Martelly pourra donc composer et diffuser ses chansons et sa méringue carnavalesque librement, comme il l’a toujours fait. Chaque média, chaque animateur, chaque parent, chaque auditeur, décidera de lui offrir audience ou l’hospitalité de ses oreilles. Mais le chanteur - qui aime tant le carnaval qu’il en a organisé deux par an pendant sa présidence - avait lui-même dit qu’il avait bénéficié de la « lâcheté » des responsables qui lui avaient permis d’abuser de sa liberté de parole au carnaval avant de devenir président. Martelly avait sorti cette explication quand, président à son tour, il a empêché à d’autres de sortir sur un char au carnaval. Des musiciens composaient librement, mais étaient sanctionnés à cause de leur liberté de ton pendant son règne. On devait l’aimer, l’aduler ou l’ignorer, pas mettre en question ses promesses non tenues ni dire de sottises trop bien tournées. Le 7 février, le président ou le Premier ministre qui sera en fonction, un provisoire ou de transition, va vivre son premier test : va-t-il permettre que l’argent de la République se mette au service de la bêtise ou aura-t-il le courage de dire à Michel Martelly : Ca suffit ! Cessez de salir l’image de ce pays qui vous a déroulé le tapis rouge des honneurs et que vous avec servi au plus haut niveau ? Mais on peut voir aussi la question sous d’autres angles : faut-il porter atteinte à la liberté d’expression pour museler la liberté d’un ancien président d’être bête et méchant gratuitement ? Faut-il éviter à Michel Martelly le qualificatif de président de carnaval ou lui laisser prouver au pays que sa vraie place n’était et n’est encore que sur un char de carnaval ? Ce 1er février, à six jours du 7 février, le pays comme le président devraient avoir pour préoccupation l’avenir. Le président ne pense qu’à son carnaval, à l’opération qui lui permettra de monter sur un char aux frais de la République, pendant que le pays pense aux lendemains incertains qu’il nous lègue.
Frantz Duval
duval@lenouvelliste.com


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