MosaikHub Magazine

La France amorce son retour en Irak par la voie politique

dimanche 10 août 2014

Dimanche, le ministre français des Affaires étrangères s’est rendu à Bagdad et au Kurdistan irakien avec une première cargaison d’aide humanitaire. Il se dit prêt à examiner la possibilité de livrer des armes aux Kurdes, en liaison avec les autres gouvernements européens.

États-Unis, Grande-Bretagne, France. Le trio qui avait mené l’intervention militaire en Libye s’est reconstitué à l’identique en Irak, mais cette fois à fronts renversés. Les États-Unis, qui en 2011 avaient inventé le « leadership from behind », le « soutien de l’arrière », ont repris l’initiative militaire en lançant des frappes aériennes contre les positions de l’État islamique (EI) en Irak. Paris et Londres, qui avaient dirigé la campagne libyenne, ont au contraire décidé de se cantonner à un rôle humanitaire et diplomatique.

La France a demandé et obtenu une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU jeudi soir. Dans la foulée, Laurent Fabius s’est rendu dimanche à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, pour superviser la première livraison d’aide humanitaire française aux populations chassées par les djihadistes. Il s’est dit prêt à examiner la demande du président kurde de se faire livrer des armes afin de pouvoir se défendre face aux djihadistes. Cela ne pourrait se faire que sous conditions : que la livraison se fasse de « façon sûre » et « en liaison avec les Européens ». Laurent Fabius demandera également à l’Union européenne la mise en place d’un « pont de solidarité » pour venir en aide aux réfugiés qui ont fui l’avancée des djihadistes de l’Etat islamique. Le ministre des Affaires étrangères a aussi fait étape à Bagdad, où il a appelé à la formation d’un gouvernement d’union nationale pour faire face à l’offensive des djihadistes sunnites.

À Paris comme à Washington, on considère en effet que la sortie de crise passe par la nomination d’un nouveau premier ministre capable de dépasser les divisions confessionnelles. Nouri al-Maliki a remporté les élections législatives le 30 avril dernier, mais les institutions politiques irakiennes sont depuis paralysées par de profondes divisions. Maliki est jugé trop autoritaire. Il est accusé d’avoir attisé le ressentiment de la population sunnite, favorisant ainsi la progression des intégristes de l’EI. Or, il faut que les Irakiens « se sentent représentés et puissent mener la bataille contre le terrorisme », a expliqué Laurent Fabius. Certains espèrent qu’ainsi certaines des tribus sunnites qui ont rallié les djihadistes changeront à nouveau de camp.
Moyens militaires limités

Le ministre des Affaires étrangères a exclu pour l’instant une intervention militaire de la France. Il estime qu’il appartient « aux Irakiens de mener ce combat ». Paris s’est placé volontairement en seconde ligne sur ce conflit, estimant qu’il relève surtout de la responsabilité des États-Unis, qui, après avoir envahi l’Irak en 2003, ont renoncé à frapper le régime syrien de Bachar el-Assad en 2013, malgré le franchissement de la « ligne rouge » des armes chimiques, favorisant ainsi « le débordement » de la crise dans le pays voisin.

Aurait-elle envie d’intervenir que la France n’en aurait sans doute pas les moyens. Ses forces militaires sont accaparées par les conflits africains, son budget de la Défense a fondu comme neige au soleil et ses capacités de renseignements sont surtout concentrées dans le Sahel. À côté de la puissance de feu américaine, une participation militaire française ne pourrait être, selon les experts, que symbolique ou marginale.

L’action humanitaire, diplomatique et politique de Paris sur le dossier est en revanche assez naturelle. De tout temps, la France a protégé les chrétiens d’Orient, qui sont aujourd’hui menacés d’extinction en Irak et dans la région. Paris fait en outre face à la menace grandissante des djihadistes français, qui après avoir combattu dans les rangs de l’État islamique, risquent de revenir, en tout cas pour certains, fomenter des attentats dans l’Hexagone.

Enfin, l’occasion permet à la France d’essayer de reconquérir une partie de l’influence perdue en 2003. Très présente sous Saddam Hussein, dont elle défendait la laïcité et à qui elle vendait des équipements militaires avant l’invasion irakienne du Koweit en 1990, la France a vu ses relations avec Bagdad se dégrader brusquement. Son opposition à l’invasion menée par la coalition dirigée par les États-Unis a en effet été comprise par le nouveau pouvoir chiite comme une forme de soutien à l’ancien régime. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, Nicolas Sarkozy, désireux de tourner la page, a amorcé un renouvellement de la relation bilatérale.

Ce retour en Mésopotamie se fait d’autant plus facilement aujourd’hui que la France ne porte pas sur ses épaules le poids du fiasco de l’invasion de 2003. Contrairement à la Grande-Bretagne, qui dix ans plus tard rumine encore cet échec, et aux États-Unis, qui ont été durablement marqués par l’expérience, jusqu’à provoquer chez Barack Obama une aversion de la guerre qui paralyse sa politique étrangère.


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie