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Colère et frustration règnent à Bruxelles face à la guerre de succession de David Cameron

vendredi 1er juillet 2016

Un sentiment de confusion voire d’abattement était perceptible à Bruxelles, jeudi 30 juillet, après l’annonce du retrait de Boris Johnson de la course au 10, Downing Street. « Tout ça pour ça, hallucinant ! », s’emportent deux fonctionnaires de la représentation britannique en grande conversation devant la British House, « l’ambassade » auprès de cette Union que le royaume va quitter.

Confusion, abattement, gâchis aussi. Dans les institutions tellement décriées par le camp du Brexit, on considère que le « Brussels bashing » (« dénigrement de Bruxelles ») incessant alimenté par M. Johnson, notamment au travers de ses chroniques dans le Daily Telegraph, est l’une des principales causes du vote leave. « Je suis en colère, d’autant plus que, dans le camp d’en face, M. Cameron n’était pas crédible dans sa défense de l’Europe et que les travaillistes semblaient ne pas avoir de ligne », confie un fonctionnaire du service d’action extérieure, un peu inquiet pour son avenir.

Un propos relayé au plus haut niveau, puisque, lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, mardi 28 juin, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a remercié M. Cameron d’avoir défendu l’Europe durant sa campagne, mais regretté, devant les vingt-sept autres dirigeants, que le premier ministre démissionnaire n’ait pas parlé de cette façon de Bruxelles « durant les quinze années précédentes ».

Concessions inutiles

L’amertume de la Commission et du Conseil est aussi alimentée par le fait que les concessions faites à M. Cameron n’ont servi à rien et sont, désormais, renvoyées aux poubelles de l’histoire européenne. Les services avaient œuvré durant près de six mois pour présenter, en février 2016, un « paquet » de concessions à Londres et permettre un camp du remain de mener plus facilement sa campagne, comme il l’avait réclamé.

Les Vingt-Sept avaient notamment accepté de donner au Royaume-Uni un droit de regard sur les décisions de la zone euro et de limiter en partie la libre circulation des travailleurs, en lui permettant de réduire les prestations sociales pour les travailleurs non britanniques, durant quatre ans au maximum. « Nous avons fait plus que le maximum dans le respect des traités », souligne un officiel européen, insistant sur le fait que modifier ceux-ci aurait de toute façon été impossible, ce que personne, et même M. Cameron, n’ignorait.

Mardi soir, une rumeur circulait cependant selon laquelle le premier ministre sur le départ aurait reproché à ses collègues de ne pas en avoir fait assez pour l’aider. Vrai, faux ? « British bashing », tranchait le correspondant d’un grand journal londonien à Bruxelles : « Répandre de tels bruits aide seulement son entourage à sauver la face. »

Mensonges et impréparation

« Cameron aurait dû d’abord lancer son référendum, puis commencer la renégociation avec Bruxelles, analyse un officiel. De cette manière, les citoyens britanniques se seraient rendu compte que négocier la fin de la libre circulation tout en continuant à avoir accès au marché intérieur était impossible. Et ils auraient été mieux informés sur le sens de leur vote. »

Maintenant que l’impréparation et les mensonges de Boris Johnson sont manifestes, l’opinion publique britannique se retournera-t-elle ? Le référendum pourrait-il être finalement annulé ? Certains, à Bruxelles et dans certaines capitales, fantasment sur ce scénario d’un « exit du Brexit ». Ils pensent, espèrent même, qu’aucun premier ministre n’osera déclencher la procédure de divorce en « notifiant » le désormais fameux article 50 au Conseil européen. Ce n’est pourtant « pas du tout l’état d’esprit des dirigeants européens », assure-t-on dans l’entourage du président Hollande. « Au point où nous en sommes, je n’exclus plus rien. Mais ce serait un autre désastre pour l’image du Royaume-Uni, la politique européenne en général et nos institutions en particulier », confie un haut fonctionnaire du Conseil.

Aucun plan B

De fait, la machinerie bruxelloise travaille désormais sur le scénario du Brexit, et les dirigeants ont, bien malgré eux, pressé Londres d’acter le résultat du référendum, et donc le divorce. « Il est difficilement imaginable que le Royaume-Uni ne tienne pas compte du vote populaire, même si les citoyens ont pu se laisser abuser par des arguments trompeurs, explique un autre diplomate. Il n’y a pas de plan B des Européens, Londres devra déclencher la procédure, il en va aussi de sa crédibilité au niveau international. »

Il reste que Theresa May, candidate sérieuse à la succession de M. Cameron, déclare qu’elle n’activerait pas cette procédure avant décembre 2016. Or, durant le sommet de mardi et mercredi, beaucoup assuraient que « septembre ou octobre, passe encore, mais plus longtemps sera impossible ».

« Les milieux d’affaires laisseront-ils aux dirigeants la possibilité d’attendre jusque-là ? Leur pression est énorme », commente un expert. La Commission, elle-même dans la tourmente et soucieuse de calmer – si possible – le jeu, pourrait toutefois attendre. Elle juge que le plus important sera de conclure au début de 2019, avant le renouvellement du Parlement européen et du collège des commissaires.

Il n’y avait, sans doute, pas de « plan B » du côté des pro-remain, pas plus que du côté des brexiters. Il n’en existait aucun, non plus, dans les institutions, plongées dans l’épais brouillard d’une crise qu’elles ne voulaient pas voir surgir.


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