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Au Pakistan, le calvaire du médecin qui aida la CIA à traquer Ben Laden

lundi 2 mai 2016

Cinq ans après son arrestation, le médecin pakistanais Shakeel Afridi, qui aida la CIA à localiser Oussama Ben Laden, languit oublié en prison, victime selon ses proches de manoeuvres diplomatiques entre Washington et Islamabad.

AFP

2 mai 2016

“Je n’ai aucun espoir de le voir, je n’attends plus rien de la justice”, se lamente Jamil Afridi, son frère aîné, qui a accepté de rencontrer l’AFP dans un lieu tenu secret car il se sent menacé.

Le Dr Afridi, âgé d’une cinquantaine d’années, avait organisé une fausse campagne de vaccination contre l’hépatite C, qui avait servi de couverture pour confirmer la présence de Ben Laden, le redouté chef d’Al-Qaïda.

Une fois localisé, le cerveau des attentats du 11 septembre 2001 avait été abattu, le 2 mai 2011, par les forces spéciales américaines lors d’un raid à son domicile d’Abbottabad, une petite ville de garnison pakistanaise qui abrite l’académie militaire du pays.

Cette spectaculaire intervention étrangère fut vécue comme une humiliation au Pakistan, laissant des traces profondes dans ses relations avec les Etats-Unis et compliquant d’autant le cas du docteur.

Les détails de la manière dont la CIA a contacté Afridi sont flous – la presse pakistanaise a affirmé que des responsables de l’ONG avec laquelle il travaillait, Save the Children, ont servi d’intermédiaires. L’ONG a démenti. Le Dr Afridi lui-même a reconnu son implication dans une interview à la chaîne américaine Fox News en 2012. Elle a également été confirmée par l’ancien secrétaire américain à la Défense, Leon Panetta.

- “Bouc émissaire” -

Le Dr Afridi avait été chargé d’organiser une campagne de vaccination dans le but de recueillir un échantillon ADN dans le complexe habité par Ben Laden. Il a affirmé par la suite ne pas avoir été informé du but de l’opération et avoir refusé de fuir le pays quand cela lui a été demandé.

Arrêté peu après le raid par les autorités pakistanaises, le médecin a été jugé pour liens avec des extrémistes – un chef d’accusation largement considéré comme fantaisiste – et condamné à une peine de 33 ans de prison, réduite par la suite à 23 ans.

Depuis, la procédure est enlisée. Un procès en appel, débuté en 2014, a été ajourné des dizaines de fois. Plusieurs groupes de défense des droits de l’Homme ont tiré la sonnette d’alarme, exigeant un procès transparent.

“Shakeel est devenu un bouc émissaire”, estime un militant des droits de l’Homme, Zar Ali Khan Afridi, sans lien de parenté avec le médecin. “Il a été impliqué dans un cas qui n’a rien à voir” avec son affaire, estime-t-il.

Selon son avocat, Qamar Nadeem, le docteur est détenu à l’isolement dans une petite pièce et malgré cette précaution, sa vie reste menacée.

Me Nadeem, qui lui-même n’a plus accès à son client depuis deux ans, est son second conseil, le premier ayant fui le Pakistan en raison de menaces des talibans, avant d’être finalement tué lors d’une visite au pays en 2015.

Le médecin n’est pas totalement isolé puisqu’il continue de recevoir des visites de sa femme et de ses enfants tous les deux mois environ, selon l’avocat.

Mais en dépit d’une décision de la Haute cour de Peshawar accordant également un droit de visite à ses frères et soeurs, son frère Jamil s’est constamment vu barrer l’accès.

Le tribunal “ne reconnaît pas la décision. Que dire ? Je suis très pessimiste…” soupire Jamil, qui n’a plus vu son frère depuis 4 ans mais s’est vu conseiller de ne pas trop insister.

Pour Me Nadeem, son client ne peut guère espérer se tirer d’affaire sans pression des Etats-Unis. “Mais jusqu’ici ils n’ont pas fait preuve de soutien”, regrette-t-il.


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