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Après la chute de Dilma Rousseff, le nouveau gouvernement brésilien ne séduit pas

lundi 16 mai 2016

José Serra s’était à peine assis à son nouveau bureau de ministre des relations extérieures du Brésil que le vétéran de la politique a dû se fendre d’un communiqué au ton ferme et définitif. L’un des poids lourds du gouvernement de Michel Temer, investi le 12 mai à la suite de l’ouverture d’une procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff, dénonçait les déclarations « erronées » et les « préjugés sans fondement » envers le fonctionnement des institutions démocratiques brésiliennes.

M. Serra s’est raidi en écoutant les propos d’Ernesto Samper, secrétaire général de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), parlant au nom de neuf pays d’Amérique latine, qui, la veille, avait fait part de ses « préoccupations et interrogations (…) concernant la consolidation de l’Etat de droit au Brésil ». Une « interprétation absurde des libertés démocratiques », a réagi M. Serra, membre du Parti social-démocrate brésilien (PSDB, centre gauche). Le même jour, Cuba reprenait à son compte la rhétorique du Parti des travailleurs (PT, gauche) et de la présidente, évoquant un « golpe », un coup d’Etat.

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Mme Rousseff a été éloignée du pouvoir à la suite du vote des sénateurs dans la nuit du mercredi 11 au jeudi 12 mai. Elle vit désormais recluse dans la résidence présidentielle de Brasilia, pendant les cent quatre-vingts jours de son procès, menacée de perdre son mandat si elle est reconnue coupable de « crime de responsabilité » par le Sénat.

Remplacée par M. Temer, son vice-président, la successeuse de Luiz Inacio Lula da Silva est accusée d’acrobaties comptables ayant aidé à sa réélection en 2014. Ses pédalages budgétaires auraient camouflé la réalité des finances publiques brésiliennes et creusé dangereusement le déficit en 2015.

Inquiétude en Amérique latine

Cet événement suscite l’émoi en Amérique latine. Le président du Salvador refusait, samedi, de reconnaître la légitimité du président par intérim. Voix détonnant dans la région, l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, candidat à la présidence de son pays en 1990 à la tête d’une coalition de centre droit, jugeait l’événement « positif pour la démocratie », saluant la déroute de gouvernements populistes en Amérique latine, dont celui de Mme Rousseff.

« Pour les observateurs étrangers, la légèreté avec laquelle la destitution de la présidente de la République – une véritable bombe atomique dans un régime présidentialiste – est minimisée ne manque pas d’étonner. Si tous les dirigeants impopulaires ou jugés incompétents dans les démocraties modernes étaient destitués, peu finiraient le mandat qui leur a été attribué par le suffrage universel », souligne l’historienne Armelle Enders, autrice de Nouvelle histoire du Brésil (éditions Chandeigne, 2008) dans un article publié sur le site The Conversation.

Dans un éditorial titré « Make Brazil political crisis worse » (« Aggraver la crise politique au Brésil »), publié moins de vingt-quatre heures après l’ouverture du procès en destitution de Mme Rousseff, The New York Times estime lui aussi que la cheffe d’Etat du Brésil « paie un prix disproportionné » pour ses erreurs.

Des polémiques sur un gouvernement d’hommes blancs

Censé apaiser un pays au bord de l’abîme économique, supposé réconcilier une nation déchirée entre les pour et les contre l’impeachment (« destitution »), tenu à l’exemplarité à la suite des scandales de corruption éclaboussant le monde politique, le président par intérim à la tête du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre) a raté son entrée. Avant même d’exister, son gouvernement suscitait la polémique, M. Temer ayant été tenté d’offrir le poste de ministre des sciences à un adepte du créationnisme.

Son équipe, composée exclusivement d’hommes, blancs et pour la plupart âgés, a choqué. « C’est presque incroyable que nous ayons ainsi reculé de trente ans », se désole l’écrivaine Rosiska Darcy de Oliveira, dans le quotidien O Globo du 13 mai. Elle rappelle qu’aucun gouvernement ne s’est passé de femmes depuis 1979, et que le gouvernement de Mme Rousseff en comptait quatorze, hors ministres intérimaires.


Le président brésilien par intérim, Michel Temer, entouré de ses ministres, tous des hommes blancs et âgés pour la plupart, au palais Planalto à Brasilia, le 12 mai 2016.
Le président brésilien par intérim, Michel Temer, entouré de ses ministres, tous des hommes blancs et âgés pour la plupart, au palais Planalto à Brasilia, le 12 mai 2016. ADRIANO MACHADO / REUTERS

« Ce qui nous effraie, c’est que Temer ait passé un mandat aux côtés de Dilma Rousseff et n’ait pas compris que [le fait d’avoir des femmes au gouvernement] était une conquête de la société », insiste Lucia Xavier, de l’Articulation des femmes noires brésiliennes, regroupement d’associations pour la défense des femmes noires au Brésil.

Les milieux intellectuels et artistiques se sont eux étranglés en découvrant la fusion du ministère de la culture avec celui de l’éducation. « Un grand recul », selon l’association Procure Saber, formée d’artistes, tels le chanteur Gilberto Gil, qui fut à la tête du ministère de la culture de 2003 à 2008, sous la présidence de M. Lula da Silva (PT).

Secoué, M. Temer serait sur le point de rectifier le tir. Au cours du week-end, il assurait que le secrétariat national à la culture resterait autonome, et le quotidien O Globo évoquait dimanche la possibilité qu’il soit confié à une femme.

Sept ministres impliqués dans des affaires judiciaires

L’homme, resté dans l’ombre de Mme Rousseff pendant plus d’un mandat, multiplie les faux pas. Se sachant dans le viseur des marchés financiers, M. Temer a réduit drastiquement le nombre de ministères (23, contre 30 sous le second mandat de Mme Rousseff). Mais l’initiative, d’abord saluée, essuie les sarcasmes. « Isso é para o Ingles ver », « une simple apparence », a commenté l’ancien président Fernando Henrique Cardoso (1995-2003, PSDB) remarquant que la réduction des ministères est en réalité le fruit d’un simple changement de statut.

Plus préoccupant, la présence au sein du nouveau gouvernement de sept ministres cités ou faisant l’objet d’une investigation judiciaire. Un choix qui laisse perplexe : l’opération « Lava Jato », qui a mis au jour le scandale de corruption lié au groupe pétrolier Petrobras, a provoqué la colère de la rue, jetant le discrédit sur l’ensemble de la classe politique. Au-delà de la question éthique, « Temer invite la crise politique en nommant des personnes citées dans “Lava Jato”. Un facteur susceptible de provoquer une grande instabilité dans son gouvernement », remarque Marco Antonio Carvalho Teixeira, politologue de la Fondation Getulio Vargas, à Sao Paulo.

« Le gouvernement porte l’empreinte de la continuité et du conservatisme : les ministres sont de vieux briscards qui (…) ont participé à tous les gouvernements précédents, quelle que soit leur couleur politique, de Fernando Henrique Cardoso à Dilma Rousseff, en passant par ceux de Lula », résume Armelle Enders.


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