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6e Sommet sur la Finance

MCJM : dame de fer et femme de cœur

vendredi 22 avril 2016

Difficile de comprendre Marie Carmelle Jean-Marie, connue aussi sous ses initiales, MCJM, sans prêter attention à ses nombreuses anecdotes, les unes plus rocambolesques que les autres, mais qui recèlent toujours des faits surprenants qui font éclater de rire. La dame dite de fer, celle qui parle si fort, est aussi une remarquable bienfaitrice, une femme au cœur tendre qui tend la main aux nécessiteux de sa communauté.

« Je commençais à désespérer à l’idée de recevoir les honneurs du sommet sur la finance », a lancé d’entrée de jeu Mme Marie Carmelle Jean Marie dans son style très particulier. Appelée à gravir la tribune pour recevoir les honneurs de la communauté financière et la plaque qui lui donne accès à la prestigieuse galerie de la finance, l’ex-ministre de l’Economie et des Finances, entrepreneure, professeure à l’université, ancien haut cadre de la banque centrale, se met aussitôt à partager avec l’assistance quelques faits qui ont jalonné sa vie, sa carrière, sa vision du monde, ses péripéties aussi.

« Roberson Alphonse a failli me faire lyncher par mes collègues ministres lorsqu’il a publié son article sur les comptables publics », a laconiquement lâché sans ménagement Marie Carmelle Jean-Marie. « On m’a appelé en jugement, on m’accusait d’avoir fourni des informations secrètes à Roberson », a-t-elle confié pour l’article en question. Un de mes collègues, ajoute-elle en souriant, eut même à dire : « elle se prend pour Jeanne D’Arc. Et à MCJM de répliquer immediatement : « Dommage, je ne suis plus pucelle ».

Tout ceci pour expliquer qu’elle soit heureuse de partager la même classe que notre rédacteur au Nouvelliste. Elle est tout aussi heureuse de partager la classe avec son ancienne étudiante, Mica Pierre Bruno, elle aussi dans la galerie d’honneur de la finance haïtienne. Désormais, MCJM trônant fièrement dans cette prestigieuse galerie, aux côtés des grands noms de la finance haïtienne, comme Henry Bazin, Guiteau Toussaint, Carl Braun, Joseph Paillant ou Gladys Coupet…

Née un 16 juillet, MCJM est la troisième de la famille Jean-Marie qui compte cinq enfants dont quatre filles et un garçon. Issue d’une famille catholique fervente et pratiquante, elle a grandi aux côtés d’un papa gâteau, complice, Bibi pour les intimes et sa mère, une institutrice religieuse, exigeante, surtout quant aux résultats scolaires. « Tout comme les familles de notables d’antan, elle a fréquenté l’école des sœurs dirigée par les filles de Marie à La Vallée de Jacmel. Elle y fit ses études primaires avant de rentrer à Port-au-Prince terminer son brevet », a rapporté Nesmy Manigat qui a eu la charge de présenter l’ex-ministre de l’Economie et des Finances sous le gouvernement de Laurent Lamothe.

Ceux qui côtoient au quotidien MCJM connaissent sa propension au don de soi, son dévouement pour sa famille, ses amis, sa communauté. Peu importe ses activités professionnelles, on la retrouve donnant de son temps, de son expertise gratuitement dans toutes sortes d’organisations. Mme Jean-Marie est socialement et économiquement très engagée dans sa communauté. « Nommée vice-président du conseil d’administration du fonds haïtien d’aide à la femme (la doyenne des institutions de micro-crédit, une institution fondée en 1982), elle l’aide à se recapitaliser avec ses propres ressources », a confié Nesmy Manigat, cofondateur du Group Croissance.

Marie Carmelle Jean-Marie a été également présidente du conseil d’administration de l’Association pour la coopération avec la micro-entreprise (ACME). On la retrouve également membre volontaire et bénévole d’ONG, dont Aide et Action International et récemment America Solidaria. « Elle fait tourner, de sa poche, une « petite ONG, non enregistrée », vu le nombre d’écoliers de La Vallée de Jacmel qu’elle parraine », avons-nous appris de Nesmy Manigat.

