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Bloc-notes

De Port-au-Prince à Saint-Malo, de Saint-Malo à Port-au-Prince Bloc-notes

mardi 24 mai 2016

« Bon voyage, monsieur Dumollet
A Saint-Malo, débarquez sans naufrage… »

Avec Mathias Enard, nous évoquons cette chanson écrite par un auteur de vaudevilles, Marc-Antoine Madeleine Désaugiers, un jeune royaliste effrayé par le peuple en colère après la prise de la Bastille qui s’exile dans la colonie de… Saint-Domingue… où se prépare une autre révolution, plus radicale, anticoloniale, antiesclavagiste et antiraciste, qui lui fera encore plus peur. Dans cette ville qui a eu sa petite part dans le commerce colonial, sans atteindre les performances et les chiffres de Nantes et de Bordeaux, et qui fut plus tard détruite par la deuxième guerre mondiale se tient depuis vingt-sept ans le festival Etonnants Voyageurs qui la livre non aux bombes ni aux marchands, mais aux écrivains venus des quatre coins du monde.

Plus que tout autre événement littéraire, le festival Etonnants Voyageurs a fait, c’est devenu une tradition, une large place aux écrivains haïtiens. Onze, quatre, cinq, selon l’année, avec toujours une grande visibilité à leurs démarches, à leurs travaux. Avec aussi cette capacité d’accueillir les jeunes. Parmi eux cette année, Evens Wèche, Inéma Jeudi et Medhi Chalmers de l’Atelier Jeudi Soir. Celle aussi de Mackenzie Orcell, que je ne mets pas dans la liste, il est déjà plus ou moins installé dans le paysage littéraire français.
On peut être heureux de la vente d’un grand nombre d’exemplaires de l’anthologie bilingue de la poésie créole de 1987 à nos jours. Ce qui s’écrit en créole est peu connu à l’étranger, pas suffisamment suivi et respecté en Haïti même, alors que la poésie en créole échappe mieux à la « poétisation », à cette maladie de « faire quelque chose qui ressemble à la poésie » et propose souvent un langage plus singulier et plus vrai.

On peut aussi être heureux de la teneur des propos de Wèche, Jeudi et Chalmers. La tentation du travestissement et du reniement est grande. Sans prétendre parler au nom d’Haïti ou du peuple haïtien, ce qui serait une exagération, l’écrivain haïtien n’est pas exempt d’une fonction de représentation. Que des jeunes l’assument, tout en affirmant la singularité de leur voix sans jouer le génie solitaire qui serait de nulle part, cela donne espoir.

Il y a toujours eu dans notre histoire un lien assez fort entre le littéraire, le social et le politique. La littérature est un haut lieu de mise en discussion des rapports sociaux. Cela fait donc que notre conscience des enjeux du littéraire est plus aiguisée qu’ailleurs. Quand nous parlons littérature, nous jouons et ne jouons pas. A Saint-Malo, cela s’est entendu dans ces jeunes voix haïtiennes.

Il faut souhaiter aussi que cela s’entende à Port-au-Prince et dans d’autres villes d’Haïti, dans les mois qui viennent. Avec l’apport des gouvernements haïtien et français, (et, on l’espère de quelques entreprises haïtiennes), nous devrions accueillir le festival Etonnants Voyageurs dans quelques mois. Pour discuter de ces choses dont parle la littérature. De la vie, de son organisation, de l’individu, du collectif. Si rien n’est plus désespérant que le ronronnement égotiste d’un créateur coupé du monde, rien n’est plus enrichissant que l’échange autour des réalités du monde que la littérature nous révèle dans ses multiples formes. Et puis, c’est un beau cadeau à la jeunesse haïtienne d’amener dans ses établissements, chez elle, une poignée des écrivains du monde. J’ai vu le bonheur des lycéens de Bretagne de recevoir des écrivains haïtiens, d’échanger avec eux. Amenons à nos lycéens les écrivains du monde.

AUTEUR

Antoine Lyonel Trouillot

zomangay@hotmail.com


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