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2016, un carnaval si spécial

lundi 8 février 2016

Alors que les services du premier ministre Evans Paul écrivent un communiqué pour annuler le premier jour gras prévu pour ce dimanche 7 février, Carel Pèdre, porte-parole du comité du carnaval, publie un selfie montrant le président du comité Grégory Saba en réunion avec sept groupes musicaux qui acceptent de participer au défilé des trois jours. Quelques minutes plus tard, le président du comité admet sur Télé Caraïbes que la nouvelle de l’annulation du premier jour leur est parvenue en pleine réunion. Depuis des jours, il paraissait évident que le carnaval 2016 serait très spécial à Port-au-Prince. Après le fiasco des élections de 2015, la lente débâcle du carnaval 2016 est à méditer. Sept groupes musicaux :Boukman Eksperyans, BarikadCrew, Rockfam, Bèl Plezi, Mass Konpa, Kreyòl La et Carimi vont participer au défilé du carnaval 2016. C’est ce qui ressort de la stratégie de communication subliminale du comité du carnaval. Ils le font, en dépit d’un climat sécuritaire détérioré et après le refus des deux ténors du carnaval haïtien de prendre part aux festivités. Les départs ont entraîné de nouvelles arrivées. Deux groupes ont pris la place des sortants. D’autres maintiennent leur participation. Vendredi, lors du passage du comité dans l’émission de grande écoute de Garry Pierre-Paul Charles sur Scoop FM, les six groupes ayant signé un contrat avec le comité étaient : Boukman Eksperyans, BarikadCrew, Rockfam,Kreyòl la,Carimiet Djakout #1, avaient dévoilé trois des membres du comité prenant part à l’émission « Haïti débats ». Ce dimanche, si Djakout se retire, Bèl Plezi et Mass Konpa rentrent dans la liste. L’argent ou la sécurité ? Dans des notes de presses diffusées samedi 6 février, T-Vice et Djakout #1, les champions des dernières éditions du carnaval ont mis en avant leur inquiétude pour la sécurité des participants au carnaval pour dire non aux offres du comité organisateur. "La sécurité est notre priorité... Ce serait pernicieux de ne pas tenir compte du malaise qui s’installe dans notre pays" a écrit le groupe Djakout #1 dans sa note. Quelques moments avant, T-Vice pour expliquer son renoncement au défilé avait écrit : "Le moment n’est, à notre goût, pas propice vu l’incertitude qui règne au sein de notre pays". Dans la même note de presse, le groupe des frères Martino a poursuivi pour dire : "T-Vice, étant un leader responsable et engagé, ne saurait inviter ses partisans au Champs de Mars sans pouvoir garantir leur sécurité physique". Des personnes proches du comité d’organisation du carnaval, argumentent que, plus que tout, c’est l’incapacité et le refus de l’Etat de donner des sommes faramineuses à ces deux groupes qui expliquent les retraits. Depuis l’avènement de Martelly, le comité centralise les ressources financières. Le refus du secteur privé de mettre la main à la poche cette année a tué dans l’œuf les ambitions de certains ténors du carnaval. Reportée ou pas de fête ? Si les appels au report du carnaval se sont multipliés sur les réseaux sociaux, ce dimanche, c’est le premier ministre Evans Paul qui a dû prendre ses responsabilités pour annuler les festivités du premier jour gras. “Le Bureau de Communication de la Primature informe la population en général et tous ceux que la question intéresse en particulier, que les festivités carnavalesques du premier jour gras, soit le dimanche 7 février 2016 sont suspendues à Port-au-Prince, à cause des complications relatives aux événements marquant la fin du mandat présidentiel le même jour”, dit le communiqué des services de presse du premier ministre. Pour le moment, on ne sait pas ce qu’il adviendra des deux autres jours gras. Dans une composition quasi similaire, le comité du carnaval avait piloté l’édition 2015 qui s’était achevé pendant le déroulement du deuxième jour après un meurtrier accident dû a un câble électrique qui traversait le parcours à hauteur des chars. Plus d’une quinzaine de morts et des dizaines de blessés avaient endeuillés le bilan de la fête de 2015. Politique et insécurité prennent en otage le carnaval Cette édition 2016 du carnaval de Port-au-Prince se déroule alors que le pays s’enfonce