Elle n’hésitera pas non plus à s’engager financièrement dans ce projet communautaire d’électrification d’une vingtaine de foyers, au panneau solaire de La Vallée, de la localité appelée “Lacour”. Cette communauté évoque un souvenir bien particulier pour Mme Jean-Marie. C’est là, où à défaut d’être la danseuse professionnelle, elle avait appris à jouer au tambour, toute petite à l’époque. « Les bureaux de MCJM débordent toujours de ses amis, collègues, employés venus chercher conseil, appui. Beaucoup de ses collègues ministres finissaient par se retrouver à son bureau pour tenter de résoudre un problème, et ne croyez pas uniquement que c’est parce qu’elle détenait les cordons de la bourse, comme ministre des Finances », a souligné Manigat.

Au départ, compte tenu de ses excellents résultats académiques, son père voulait qu’elle devienne médecin après le bac. Adieu, la carrière de danseuse, car chez les Jean-Marie, la danse comme métier, ce n’est pas pour les enfants issus de famille sérieuse. La rebelle, n’ayant pas pu faire ce qu’elle voulait, ne sera pas non plus médecin. Elle en fit à sa guise et elle opta pour les sciences économiques à la Faculté de droit et des sciences économiques de l’université d’État d’Haïti (UEH) où elle obtint sa licence en 1979.

En 1980, elle se rendit en France pour parfaire sa formation académique. Elle y resta pendant deux ans jusqu’à l’obtention de son diplôme de troisième cycle en « Monnaie, Finances et Banques ». Elle réussit l’exploit de se faire admettre à la prestigieuse et difficile Université de Paris II Assas qui avait retenu sa candidature. Rescapée, dans une cohorte de 40 étudiants dont quatre noirs. Elle fut la seule parmi les 4 à être habilitée à passer le test oral avant la remise de son mémoire de sortie. De cette expérience, naquit probablement, cette rage de vaincre, cette passion pour le travail fini, bien fait, cette rigueur qu’on lui connaît aujourd’hui.

Après l’obtention de son diplôme de troisième cycle d’études en 1982, MCJM fit une spécialisation en « politique et programmation financière » au Centre d’études monétaires latino-américain à Mexico en 1987 et une autre, un an plus tard, en gestion informatisée de la dette publique. Mais la boulimique de l’économie monétaire poursuivit des études supérieures à l’Institut de Techniques de Banque (ITB) de Paris qui lui décerna un diplôme d’études supérieures en techniques de banque en 1990. Puis, en 1994, elle obtient un diplôme de 3e cycle en techniques de marchés de l’Institut des Techniques de Marchés de Paris (ITM).

À son retour de France, Marie Carmelle a intégré la Banque de la République d’Haïti (BRH) en tant qu’économiste hors-cadre. Elle y travaillait au service de la monnaie et des affaires internationales au cabinet technique de la direction générale, aux études économiques et à l’institut de formation. Son passage dans cette institution qui dura 13 ans (1982-1995) était très remarqué. Elle a contribué à la mise sur pied du cabinet technique du conseil d’administration et à la création du service de la dette et celle du centre de formation de la BRH.

Haut cadre de la banque centrale, Marie Carmelle Jean-Marie a dû démissionner de son poste d’assistant directeur en 1995. Contestataire, rebelle, elle avait une collaboration difficile avec son supérieur hiérarchique, feu Leslie Delatour, gouverneur d’alors qu’il contredisait souvent en pleine réunion. En 1995, elle participa avec ses amis Kesner Pharel et Nesmy Manigat à la création de « Group Croissance ». Ce Cabinet-Conseil a révolutionné le marché de la consultation en Haïti après qu’elle y a travaillé pendant six ans (1995-2001).

