MosaikHub Magazine

Ni sucre ni café

jeudi 24 mars 2016

Depuis des années, le pays ne produit plus de sucre et voilà qu’il se prépare à importer du café. Pour des millions d’Haïtiens, le café constitue un aliment incontournable. Au petit matin, dans l’intimité de leurs maisons, les enfants font le « tranpe », procédé consistant à imbiber le pain avec du café. Au coin de la rue, dans le tintouin infernal des tap-tap, avant de vaquer à leurs activités, les adultes prennent leurs rations. Certains versent toujours par terre les trois gouttes destinées aux saints et aux morts. -

Le café est le trait d’union entre deux mondes, part d’un rituel mystique qui raconte l’âme haïtienne. Il boit la tasse depuis plusieurs décennies. La production a chuté de manière drastique. Les spéculateurs, peu intéressés à posséder leurs propres plantations, ont fait le jeu des prix qui découragent la production de café mais encouragent la coupe des grands arbres pour faire du charbon en Haïti où la couverture forestière est en deçà des 2 %.

Des torréfacteurs, incapables de booster le secteur, d’aider à la structuration et au renforcement des rares zones de production dont les conditions physiques se sont dégradées, veulent, a-t-on appris, importer de la Colombie, sans payer les droits de douane. Le volume d’importation de café avec la franchise douanière serait plus important, a aussi appris le journal. On veut faire un petit trou dans le mur.

Cette brèche, une fois creusée, ne va-t-elle pas tout simplement consacrer la mort du café haïtien agonisant ? Par rapport à ces informations sur l’importation de café, faut-il considérer comme du marketing à objectifs inavouables les différentes annonces d’un retour en force du café haïtien ces dernières années ?

Quelle est la responsabilité du ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural dans l’effondrement de la filière café ? Les petits malins de Damien, les intelligents ficeleurs de projets pour soutirer de l’argent à des bailleurs étrangers, ont déjà porté les coups fatals au café.

Petit à petit, sans que l’on ne rouspète, certains fumeront de gros cigares cubains en regardant leurs marges de profit sur les importations de café. C’est le cas pour tout ou presque. Qu’est-ce qu’on n’importe pas en Haïti ces jours-ci ?

Cyniques, des nababs se demanderont même pourquoi cela devrait-il être différent pour le café ? Après tout, n’est-ce pas la paysannerie que l’on vampirise un peu plus ? Qui a jamais défendu les intérêts économiques des humbles reclus dans les mornes ?

À l’agonie, le café haïtien redoute le coup de grâce de l’importation. Il est peut-être arrivé ce temps où nos morts, nos saints en auront assez qu’on leur verse du café pèpè et du clairin frelaté… -

Roberson Alphonse

robersonalphonse@lenouvelliste.com


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