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Victor Benoît, cinquante ans au service de l’autre

mardi 17 mai 2016

À l’initiative d’anciens élèves du collège Jean Price Mars, de vibrants hommages ont été rendus vendredi à Le Plaza à Victor Benoît, professeur patenté d’histoire d’Haïti, amoureux du passé au présent, qui parcourt depuis cinquante ans des établissements scolaires à Port-au-Prince, mû par le sentiment de transmettre sa passion, son savoir

Des fleurs. Des plaques. Mais surtout de l’amour de l’autre. Victor Benoît, politique, homme de grande culture, en en reçus. Beaucoup. Celui dont le sang est infesté du virus de la passion de l’enseignement, dont le combat contre la dictature duvaliérienne n’est pas à démontrer, est porté aux nues. « Vous m’avez beaucoup donné », lâche Victor Benoît, ému, costume gris, cravate rouge à grosses rayures bleues. La vanne des confidences s’ouvre. Il parle aussitôt de sa longue carrière, en brosse les grands moments, retourne aux sources des souvenirs lointains avec ses élèves, sans perdre de vue que cinquante ans au service de plusieurs générations d’Haïtiens n’est pas une mince affaire.

Ancien professeur de géographie économique à l’INAGHEI, ancien ministre de Jean Bertrand Aristide et sous les Tèt kale, Victor Benoît indique que son métier d’enseignant lui a appris à « être à l’écoute de l’autre, de l’altérité ». Mais bien avant tout ça, la voix de Fanckétienne avait enveloppé la salle. Il a chanté pour Mèt Ben, comme l’appellent ses anciens élèves. La voix forte, l’auteur de Murs à crever a vanté les mérites de l’homme qui a su donner un peu de lui-même dans la « construction » de ce pays. « Mèt Ben est une référence, un patrimoine pour Haïti ! ». Franckétienne, sans être Nictsche, a entraîné la salle dans une envolée philosophique. À l’entendre, des hommes comme Mèt Ben ne meurent pas. C’est le corps, le matériel qui fait le voyage. « Mèt Ben survivra au-delà de la mort par son essence ».

Michel Soukar, lui aussi écrivain, campe un homme dont l’érudition est envahissante. « Mèt Ben est surtout connu pour son esprit, son travail méthodique et scrupuleux », soutient-il, aux oreilles attentives d’amis, d’anciens élèves de Victor Benoît. Il parle aussi de sa précision, de sa clarté, de son courage de partager et de répandre son savoir. Michel Soukar, poussé vers la sortie à Saint-Louis de Gonzague, s’est tourné au collège Roger Anglade en 1972. À l’époque, en plein cœur de la dictature duvaliérienne, il a découvert le professeur, très jeune alors, mais qui s’enthousiasmait déjà à s’user autour de la craie pour instruire, former, ce malgré les risques, lui qui dut s’exiler en 1984 pour revenir après. Michel Soukar parle d’un homme simple, modeste, au-delà de son capital culturel. « Mèt Ben nous a appris à vénérer le livre, sans quoi, il n’y a pas de réflexion, de culture. »

Camille Charlmers, économiste, professeur de Sociologie des organisations à la Faculté des sciences humaines, croit que Victor Benoît est une référence dans la lutte contre la dictature en Haïti. Charlmers, qui se rappelle combien lui et d’autres camarades de classe se sont battus pour un cours d’histoire d’Haïti au lycée Alexandre Dumas, souligne surtout la dimension politique du personnage, son amour d’Haïti et de la culture d’Haïti. « Sa croyance dans la construction des appareils politiques m’a toujours touché », avoue-t-il, ajoutant que Mèt Ben leur a aussi inculqué la passion de l’enseignement, avant qu’Evans Paul ne prenne le relais dans ce ballet d’apothéoses.

L’ancien PM, ex-camarade de lutte de Victor Benoît, retient ceci de sa longue amitié avec celui-ci : « Sa grande modestie malgré tout son savoir, son honnêteté, sa capacité de dépassement et sa combattivité pour les principes démocratiques ! » Rose-Andrée Bonis Bien-Aimé, avocate, ancienne élève du collège Jean Price Mars que dirige encore Victor Benoît, pense que son « Mèt Ben est irremplaçable dans sa façon d’enseigner l’histoire d’Haïti ». Sous les rires, les applaudissements de l’assistance, elle remonte au temps, aux tics du professeur. Victor Benoît, tout comme son épouse, sourit, les yeux rougis, sous les regards des élèves qu’il dit être « son seul patron ».

AUTEUR

Juno Jean Baptiste

jjeanbaptiste@lenouvelliste.com
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