MosaikHub Magazine
Cette transition qui n’en finit pas

Ça dérange ! …(Préface)

vendredi 9 décembre 2016

Par Pierre-Raymond DUMAS

Très éloignée d’une représentation idéalisée ou mensongère de la politique nationale et des fantasmes qui lui sont associés, le narrateur de « Est-ce que ça dérange ? / Les choix scandaleux des dirigeants haïtiens » manifeste, dès les premières pages, cette sincérité farouche qui n’est pas sélective dans la mesure où elle apparaît comme la forme la plus directe de la saine colère de l’homme politique, dénuée de toute cachotterie. En effet, Rénald Lubérice qui parle en connaisseur et en expert est aujourd’hui plus libre et occupe une place idéale. À la jonction de deux expériences éprouvantes mais enrichissantes. C’est donc un conseiller diplomatique (président Michel Joseph Martelly) et un conseiller politique (candidat à la présidence Jovenel Moïse) que nous suivons dans un parcours qui n’a rien d’une promenade, mais qui s’apparente plutôt à une péripétie catastrophique. Eh bien, il n’y va pas avec le dos de la cuillère ! Grâce à sa forte capacité d’analyse, Rénald Lubérice, conjuguant avec sagacité l’attention à la singularité des portraits et l’exigence d’élucidation des événements, a trouvé un langage alerte et captivant.

On pourrait lui reprocher de peindre une fin de mandat caricaturale. Non ! En aucun cas. Mais, avec justesse, il fait mouche quand il décrit une série de faux pas, de maladresses, de violations constitutionnelles et l’échec du président Martelly dont la manifestation spectaculaire est l’élection au second degré de Jocelerme Privert. On y devine toute la dureté et toute la rouerie du monde politique haïtien. C’est un climat qui frise la schizophrénie. Selon lui, ce dont Haïti, si souvent présentée dans le monde comme le dernier refuge de l’archaïsme afro-caribéen, a besoin, ce n’est pas de pseudo-démocrates aux gesticulations qui ressemblent à celles des incendiaires criant au feu, c’est le respect des normes constitutionnelles, d’un État de droit éclairé et proactif.

Mais là, je crois, n’est pas l’essentiel. À petites touches poignantes, mais très académiques, Rénald Lubérice, qui ne se départ pas de son calme, a trouvé le ton juste d’un schéma de pensée qui récapitule événements, explications, chronologie, érudition historique et prend le temps d’appréhender les principaux phénomènes politiques et institutionnels, de pouvoir et de société. Quelle déception, pourtant ! La leçon du professeur n’est pas banale : c’est un opuscule discursif, écrit à vive allure, en un temps record, qui refuse le pathos et n’en suscite pas moins une émotion très forte. Il a bien compris le principe et l’efficacité des petits chapitres, qui permettent d’avoir l’effet de cinéma, mais, sur une dizaine de pages, ça donne un effet encore plus vif. C’est sérieux, pédagogique, sans fioritures et sans perte de temps.

Quand on se souciera enfin d’enseigner dans les écoles l’art de gouverner, il sera aisé de composer le catalogue de ce qu’il ne faut pas faire : il suffira de raconter en toute bonne foi les faits et actions de l’administration de Michel Joseph Martelly au cours de son quinquennat. Un peu buté, tête de pierre, il a passé son temps à faire et défaire des conseils électoraux et à réagir face à une opposition plus soucieuse d’instabilité que de stabilité. Tout craquait, tout rentrait par tous les côtés. Quel malheur ! En fin de parcours, frôlant le désastre, comme un persécuteur craignant pour sa vie, sa famille et ses proches partisans, avec l’air las et le regard battu, il s’est trouvé au cœur d’une fin de mandat indigne d’une démocratie libérale. Une fois remis l’écharpe présidentielle au président de l’Assemblée nationale, le sénateur des Nippes Jocelerme Privert, par le président sortant Michel Joseph Martelly, il y avait donc, à partir du 7 février jusqu’au 14 février 2016, vacance de l’institution (présidentielle), de la responsabilité et du titre de président. Quel désastre ! Fin d’une passe d’armes sans précédent. Mais la clé de ce travail de mémoire, il faut la chercher dans sa portée transhistorique, et plus précisément dans la réflexion étincelante de l’auteur autour des trois dynamiques fondamentales du pouvoir (en Haïti).

Car ce qui est désormais en cause, à travers la plume acérée de Rénald Lubérice, c’est toute la vision de la politique que se faisait le président tèt kale : d’abord la première dynamique du pouvoir ou propouvoir (avant), ensuite la deuxième dynamique qui correspond au pendant, c’est-à-dire la gestion ou l’exercice du pouvoir, enfin la troisième dynamique du pouvoir ou l’après-pouvoir qui représente à proprement parler la passation pacifique, donc constitutionnelle, de pouvoir, à travers un dauphin qu’on aura désigné pour gagner (ou perdre). En vérité, ne nous y trompons pas : les trois dynamiques sont consubstantielles. Ce n’est pas très simple. Il se dégage de tout cela une fantastique méditation politique, une constatation saisissante, considérable.

Véritables miraculés, les présidents haïtiens qui bouclent leur mandat et même qui assument une passation des pouvoirs en douceur ne sont pas légion. On peut dire que Michel Joseph Martelly, grisé par sa victoire électorale et aveuglé par son impétuosité, affaibli par ses légèretés, a réussi la première dynamique, a échoué au niveau de la deuxième et, conséquemment, son dauphin Jovenel Moïse peine à gagner la troisième manche.

Sans doute, est-ce un trait de ce témoignage, sa force empreinte de civisme ici, sa charge entièrement justifiée ailleurs, que de ne pas chercher à plaire ? En réalité, l’évocation de sa dimension autobiographique ou personnelle n’occulte pas l’urgence qui a suscité la rédaction du livre et qui fait une part importante de son intérêt. Car tout son mode explicatif s’ordonne ainsi, en série d’oppositions qui ne prennent pas la pose solennelle ou plaintive de la rétrospection mais fondent un travail prospectif, une anticipation de l’histoire présente et future.

AUTEUR

Pierre-Raymond DUMAS Delmas, 20 Novembre 2016


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie