MosaikHub Magazine

Ce que leurs gestes disent des politiques

mardi 26 avril 2016

La revue "Mots. Les langages du politique" se penche sur la signification des gestes des femmes et hommes de pouvoir. Passionnant.

Par Marc Leplongeon

Il était autrefois un signe de ralliement à la République. Aujourd’hui, l’index tendu signe le plus souvent une mise à l’écart, une marginalisation. Qui n’a jamais vu un Manuel Valls ou un Nicolas Sarkozy, au plus fort de leur colère, brandir dans l’hémicycle un index rageur ? Dans les lieux de pouvoir, il arrive pourtant que le doigt brandi désigne encore un idéal à atteindre. Il ponctue alors un propos que ces grands hommes voudraient intangible, admis de tous. Pour la revue Mots. Les langages du politique, Aude Dontenwille-Gerbaud, maître de conférence en Histoire contemporaine, a étudié la signification de ce bras levé horizontalement, index pointé vers l’horizon. Il s’agit d’une "volonté identitaire politique, écrit-elle, un geste démonstratif et revendiqué, très largement repris, y compris dans les caricatures, véritable mise en scène du projet républicain".

FRANCE-POLITICS-HANDOVER-HOLLANDE-JULES FERRY © JOEL SAGET AFP
iManuel Valls le 15 mai 2012, pointe les Tuileries lors d’une cérémonie d’hommage à Jules Ferry. © JOEL SAGET AFP

Manuel Valls, le doigt pointé vers les Tuileries le 19 mai 2012, lors de l’investiture de François Hollande.

Un geste guerrier

Ce geste symbolique a été immortalisé en France sous forme de statues : majestueuses figures de bronze ou de marbre – un Danton ou un Mirabeau – dressées au milieu des places de nos communes pour nous rappeler la force de la Révolution et nous transmettre ses idéaux. À la lumière de l’Histoire, la statue de Gambetta, naguère place du Carrousel à Paris – ce qu’il en reste est dans le 20e arrondissement –, prend ainsi tout son sens : "Derrière lui, les symboles de l’Ancien Régime et de l’Empire, dans la direction, au bout de doigt pointé, l’hommage à la Révolution française", explique Aude Dontenwille-Gerbaud. Une "théâtralité" au service d’une expression politique, le geste du doigt tendu ponctue "un discours de ralliement", note la chercheuse.

iLe monument d’hommage à Gambetta se trouvait place du Carrousel à Paris. © Domaine public

Dans l’Antiquité, déjà, ce geste est celui de la declamatio, le "signe d’une pensée ou d’une volonté qui s’impose", selon l’historienne. De fait, l’index tendu traduit une attitude guerrière, provocatrice. Napoléon Bonaparte sera lui-même représenté dans cette position sur les tableaux de David jusqu’en 1802, date de proclamation de l’Empire. Dans un autre contexte, le geste peut évoquer une défiance vis-à-vis de l’Église. La statue de Lavoisier, rue Tronchet à Paris, le représentait ainsi, un index tendu vers l’espace, l’autre posé sur ses instruments de mesure. La science contre le ciel, le progrès face à la religion

Poing levé et signe en V

D’autres dans l’Histoire ont préféré brandir leur poing. Un symbole militant revendiqué par les communistes et révolutionnaires qui a lui aussi perdu de son sens : Jean-Luc Mélenchon n’a-t-il pas, il y a quelques mois, brandi son poing devant les caméras de télévision alors qu’il se rendait à l’Élysée pour un dîner très protocolaire donné en l’honneur de Cuba et de Raúl Castro... ? À chaque groupe ou communauté, son geste : le bras tendu fasciste, le salut nazi, la quenelle des fans de Dieudonné ou, plus récemment, l’index dressé vers le haut des musulmans récitant leur profession de foi (shahâda), devenu emblême du groupe État islamique (EI).

i © Wikipedia / collections of the Imperial War Museums

Le geste le plus connu et celui qui a la charge politique la plus forte reste sans doute le symbole en V, formé avec l’index et le majeur. Universalisé par Churchill pendant la Seconde Guerre mondiale, il est repris aussi bien par les femmes irakiennes après les premières élections libres en 2005 que par les soixante-huitards et les "peace and love", les ouvriers polonais du syndicat Solidarité en 1979, les sportifs du monde entier et même par une marque de barres chocolatées. En France, les Le Pen père et fille se sont fait une spécialité de tendre les deux bras vers le ciel pour former, avec leur buste, un "V" de "victoire", geste repris par François Hollande à l’issue de sa campagne présidentielle victorieuse.

FRANCE-POLITICS-PARTY-FN-MAY1 © KENZO TRIBOUILLARD AFP
iJean-Marie Le Pen le 1er mai 2015. © KENZO TRIBOUILLARD AFP

Arborer le signe en V, vu comme un signe de paix ou de victoire, permet "de mettre en scène l’adhésion à une cause, par une posture alors supposée dire plus que des mots", écrit le chercheur Denis Barbet dans la revue Les langages du politique.

Les gestes vus comme outils de prosélytisme au service d’une idée ou d’une appartenance à un groupe sont extrêmement puissants. Mais il convient de les manier avec soin. L’équipe de communication de François Hollande, qui avait lancé le fameux clip de campagne "Le changement, c’est maintenant", s’en souvient encore. Le geste, sorte de déplacement des avant-bras, les mains bien à plat, avait été ridiculisé sur le web et n’avait pas du tout été repris sur les réseaux sociaux.

Le meilleur conseil reste peut-être celui de l’abbé Grégoire, lancé en 1796 devant le Corps législatif : "Le législateur qui méconnaîtrait l’importance du langage des signes serait au-dessous de sa mission ; il ne doit laisser échapper aucune occasion de s’emparer des sens, pour réveiller des idées républicaines."

"Le geste, emblème politique", dossier coordonné par Denis Barbet, tiré de la revue Mots. Les langages du politique


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie