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Bloc-notes

Jacques Roumain pat Lavalas

vendredi 23 septembre 2016

Les contextes électoraux se prêtent à toutes les manœuvres et à toutes les formes d’intoxication. Aujourd’hui, une stratégie de disqualification de tous les discours revendicatifs et de toutes les propositions de transformer la société haïtienne vers plus de justice sociale et d’égalité citoyenne consiste à les qualifier de… Lavalas.

Le mouvement Lavalas, un micmac idéologique qui a ses supporters, a aussi une capacité d’effrayer. L’expérience de Lavalas au pouvoir a créé des espoirs qui ont vite tourné au cauchemar et a laissé des traumatismes au sein des classes aisées mais aussi chez des citoyens des classes défavorisées, et nombreux sont ceux qui y voient désordre, anarchie, violence.

Lavalas fait encore rêver des gens mais fait aussi peur à un grand nombre de gens. On devrait analyser cette peur, car tous n’ont pas peur de Lavalas pour les mêmes raisons. Il y a ceux qui voudraient que rien ne change, que l’injustice sociale perdure, et toute proposition, même démagogique, d’un changement dans l’intérêt du plus grand nombre, les effraie. Il y a ceux qui (comme la revue Les Cahiers du Vendredi, déjà à la fin de la décennie 80, condamnée lors à une solitude exemplaire) y avaient vu et y voient encore la perversion des revendications populaires, un populisme droitier à vocation autoritaire, sans propositions concrètes pour transformer les rapports sociaux.
Aujourd’hui, ceux qui ont peur que quelque chose change enfin dans l’intérêt du plus grand nombre utilisent le mot Lavalas comme un épouvantail contre tout discours revendicatif, contre toute expression de la conscience de l’injustice , contre tout vœu d’égalité citoyenne.

Si vous dites qu’il faut poser le problème de la distribution des richesses, vous voilà Lavalas. Si vous dites qu’une société fondée sur l’exclusion et le mépris du populaire produit du malheur et de la division, vous voilà Lavalas. Si vous dites qu’il est du devoir de l’État d’agir contre l’exclusion, l’exploitation sauvage, la misère des masses, vous voilà Lavalas.

C’est faire beaucoup d’honneur à Lavalas dont le discours ne dit pas clairement cela. C’est aussi jeter aux oubliettes toute l’histoire des mouvements progressistes haïtiens. Tous les jeunes militants de gauche assassinés par Duvalier étaient donc Lavalas ? Alexis et Roumain, fondateurs de partis politiques et écrivains majeurs rêvant d’un peuple libre « gouvernant la rosée » et « du voyage vers la lune de la belle amour humaine » étaient donc Lavalas ? René Théodore, secrétaire général du parti communiste haïtien puis du Mouvement de reconstruction nationale, qui, au nom de ces idéaux, avait refusé de se joindre à Lavalas était donc Lavalas ?

Oui, c’est faire trop d’honneur à Lavalas. Mais c’est surtout utiliser la peur que peut inspirer Lavalas pour empêcher qu’on entende les discours revendicatifs. Comme, au début des années 2000, il y a ceux qui sont descendus dans la rue pour combattre une dérive autoritaire sans projet de transformation de la société, et ceux qui voulaient surtout que rien ne change et qu’ils conservent leurs privilèges.

C’est malsain, calculé, orchestré par des stratèges prenant un peuple entier pour un ramassis d’imbéciles que de donner du Lavalas par ci, du Lavalas par là, à toute personne indignée par l’injustice sociale et réclamant plus de justice pour les masses. C’est toute l’histoire du mouvement progressiste haïtien, de l’ouvrier syndiqué à Roumain, traître à sa classe dans la défense des intérêts du plus grand nombre, et tout l’élan pour un avenir meilleur qu’on veut passer sous silence en donnant du Lavalas à tout sentiment de révolte et toute expression d’une volonté de rupture avec un ordre social injuste.

AUTEUR

Antoine Lyonel Trouillot

zomangay@hotmail.com


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