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Il me trompe et alors ?

mercredi 11 janvier 2017

Celles qui restent malgré tout

Célèbres ou inconnues, elles vivent avec un séducteur qui multiplie les aventures, plus ou moins discrètement. Enquête auprès de ces femmes qui ont décidé d’aimer en dépit de l’adultère. Par Patricia Gandin

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« Jane m’a quitté à cause de ma polygamie, et vous, comment vous faites ? » demanda un jour Serge Gainsbourg à Françoise Hardy. En rapportant ce souvenir dans son livre « Le Désespoir des singes… et autres bagatelles » (éd. Robert Laffont), la chanteuse avoue : « Je fis comme si je prenais son insinuation à la légère, mais je me sentais détruite. » Pourtant, à l’époque, elle sait que Jacques Dutronc a des aventures et il en aura beaucoup, sans qu’elle ne s’en détache. Il lui aura fallu trente ans avant de parvenir à le considérer seulement comme un ami dont les frasques ne la font plus souffrir ; sans divorcer pour autant. Egalement patiente et permissive, Benoîte Groult, écrivaine et féministe. Dans son autobiographie « Mon évasion » (éd. Grasset), elle admet n’avoir jamais cessé, pendant cinquante-quatre ans, d’adorer son mari, Paul Guimard, qui « aimait les femmes » et n’y résistait pas. Et puis, Anne Sinclair, depuis dix-neuf ans, garde le sourire malgré la réputation de « serial séducteur » de son compagnon Dominique Strauss-Kahn, et persiste malgré l’affront public de sa dernière incartade. Bien d’autres femmes, connues ou inconnues, ferment ainsi les yeux sur l’inconstance avérée, répétée, dévoilée de leur partenaire.

Légende : Françoise Hardy et Jacques Dutronc. La chanteuse décrit sans fard la vie auprès d’un infidèle.

Polygamie : quel est le prix à payer ?

Polygamie : quel est le prix à payer ?

Personne n’est à l’abri d’un dérapage. Etre l’objet d’un amour exclusif n’est jamais une certitude. Et les unions sont précaires à l’ère de l’individualisme qui privilégie l’épanouissement personnel et la recherche des plaisirs. De là à s’accommoder des trahisons au grand jour... Comment font celles qui acceptent la polygamie, s’interroge-t-on comme Gainsbourg en son temps. Quel est le prix à payer ? Ont-elles raison d’accepter ? D’abord, il faut remarquer que c’est une abnégation toute féminine. « S’installer dans l’infidélité, les femmes ne le supportent pas, assure Philippe Brenot, psychiatre et thérapeute de couple (1). Elles préfèrent choisir vite et rompre pour retrouver un engagement unique. » Celles qui échappent à cette règle le font avec discrétion, évitant à l’autre de connaître son infortune. Les hommes, par maladresse ou contents d’« exhiber leur virilité », agissent plutôt dans la transparence, note un autre psychiatre, Willy Pasini (2).

1. Auteur des « Violences ordinaires des hommes envers les femmes » (éd. Odile Jacob).

2. « Les Amours infidèles » (éd. Odile Jacob).

Légende : Anne Sinclair, avec Dominique Strauss-Kahn, aura connu l’affront d’un adultère étalé dans la presse du monde entier.

Qui sont celles qui restent ?

Qui sont celles qui restent ?

Qui sont celles qui restent ? Des forces tranquilles se disant sûres de leur couple. « Pierre est volage, mais ce n’est pas grand-chose : de petites histoires au-dessous de la ceinture, juge Hélène, 39 ans. Je suis celle qu’il préfère puisqu’il n’a jamais eu envie de me quitter. » Il y a aussi des indulgentes, fascinées par le charisme du tombeur : il est si extraordinaire, comment ne pas comprendre qu’il plaise ? En 2006, Anne Sinclair, interrogée dans « L’Express » sur les penchants de DSK à jouer les Casanova, déclarait : « J’en suis plutôt fière. C’est important de séduire pour un homme politique. » Françoise Hardy note aussi sa « chance d’avoir partagé la vie d’un homme que de nombreuses femmes lui enviaient ». Benoîte Groult évoque en Paul Guimard un être charmant qu’elle n’avait pas le coeur de frustrer en l’empêchant de succomber à ses tentations. Un « pacte de totale liberté » avait d’ailleurs été conclu entre eux, même si l’écrivaine admet : « Ce sont presque toujours les hommes qui sont bénéficiaires de ces contrats. » D’autres femmes encore n’ont pas le choix ou croient ne pas l’avoir : elles ne travaillent pas ou gagnent peu. « Je dépends financièrement de mon mari, justifie Rose, 36 ans. Marc est médecin et je suis assistante. Qu’il papillonne me dérange moins que d’imaginer la baisse de mon niveau de vie et celui de nos trois enfants. » D’autres invoquent justement les enfants : « Je n’ai pas envie de leur imposer un divorce, celui de mes parents m’a trop bouleversée », se souvient Noémie, 40 ans.