En 1999, avec Fred Joseph- à l’époque ministre des Finances- et Guiteau Toussaint (président du comité de restructuration de la Banque Nationale de Crédit), elle réalisa une opération de “Novation de créances” qui a permis de recapitaliser la BNC sans injection de nouveaux capitaux. Elle participa sinon initia la conception du “Tableau des Opérations Financières de l’Etat” (TOFE) qui a fait office d’instrument de programmation et de suivi des ressources et des dépenses du Trésor, utilisé par les gouvernements et les bailleurs de fonds pour le décaissement des appuis budgétaires. Le TOFE est aujourd’hui encore préparé par la Direction des Etudes économiques au ministère de l’Economie et des Finances.

Nommée en mai 2012, ministre des Finances, elle a particulièrement marqué ce ministère et le gouvernement Martelly-Lamothe par sa détermination à assainir les finances publiques et à promouvoir l’investissement, l’une des attributions du ministère. À titre d’illustration, une grande innovation est apportée à la loi de finances 2012-2013 par le biais d’un fonds Capital risque de vingt millions de dollars américains consacré aux petites et moyennes entreprises.

Entre autres innovations, un volet assistance technique a été créé afin de recruter des firmes pour l’encadrement technique des PME. Ces firmes devront solliciter les ressources humaines haïtiennes notamment dans le domaine de la gestion et du marketing. Une initiative qui, d’une part, va renforcer les capacités des PME et, d’autre part, créer des emplois pour nombre de jeunes.

Le passage des ouragans Isaac et Sandy a causé d’énormes dégâts matériels notamment dans le secteur environnemental, ce qui a marqué sa gestion. L’état d’urgence est décrété. Pour y faire face, MCJM a dû recourir à des mesures de rationalisation pour trouver les fonds d’urgence nécessaires. C’est pourquoi elle a jugé opportun de geler certaines dépenses de fonctionnement inutiles liées aux voyages, location de voitures, etc. Il était clair que la « Dame de fer » était aux commandes.

Devant l’assistance composée du gratin de la finance, le mardi 19 avril, MCJM a tenu les gens éveillés. « Je suis très heureuse de partager les honneurs aujourd’hui, dans cette sixième classe, avec mon ancienne et brillante étudiante de l’Institut Technique de Banque, Mica Pierre Bruno, ainsi que le journaliste Roberson Alphonse », a affirmé MCJM avec le ton direct et naturel qu’on lui connaît.

« Quant à mon ancien patron de la banque centrale, l’ex-gouverneur Bonivert Claude, j’ai eu à collaborer avec lui au cours de la difficile période de l’embargo. Il fallait non seulement gérer l’approvisionnement du pays en produits stratégiques, mais surtout éviter une crise financière, avec l’escalade du taux de change et la rareté de numéraire », a fait savoir MCJM qui croit qu’avec la gestion à la fois rigoureuse et prudente de la BRH, le système financier a pu passer ce cap, sans grande difficulté, au contraire, dit-elle, il a gagné en diversité et en solidité.

« Mes remerciements vont à tous ceux et celles qui m’ont aidée à renforcer ma capacité à structurer ma pensée » (je pense à mes directeurs de thèse à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques, les regrettés Jules Blanchet et Julio Fièvre, et le professeur Jean Jacques Durand de l’Université de Paris II, Assas). Ses remerciements vont de manière toute spéciale à ceux qui lui ont donné la possibilité de s’exprimer. Elle a cité : Jean-Claude Sanon, ancien directeur général, puis gouverneur de la banque centrale ; Fred Joseph, ancien ministre de l’Economie et des Finances ; Serge Robert, mon premier patron aux caisses d’Epargne ; Gilbert Bigio, PDG de GB Group ; Michel Martelly, ancien président de la république ; Laurent Lamothe, ancien Premier ministre.

« Je ne peux passer sous silence mes chers amis disparus, Guiteau Toussaint et Lermithe François. Ensemble, nous avions eu à réaliser des montages financiers inédits. Dommage….dommage, ils sont partis trop tôt », a souligné Marie Carmelle Jean Marie.

AUTEUR

Dieudonné Joachim

djoachim@lenouvelliste.com
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