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Je veux cet homme à tout prix

lundi 12 décembre 2016

On finit par s’habituer à l’odeur singulière des lieux après plusieurs visites, j’en suis à ma troisième. Une senteur concentrée de feuilles du terroir, d’excréments d’animaux et d’huiles essentielles, tantôt harcelante, tantôt crue, pénètrent mes narines. Les murs rouge vif et vert feuille de ce temple vaudou sont noircis par le souffre et gommés par les flammes des bougies à base de cire d’abeille. L’accord envahissant des tambours, le rythme saccadé et puissant attirent et retiennent mon esprit dans leur torpeur.

J’attends la mambo sur une petite chaise basse, sous ce toit recouvert de paille sèche. La chaleur est suffocante, on dirait l’antre de l’enfer. J’ai dans mon sac son caleçon et d’autres articles qu’elle m’a demandé d’apporter par téléphone. J’attends qu’elle finisse avec son patient. Je ne demanderais pas de l’aide ailleurs, je tiens à ce que cela reste discret. Imaginez-vous que mes collègues à la banque soient au courant, elles jaseraient même quand elles font la même chose. Ralph a recommencé à grogner. Tout lui déplaît. Il se plaint que la bouffe est infecte, que ses vêtements sont mal repassés, du soleil qui transperce les rideaux pour perturber son sommeil. Je suis venue ici avant qu’il ne recommence à me frapper. C’est ainsi à chaque fois que les dernières incantations arrivent à expiration. Je ne pourrai pas me passer de lui.

Je le veux à tout prix.

Il est le seul homme qui soit resté avec moi aussi longtemps. Les autres m’ont laissé tomber après quelques semaines. Mes relations ont rarement duré plus d’un trimestre. Ils ont toujours un reproche, une jalousie imaginaire. Le dernier, un directeur départemental dans le Sud, est maintenant en couple avec une amie à moi, elle me l’a volé. Un d’entre eux m’a laissé, lorsqu’il a trouvé une diaspora. Je ne pouvais pas rivaliser avec un green card.

Ralph et moi avions commencé très bien notre relation, nous avions passé le cap fatidique des trois mois. Je l’aime, il me traite bien. Je prends bien soin de son ventre et de son bas-ventre. Toutefois, j’ai senti la malédiction nous rattraper quand il a souri à une voisine. La semaine d’après, il lui a offert une « roue libre ». Je voyais cette familiarité d’un mauvais œil. J’avais offert une neuvaine à Sainte Altagrace pour un homme après ma dernière déception amoureuse. Notre union selon moi était la réponse à mes prières. Je suis fatiguée d’assister à toutes ces messes, de tournoyer sans cesse les graines de mon chapelet sans aboutir. Les saints ne sont fidèles qu’à Dieu, ils prennent leur temps pour tout faire. Je veux des résultats rapides et efficaces, je veux garder mon homme.

J’ai fait appel à Mita, une cousine originaire de Léogâne. Elle a été hébergée chez nous plus jeune, je sais que je peux me fier à elle. Elle doit bien connaître un prêtre vodou dans sa zone. C’est ainsi que je suis arrivée chez tante Yole, une spécialiste des relations amoureuses. La première fois, j’avais peur de tout, du décor mystique de la pièce, des cruches dans tous les coins, des dessins multicolores et effrayants d’animaux sur les murs et du vèvè dessiné sur le sol. Je lui ai expliqué ma situation, elle m’a ensuite remis une potion à mettre dans la nourriture du concerné avec des indications. Je les ai suivies à la lettre quoiqu’un peu septique au début. Tout était rentré dans l’ordre pour un bon moment avant que Ralph ne me donne une gifle sans raison apparente. Je suis retournée pour me plaindre et demander réparation. La prêtresse m’a appris qu’une bonne relation est comme une plante, il faut la nourrir, comme les cheveux crépus qu’on souhaite maintenir soyeux, il faut les retoucher.

La deuxième fois, elle m’a obligée à me coucher nue sur une table au centre de son sanctuaire, les mains et les pieds allongés. Ses disciples, vêtues de blanc, secouant leurs tchatcha, dansaient autour de moi. Elle a versé sur moi un liquide sentant la fleur, l’a passé sur mon sexe. Je craignais d’attraper une infection mais j’avais plus peur que Ralph ne me quitte. Le reste, je l’ai utilisé pour ma toilette intime la semaine suivante pendant sept midis et sept minuits. Cela a porté fruit, il est resté normal jusqu’ à ma visite aujourd’hui.

Tante Yole est là, avec son mouchoir en soie rouge recouvrant ses cheveux grisonnants, sa robe aux fleurs imprimées abracadabrantes. C’est une femme imposante, sa généreuse poitrine est retenue par un soutien-gorge qui ne laisse pas ciller ses seins. Sa peau noire est serpentée de cicatrices créées avec un couteau chaud pour marquer au fer son appartenance aux Esprits. Ses yeux globuleux sont le plus souvent fermés quand elle est en transe. Elle m’a mise à l’aise, je suis de la maison maintenant. Elle est au courant des derniers événements. Elle appelle un « hounsi », lui parle sans tourner la tête, expliquant ce qu’elle veut qu’il l’apporte. Le jeune homme revient avec dans sa main droite une poupée artisanale et un bout de ficelle et dans l’autre une chaise miniature identique à celle sur laquelle je suis assise. Elle me demande si j’ai avec moi un objet de lui comme j’ai apporté lors de mes précédentes visites. Je lui confie son sous-vêtement.

Elle concocte un philtre

Après avoir appelé les loas, elle me remet la poupée liée sur la chaise me demandant de la garder à l’abri, en me disant : « Pa inkyete w, mesye a p ap fè wonn pòt ». Je laisse l’argent dans l’assiette abîmée en émail à ma sortie du temple.

Sur le chemin du retour, il y a un long embouteillage. Je suis anxieuse, je me suis absentée longtemps, Ralph risque de se fâcher. J’imagine la dispute qu’on risque d’avoir à mon arrivée à la maison. Il est là quand je rentre, Je lui sors une excuse bidon pour justifier mon retard, il acquiesce sans broncher. Il m’enlace dans ses bras et m’embrasse. Il me dit que je lui ai manqué. Je suis heureuse. Je lui dis que je reviens, je vais prendre un bain. Je cache la pièce en sûreté dans mon placard. Le service a été rapide, je suis très satisfaite.

J’ai encore deux autres requêtes pour tante Yole : un mariage et un bébé. J’ignore laquelle je vais demander en premier. Je le saurai avant de retourner au temple vaudou. En attendant, je vais mettre le couvert pour manger avec mon homme.

AUTEUR

Lou


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