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Banque, blanchiment, terrorisme, Haïti doit agir

mercredi 20 juillet 2016

Haïti, une fois de plus, est sur le point d’être victime de nouvelles mesures prises par les autorités américaines pour combattre le blanchiment d’argent et le terrorisme. Les banques haïtiennes risquent de perdre leurs banques correspondantes américaines ce qui provoquera à terme une crise financière et économique dans le pays.

Une source proche de l’Association professionnelle des banques (APB), jointe au téléphone lundi après-midi, estime qu’une banque commerciale haïtienne qui perd une correspondante comme Bank of America signifie qu’elle ne peut plus faire des transactions sur l’extérieur. « Le problème est moins grave pour Novascotia et Citibank qui sont des succursales de banques étrangères. Tandis que les banques commerciales locales opèrent avec des capitaux privés d’origine haïtienne », a-t-elle déclaré.

Pour l’économiste Pierre Marie Boisson, cela rendra tout simplement les banques commerciales en Haïti moins aptes à fournir certains services à leur clientèle, cela diminuera leur pouvoir commercial, leur compétitivité. « L’opération d’importation peut devenir plus couteuse et l’ensemble des opérations commerciales à l’étranger peuvent être contrariées », énumère ce dernier.

Le phénomène est connu sous le nom « de-risking ». Il est mondial et s’intensifie. Les dirigeants régionaux et les institutions financières internationales disent que les Caraïbes redoutent le poids de ces nouvelles mesures sur les petites économies régionales.

Les banques américaines font valoir qu’étant donné la petite taille des économies de la Caraïbe et les lourdes amendes actuellement imposées par les régulateurs, tentant d’endiguer le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent, les risques de compensation des chèques ou de transfert d’argent à titre d’intermédiaires ne valent tout simplement pas la peine.

Un argument que les dirigeants des Caraïbes rejettent d’un revers de main arguant qu’il ne prend pas en considération les conséquences et les retombées imprévues.

« L’économie haïtienne, à l’instar des autres économies de la Caraïbe, est fortement importatrice […] Le commerce est une fois et demie plus important dans le PIB [haïtien] que l’agriculture », rappelle l’économiste Boisson qui avance que toute entrave à l’importation la rend très cher et va provoquer une situation d’augmentation des coûts énorme, un ralentissement du commerce et de la consommation, par conséquent un ralentissement de l’économie. Le commerce en Haïti contribue non seulement à la consommation mais aussi à l’emploi.

Ailleurs, dans les Caraïbes, certaines banques locales ont été obligées de fermer leurs portes après que leurs correspondantes aux Etats-Unis ont coupé les liens, et les opérateurs de transfert d’argent ont fermé après avoir été empêché d’ouvrir des comptes bancaires aux Etats-Unis.

Aux Bahamas, deux banques locales et quatre banques internationales ont eu leurs relations rompues pour le moment. L’agence Western Union a également fermé, selon un rapport préparé par la Banque de développement des Caraïbes (CDB, en anglais).

Pour Haïti, qui reçoit des transferts de la diaspora représentant environ 25% de son PIB, la pilule risque d’être très difficile à avaler. « Les transferts aujourd’hui pèsent plus dans notre économie que l’agriculture », a fait savoir Kesner Pharel qui intervenait ce lundi matin sur les ondes de Magik 9 dans le journal économique « Kob & Co. » En 2015, les transferts représentaient 2.2 milliards de dollars américains contre 1,8 milliard de dollars américains de valeur ajoutée produite dans l’agriculture.

« S’ils sont en train de durcir les règlements aux États-Unis, nous autres aussi nous devons durcir notre position en matière de lutte contre le terrorisme et le blanchiment », a soutenu la source de l’APB qui a dit vouloir rester dans l’anonymat. Et cela pourrait ne pas suffire.

Comme en témoigne le Premier ministre des Bahamas, Perry Christie, cité par le Miami Herald, qui rapporte que son pays a adopté de nouvelles lois, les lois anti-terrorisme, les lois anti-blanchiment d’argent et a signé des conventions fiscales. Mais cela n’a pas empêché les Bahamas d’être frappés de plein fouet pas ces mesures de réduction de risques.

Pierre Marie Boisson, de son côté, considère en Haïti qu’on est encore loin du compte, qu’on ne prend pas assez de mesures. Toutefois, il note des efforts consentis individuellement au niveau du secteur privé des banques qui signent directement des accords internationaux. « Il y a toute une batterie de mesures administratives qui doivent être prises par le gouvernement et qui ne dépend que de lui », rappelle-t-il.

Tout en fustigeant un certain courant nationaliste qui bloque systématiquement les tentatives de réforme et le vote des lois visant à mieux réglementer le système bancaire haïtien, l’économiste Kesner Pharel croit qu’il est important de se pencher sur l’aspect politique de la question. « Haïti ne peut pas mener seul cette bataille […] elle doit le faire à travers la CARICOM », a soutenu le PDG du Group Croissance.

Les dirigeants de la CARICOM ont donc convenu d’intensifier les efforts de lobbying et disent qu’ils prévoient d’embaucher un cabinet d’avocats ou de lobbyistes américains. Ils prévoient également une conférence dans la région plus tard cette année pour discuter des ramifications des retraits des banques américaines.

Pour le Premier ministre Christie, cette dernière attaque rappelle les jours où les Bahamas et beaucoup d’autres pays des Caraïbes qui servent de centres financiers en mer ont été black-listés comme des paradis fiscaux. « Le fait d’avoir passé un décret pour créer un paradis fiscal en Haïti n’arrange pas les choses », a martelé l’économiste Boisson faisant référence au décret pris sous l’administration du président Martelly créant le centre financier international de La Gonâve.

Correspondance bancaire ou « correspondent banking »

Lutte contre l’évasion fiscale, contrôles anti blanchiment de capitaux, nouvelles règles sur la liquidité bancaire… Des contrôles bancaires plus stricts et la crainte de lourdes amendes ont persuadé un nombre croissant de banques commerciales américaines de couper les liens avec leurs banques correspondantes dans la région Caraïbe.

La correspondance bancaire ou - le « correspondent banking » - consiste pour une banque à recourir, pour des paiements et services bancaires en devises étrangères, à une autre banque. Ainsi, face à la hausse constante de la réglementation, la correspondance bancaire devient plus risquée et plus coûteuse. Les banques diminuent notamment le nombre de leurs correspondants et de leurs comptes. Dans certains pays de la Caraïbe, les banques rationalisent leur réseau de banques correspondantes et vont jusqu’à fermer des comptes.

Selon un rapport du Fonds monétaire international (FMI) publié récemment, rapporte le Miami Herald, au moins 16 banques dans cinq pays de la région des Caraïbes ont perdu, depuis mai, complètement ou une partie de leurs relations avec leurs banques correspondantes. L’impact de la perte a varié, selon le rapport, mais les fermetures continues des comptes pourraient nuire à la stabilité financière, l’inclusion, la croissance et les objectifs de développement des Caraïbes.

Ainsi, les banques correspondantes, qui gèrent les transactions internationales de banque à banque en dollars américains, comme les frais de carte de crédit dans les hôtels, les envois de fonds et des paiements liés au commerce et à la finance, se retrouvent à la croisée des nombreux dispositifs issus de la crise financière.

Des pays de la Caraïbe (Belize, Jamaïque et Guyane), qui ont déjà du mal à maintenir à flot leurs économies vulnérables, se préparent donc à faire face à une nouvelle crise financière. Cette question a été le principal point de discussion au cours du récent sommet de la Caricom en Guyane.

AUTEUR

Patrick Saint-Pre

sppatrick@lenouvelliste.com


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