dans une crise politique sans précédent avec le départ du président Michel Martelly, ce premier jour gras. Aucun successeur connu n’a été désigné pour prendre le pouvoir à son départ. Pendant que le comité essaie de planifier et d’organiser le carnaval, la capitale est secouée par des manifestations, parfois violentes, depuis plusieurs semaines. Dimanche après-midi, jour gras reporté, des manifestants ont tenté d’arriver aux Champ de mars pour démanteler le peu de stands construits. Vendredi, des affrontements entre des paramilitaires armés et des manifestants se sont soldés par la mort d’un homme en tenu vert-olive, lapidé par la foule. Le même jour, la ministre du Tourisme et des Industries créatives, Stéphanie Villedrouin, a été prise à partie par des protestataires qui ont aussi empêché au président Michel Martelly de se présenter pour inaugurer la Place des artistes en plein Champ de Mars. Samedi, le sous-commissariat de police de l’Arcahaie a été attaqué par une vingtaine d’hommes lourdement armés qui ont laissé sur leur passage des morts et des blessés après l’attaque de deux maisons de transferts de la ville. Déjà à l’aube du dimanche gras, au Champ de Mars des individus non identifiés ont tenté d’incendier les installations des marchands mis en place pour servir ceux qui se rendront au carnaval pendant les trois jours gras. Dans une note diffusée sur les réseaux sociaux, le service d’alerte pour les ressortissants américains résidants en Haïti de l’ambassade des Etats-Unis à Port-au-Prince a mis en garde depuis le 28 janvier tous les Américains des dangers de leur participation aux festivités carnavalesques tant en province qu’à la capitale : « The Embassy has also prohibited employees from participating in Carnival in Jacmel and Port-au-Prince due to ongoing political on stability » pouvait-on lire sur le compte Twitter @ACSPAP. Cette année, en plus des grands groupes musicaux qui hésitent, pour des raisons de sécurité autant que pour des raisons financières, le secteur privéhaïtien a refusé de financer la plus grande fête populaire du pays. Le plus beau tronçon du parcours est vide de ses traditionnels stands érigés habituellement des deux côtés d’un corridor compris entre le palais national et le Rex Théâtre. Les quelques stands qui parent le Champ de Mars de couleurs ont été payés par le trésor public à la dernière minute. En plus de tomber le jour du départ du président Michel Martelly, le carnaval 2016 a été pris en otage par une polémique créée par Michel Martelly lui-même qui a sorti une meringue carnavalesque dans laquelle il s’en prend à des journalistes célèbres, sans les nommer. C’est une tradition en Haïti de voir le carnaval attiser les convoitises et les batailles entre clans politiques. Depuis l’arrivée de Martelly au pouvoir, le chef de l’Etat, musicien et roi du carnaval en son temps, a été la cible de ceux qui ont vu en lui un censeur et un accapareur des ressources et des lumières de la fête. En empêchant aux groupes qu’il n’aimait pas de participer, le président a augmenté la tension sur le carnaval. L’édition de 2016 paie la facture de tous les dérapages constatés ces dernières années d’autant que le carnaval a été chipé à la mairie pour être confié directement au gouvernement et à un comité composé en majorité d’amis du président de la République. En 2016, Carimi chante dans sa meringue : “Ou mèt sote ponpe mwen map danse Carimi m Ou mèt manifeste mwen map danse Carimi m Ou mèt kraze brize mwen m ap danse Carimi m Peyi m te mèt bloke mwen m ap danse Carimi m” Le carnaval de 2016 est plus compliqué que cela. Si les festivités carnavalesques se passent plutôt bien en province avec de petits moyens, si les groupes à pied et les DJ ont pu vaquer normalement à leurs activités à la capitale, le carnaval officiel est balloté entre des forces qui règlent avant tout leurs affaires politiques. Michel Martelly s’en va de la présidence le premier jour gras qui n’est plus gras, non seulement il n’a pas passé l’écharpe présidentielle à un successeur régulièrement élu, Sweet Micky ne retrouvera peut-être pas son char aussi vite qu’il l’avait espéré. 2016 est un carnaval très spécial à Port-au-Prince.


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