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Theresa May, le Brexit et les vendeurs d’illusions

jeudi 5 janvier 2017

La démission surprise l’ambassadeur britannique auprès de l’UE, pivot de la négociation sur la séparation d’avec l’Union, est un revers pour la première ministre.

Aucun prince n’aime les mauvaises nouvelles. Theresa May n’échappe pas à la règle. La première ministre britannique acceptait sans doute mal qu’Ivan Rogers, le représentant permanent de Londres auprès de l’Union européenne (UE), fasse savoir que le Brexit ne ressemblerait pas à un chemin parsemé de roses. Pire : que le nirvana promis par les « hard brexiters » (partisans d’une séparation franche d’avec l’Union) de son gouvernement – de nouveaux accords de libre-échange avec les pays du Commonwealth et la Chine – supposait dix ans d’incertaines négociations, comme il l’avait écrit dans une note qui a fuité dans la presse en décembre 2016.

La démission surprise de Sir Rogers, annoncée mardi 3 janvier, constitue un grave revers pour Mme May. Elle a habilement tenté de le masquer en désignant dès le lendemain son successeur, Tim Barrow, ancien ambassadeur à Moscou. Moins de trois mois avant le début annoncé d’une négociation cruciale pour le pays avec les Vingt-Sept, à quelques jours d’un discours où elle promet d’énoncer enfin ses objectifs, la première ministre voit s’envoler le pivot de la négociation, le haut fonctionnaire le plus chevronné de l’équipe Brexit.

Le geste spectaculaire d’Ivan Rogers reflète un état de désarroi et de vive tension au sommet de l’Etat britannique : toute mise en garde contre des objectifs inatteignables, tout rappel du point de vue des autres pays européens est considéré comme un signe de « défaitisme » et de trahison du verdict populaire lors du référendum du 23 juin 2016 : 51,9 % en faveur du départ de l’UE. L’ambassadeur avait été mis sur la touche par Mme May parce que « son cœur n’était pas du côté du Brexit » et qu’elle ne pouvait plus lui faire confiance, prétendent les conservateurs europhobes.

Les avis de M. Rogers n’étaient pas pertinents, car ils transmettent au gouvernement les positions dures qu’affichent pour l’instant les pays continentaux alors que l’ambassadeur aurait dû défendre la fermeté des positions britanniques, proclame l’ancien ministre Iain Duncan Smith, forte voix chez les hard brexiters.

En réalité, répliquent des diplomates chevronnés, la première ministre préfère « la destruction délibérée et totale de l’expertise sur l’UE » plutôt que d’avoir affaire à des hauts fonctionnaires qui « appellent un chat un chat ». « Si les serviteurs de l’Etat ne peuvent plus donner des avis francs ni montrer où sont les pièges, les ministres tomberont dedans », résume Jonathan Powell, ancien directeur de cabinet de Tony Blair.

Un document accroît encore l’embarras de Theresa May : la longue lettre de vœux et de démission adressée par l’ambassadeur démissionnaire à ses collaborateurs dénonce en termes diplomatiques l’absence d’objectifs clairs du gouvernement sur les futures relations avec l’UE. Sir Rogers y pourfend les « arguments mal fondés et la pensée confuse ». La missive en forme de diatribe dénonce aussi en creux la difficulté du gouvernement May à entendre les vérités qui dérangent et à s’intéresser au point de vue de ses interlocuteurs continentaux.

« J’espère que vous n’aurez jamais peur de dire la vérité à ceux qui sont au pouvoir (…) et que vous continuerez à chercher à comprendre pourquoi les autres agissent et pensent comme ils le font. »

L’avertissement vient après une longue série de mises en garde concordantes. Depuis la note recommandant d’obtenir de l’UE « le beurre et l’argent du beurre » photographiée sur un porte-documents à la sortie de Downing Street, jusqu’au rapport du cabinet d’audit Deloitte affirmant que Mme May n’avait « aucun plan » pour le Brexit.

Complexe de supériorité

Alarmant, le diagnostic de Sir Rogers renvoie aussi au nombrilisme de certains milieux politiques et médiatiques britanniques qui présentent les Vingt-Sept comme une zone en faillite, divisée et facile à tromper, surfent sur la vague nationaliste révélée par le référendum et affichent un complexe de supériorité digne de la Grande-Bretagne impériale.

Ce somnambulisme a déjà abouti à la catastrophe du référendum. Sûr de la puissance de sa menace de Brexit, David Cameron pensait obtenir de l’UE de larges concessions qu’approuverait le corps électoral. Il avait sous-estimé les avertissements – notamment ceux d’Ivan Rogers précisément – selon lesquels Angela Merkel n’accepterait pas de démanteler le principe de libre circulation. Aujourd’hui, ils prennent pour du bluff la remarquable unité dont font preuve les Vingt-Sept pour rejeter – pour l’heure – les tentatives de négociations séparées lancées par Mme May.

La première ministre a résisté aux durs de son parti en choisissant Tim Barrow, un haut diplomate de 52 ans bon connaisseur de Bruxelles et au degré d’euroscepticisme inconnu plutôt qu’une personnalité militant ostensiblement pour le « hard Brexit ». En choisissant un membre éminent du Foreign Office, administration aux penchants proeuropéens, elle cherche à apaiser la grogne des fonctionnaires mis à l’épreuve par les mille dossiers du Brexit. Downing Street présente Sir Barrow comme un « négociateur aguerri et solide » apte à « faire du Brexit un succès ». Le Daily Mail, tabloïd le plus populaire et ardemment brexiter, salue « l’homme qui a tenu tête à Poutine » alors que M. Barrow s’est montré plutôt conciliant lorsqu’il dirigeait l’ambassade à Moscou.

Theresa May, qui a prôné le vote anti-Brexit, joue aujourd’hui son avenir politique sur la « réussite » de la sortie de l’UE. Pour calmer sa majorité, elle semble suivre les vendeurs d’illusions et les somnambules. La démission fracassante et forcée de l’ambassadeur Rogers affaiblit les partisans d’une sortie en douceur et de compromis avec les Vingt-Sept. Reste le « hard Brexit », rupture brutale avec effet falaise sur l’économie et réveil brutal, non seulement pour les électeurs britanniques, mais pour tous les Européens


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