MosaikHub Magazine

Le politique et le comédien chez Lhérisson

lundi 21 mars 2016

J’ai entendu dire depuis mon enfance que les politiciens sont des mafiosi, ce que je ne comprenais pas à l’époque et qui m’a poussé à m’écarter de ces gens.

Encore, dans toutes les rues de Port-au-Prince, à l’ère des élections, j’entends neg sa yo se magouyè ; en parlant des candidats pour les élections prochaines en Haïti. Bref, les discours des citoyens peuvent se résumer en cette phrase : politik se yon jwèt et neg yo pa serye. Et là, je me dis, est- ce que ces énoncés ne s’inscrivent pas dans une logique historique et sociale ? Est-ce que ces critiques ordinaires n’évoquent pas une facette de la pratique politique que trop souvent on méconnaît ? Ainsi, je me suis lancé dans une réflexion un peu superficielle sur la relation qu’il peut y avoir entre un politicien et un comédien dans l’exercice de leurs métiers relatifs à leur pouvoir de susciter le rire.

Le rire est plus qu’une affaire de comédie, voire une manifestation de contentement. Il est aussi ce à quoi se réfèrent des critiques des actions politiques pour analyser les candidats en pleine campagne électorale : si le comique et le politique marchent de paire, le rire est alors implicitement au cœur des débats sur les acteurs politiques. Le rire n’est pas un geste ou une simple expression du visage, il est fondamentalement un outil au service des politiques. Les candidats n’utilisent pas le rire parce qu’ils sont content, moins encore parce qu’ils assistent à une comédie. Leur rire ne résulte pas non plus de ce à quoi Bergson attribue l’une des causes du rire : « imperfection individuelle ou collective » (Bergson, p. 67). Ils l’utilisent parce qu’il est une facette de la communication politique ; c’est une forme de communication gestuelle en relation avec la conscience collective. Par le croisement des regards avec le visage riant ou geste social et politique : le non-rire repousse et le rire attire, et que dans l’exercice du métier politique, le politique est condamné à attirer l’autre à soi ; car le politique tout comme le comédien a besoin de spectateurs. -

En effet, sur la scène, le pouvoir de faire rire est utile, et cela fait du rire un instrument politique. C’est ainsi que nous rions des candidats qui s’accrochent à leur vie privée, donc à leur personne et nous poursuivons ceux qui se transforment en personnage, et jouent en conséquence leur rôle. Le rire politique s’inscrit dans cette dynamique divertissante et attirante. Ainsi le politique devient donc un lodyanseur. Et nombreuses sont les scènes de campagne électorale où le candidat croit parler et agir avec sérieux, et qu’en fait, il ne se présente qu’en comédien. -

Le comédien et le politique ressemblent à deux acteurs du monde social qui ne jouent pas sur la même scène ; et pourtant ils se révèlent être de nos jours deux hommes de théâtre. Ils sont deux acteurs dont leur vie professionnelle ne dépend que des autres, et ainsi deviennent-ils des esclaves du regard de l’autre. Par ailleurs, mieux jouer la scène traduirait comment faire pour susciter le rire chez les spectateurs. Sur la scène, ils ne sont pas dans leur vie privée, ce ne sont que des personnages qui ne font que remplir leur rôle. Certaines fois, pour trouver la sympathie de ses partisans, le politique se trouve dans l’obligation de faire ce qui ne lui plaît pas, mais ce qui fascine les spectateurs de ses actes. Ils seraient, aux yeux des moralistes, en désaccord avec eux-mêmes. Ailleurs, ils sont les mieux placés pour exercer leurs métiers. -

Par ce texte, il est à relater que le rire est au service du politique. Et le plus grand vice du métier des politiques est de se soucier de se présenter sur la scène en sérieux et non en comédien ; en effet, le sérieux de son métier est plutôt de paraître sur la scène en « hypocrites », : il n’est pas celui du monde ordinaire. La bouche du politique comme celle du comédien n’est pas la bouche du vrai au monde de la multitude, car le monde de son métier n’est pas du côté de son soi avec soi-même, mais dans l’effet que son agir soit capable de produire sur ses partisans. Faut-il enfin de compte croire que les politiques sont des menteurs ? À cette interrogation, Hannah Arendt répond dans son article « Vérité et politique » : « les mensonges ont été considérés comme des outils nécessaires et légitimes, non seulement du métier de politicien ou de démagogue, mais aussi de celui d’homme d’Etat » (Arendt, 1972, p. 289.) Cet outil n’est utile que dans l’actualisation de sa visibilité. Car son paraîttre suit son acte et son être est en micro dans son existence.

La connaissance de son être ne l’intéresse pas puisqu’elle concerne des rapports du soi avec soi-même et celui du soi avec Dieu. D’ailleurs, c’est dans son être que se place le problème de son rapport au monde de l’existence humaine, et à l’inverse, il ne vit pas dans et pour son être, et là c’est le fond de tout son métier : la politique serait la saisie du sérieux par le rire. Le politique apparaît comme l’autre souhaiterait qu’il apparaisse et non tel qu’il est, car la façon dont il se présente mobilise une image que les autres feront de lui. Bref, l’homme politique ne peut rien accomplir de plus grand que ce qui alimente sa propre apparence aux fins uniques de se rendre visible. La zone de protection du politique est celle de son image, de sa représentation et son être. Toute sanction du politique n’a d’effet que s’il affecte sa visibilité et très peu sa personne. -

Platon après la mort de Socrate a découvert que la vérité de l’évidence, à la différence de la persuasion et l’argumentation qu’il utilisait auparavant, contraint davantage l’esprit. Cependant, il y a lieu de préciser que « seulement un petit nombre y est soumis » (Arendt, qu’est ce que l’autorité, 1972, p. 142). La vérité semble désormais hors de la pratique même de la politique. La vérité étant définie comme adéquation de la chose avec l’esprit, Spinoza a raison de préciser que la vérité n’est pas du domaine de la foule et la politique de son côté n’est possible que grâce à la multitude. -

Le fond de l’exercice du métier du politique se tient dans le vraisemblable et le mensonge ; par cela même, le politique par son métier remet dans le monde des valeurs ce qui a été depuis longtemps condamné par son contraire dans la poubelle de l’histoire des sciences : le mensonge. Celui-ci vaut ce que la vérité représente pour la science. Il est l’outil le plus capable, par son rendement et son efficacité immédiate, d’affecter mieux l’esprit, les émotions, les sentiments des citoyens. -

Le petit frère du comédien, le politique doit beaucoup plus compter sur son imaginaire que sur sa compétence sur la scène politique. Ce qui souvent fait contraction : un bon politicien n’est pas forcément un bon gestionnaire du pouvoir. L’imaginaire, la fiction donc l’irrationnel produisent plus d’effets sur l’imaginaire collectif que la raison, et de ce fait, le politique arrive plus facilement à se rapprocher de ses partisans jusqu’à les porter à le voter. -

En termes de résultat, le mensonge est donc plus souhaitable que la vérité dans la pratique politique sur scène. L’ennuyeux en tout cela serait de se demander si les scientifiques et les savants n’ont pas leurs places dans la pratique même de ce métier. Encore, n’est-ce pas une vérité, le fait de savoir que le mensonge a plus de place que la vérité dans l’exercice du métier du politique ? La précaution serait plutôt d’éviter d’entrer dans le champ de l’exercice de ce métier avec des lunettes de scientifiques ou de savants, mais de regarder son monde comme autre que celui de l’ordinaire avec ses propres valeurs et ses propres exigences. Le savant et le philosophe sont doublement exclus de la pratique politique : d’une part, ils sont trop en relation étroite avec leur personne via leur être, et de l’autre, ils sont trop fascinés par la vérité. -
Prince Neptune Docteur en Philosophie


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie