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Thibault le goinfre et « ferveur électorale »

mardi 22 novembre 2016

En étant généreux dans l’évaluation du taux de participation aux élections du vingt novembre, au moins deux citoyens sur trois n’ont pas voté.

Il y avait certes des impossibilités matérielles, ceux qui ont pris leurs cartes dans leur ville de naissance et qui vivent aujourd’hui à Port-au-Prince, ceux qui n’avaient pas les moyens de se déplacer ou ignoraient simplement à quel bureau de vote ils devaient se rendre. Il y avait aussi la peur, ceux qui craignaient que les choses ne se gâtent, prédisaient des pierres ou des balles, et estimaient qu’un bulletin ne valait pas la prise de risque. Mais ils sont peu nombreux et ni les impossibilités matérielles ni la crainte ne suffisent à expliquer l’une des principales données de ces élections : l’impressionnant taux d’abstention. Malgré la fermeté des discours de l’exécutif et du Conseil électoral – on ne peut rien leur reprocher de ce point de vue – assurant que les élections auraient bien lieu aux dates prévues, la population n’y a pas cru ou a pensé que ce n’était pas important.

Les propos de l’exécutif et du Conseil électoral n’ont pas suffi pour amener la population à participer. Trop de choses en face. La coutume d’élections truquées dont les gagnants étaient choisis par la « communauté internationale ». L’indigence d’une campagne vide de contenu et marquée par la diabolisation des rares porteurs d’idées. Voter pour quoi ? Contre quoi ? Le sentiment que les élections ne changeront rien, que tout se joue ailleurs, que celui qui a le plus d’argent, le plus de connexions avec les vrais pouvoirs : le capital et l’étranger, gagnera de toutes les façons. Le faible niveau de la conscience de classe, la mentalité marée par l’attentisme : laissons le pouvoir à ceux qui l’ont et nous aurons quelques miettes. L’incapacité de penser ses intérêts et ses droits. Le matraquage idéologique et la précarité qui font intérioriser la condition de subalterne. Tant de choses auront joué contre la participation et l’intelligence du vote…

Quel que soit le pouvoir issu de ces élections, il sera fragile et ne pourra faire valoir sa popularité. Les temps vont être durs et pour nous et pour lui. L’indifférence ne vaut que pour les élections, bientôt sonnera la charge des discours revendicatifs…

En ces temps plutôt durs, Thibault gagne de l’argent et du poids et s’apitoie sur son sort. Vous ne connaissez pas Thibault ? C’est normal. Il réside en Haïti dans un vaste appartement mais ne fréquente pas les Haïtiens. Il est la vedette d’un article publié la semaine dernière dans le quotidien français Libération sur la vie des expatriés, dans lequel se côtoient vérités et contre-vérités et où la foire aux anecdotes remplace toute analyse. Manu y dit que « Port-au-Prince, c’est le nouveau Kaboul ». Pourtant hier, les gens ont voté. On n’a pas entendu les bombes ni compté les cadavres qui pleuvent à Kaboul dans un cycle de violence auquel la bêtise de la « communauté internationale » n’est pas étrangère. Quand ce n’est pas Manu, c’est la journaliste : « Les contraintes sécuritaires réduisent les loisirs des expatriés à peau de chagrin ». On aimerait bien que les Haïtiens soient couverts d’une telle peau. Et Manu de continuer : « L’enjeu n’est pas de s’amuser mais plutôt de survivre ». Donc, leurs fêtes de départs et d’arrivées, leurs cocktails aux prix incroyables dans les restaurants et bars de riches, parmi lesquels au moins un où les Noirs sont mal vus, c’est parce que leur vie est tellement menacée qu’ils bouffent, boivent et b… jusqu’à frénésie, parce que cela pourrait être la dernière fois ! Pauvres expatriés, leur vie « est un triste chassé-croisé ». Mais le plus à plaindre, c’est Thibault. En France, il n’est rien, reconnaît-il. Ici, « j’ai une grande maison, un chauffeur, une femme de ménage - heureusement, je n’ai jamais aimé faire la vaisselle ».

Tout devrait aller bien. « Mais ici, je bois seul en journée. Ça ne me serait jamais arrivé en France. On boit parce que c’est la seule chose qui nous reste à faire. On grossit, parce qu’on n’a même pas le droit de marcher. On s’aigrit, parce que c’est une vie de chiens. » Une vie de chien que la plupart des Haïtiens aimerait bien connaître un jour. Déjà, la journaliste conseille à Thibault de moins bouffer et boire, s’il désire maigrir. Mais au-delà du ridicule, c’est l’indécence du propos ; mensonges sur le degré de violence, fatuité de paumés ayant trouvé un havre pour s’enrichir et faire semblant. Il ne manquerait plus que cela ; qu’en plus des vrais problèmes auxquels nous devons faire face, on nous demande de verser des larmes sur les chagrins des expatriés ! On sert déjà de cobayes, de prétexte, de fonds de commerce à Thibault et consorts. Faudrait-il pousser la reconnaissance et l’hospitalité jusqu’à résoudre pour eux leurs problèmes de surpoids et leur servir se psy !

Antoine Lyonel Trouillot

zomangay@hotmail.com


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