Légende : Sarah Jessica Parker, avec Matthew Broderick, fait contre mauvaise fortune bon coeur.

Même pas mal ?

Même pas mal ?

Même pas mal quand on reste ? « Cela peut être supportable pour une femme ancrée sur le fantasme qu’elle est la plus aimée, la muse, l’inspiratrice, observe Serge Hefez (3), psychiatre. Surtout si elle savait dès le début qu’elle avait affaire à un séducteur et qu’elle l’a aimé pour ça. Quand la passion des premières années se transforme en relation plus conjugale, on peut aussi accepter les écarts avec sagesse. Il arrive même que cela revigore l’excitation en perdition. » Mais la souffrance fait le plus souvent partie du voyage. « Mathieu ne m’a jamais rien caché de son besoin de plaire. Malgré tout, j’espère toujours l’amener à changer et cet espoir déçu m’empoisonne la vie », se plaint Barbara, 29 ans, en couple depuis six ans. La douleur, Françoise Hardy la détaille au scalpel tout au long de son ouvrage : « L’impression de ne pas assez inspirer à Jacques ce qu’il m’inspirait lui-même me tourmentait sans cesse et, consciente que la souffrance de l’un ne peut que refroidir l’autre, je ne savais comment sortir de ce cercle vicieux. » Mais partir la « détruirait plus sûrement » que partager son homme. Benoîte Groult, stoïque et néanmoins touchante, évoque ses tourments de façon lapidaire : « Je savais que je faisais mon deuil d’un certain amour. [...] J’ai été très malheureuse par moments. » Et, parlant du déclin de son mari avant sa mort : « Une autre que moi, peut-être celle qu’il a aimée pendant des années (qui m’ont paru une éternité), aurait-elle réussi à le retenir dans cette lente et désespérante glissade vers le néant ? »

3. « Dans le coeur des hommes » (éd. Hachette Littératures). Légende : Hillary, avec Bill Clinton, aura connu l’affront d’un adultère étalé dans la presse du monde entier.

Pourquoi c’est forcément douloureux ?

Pourquoi c’est forcément douloureux ?

Pourquoi c’est forcément douloureux ? Parce que le regard de la société n’est pas tendre à l’égard du mensonge et de ceux qui s’en contentent. Au XIXe siècle, le mariage bourgeois se satisfaisait des apparences pour sauvegarder l’ordre et les conventions. Aujourd’hui, quelles que soient les raisons pour lesquelles on supporte les batifolages du conjoint, elles seront dévalorisées par l’entourage. « Malgré le relâchement des moeurs, l’exigence de vérité est plus grande que par le passé, explique Michel Lacroix (4), philosophe et sociologue. L’infidélité entre en contradiction avec les valeurs éthiques que nous plaçons au-dessus de tout : la vérité, la transparence. Trahir la confiance de quelqu’un apparaît comme une lésion irréparable, pas juste une erreur ou une faiblesse passagère. » S’y ajoute la désagréable impression que ces cocufiages à répétition renouent avec de vieilles lunes : « Notre aspiration à l’égalité impose que soient relégués aux oubliettes la domination masculine et l’homme du patriarcat classique qui peut tout s’autoriser », pointe Serge Hefez.

4. « Avoir un idéal,est-ce bien raisonnable ? » (éd. Flammarion).

Légende : Victoria Beckham : un mariage, trois enfants et la volonté de préserver son couple.

La douleur est inévitable

La douleur est inévitable

La douleur est inévitable parce que être trompée crée l’effondrement de la construction amoureuse. « Le romantisme amoureux trouve son expression dans le couple, poursuit Michel Lacroix. Les fondations s’écroulent si l’adultère s’y invite. L’amour vrai est sacré, intouchable. »

Chacun sait que les grands sentiments n’ont qu’un temps, mais ce qui succède – tendresse, affection, complicité, solidarité – ne cohabitera pas sans mal avec des brasiers allumés ailleurs. « Même si on est admirative de la belle libido de l’autre, c’est dur de constater qu’elle n’est pas pour soi ou qu’il faut la partager », remarque Gisèle Harrus-Révidi (5), psychanalyste et directrice de recherche à l’université Paris-VII. C’est dur parce que l’image de soi est atteinte quand l’infidèle nous déclare insuffisante à son bonheur. Ne pas réagir est doublement douloureux. « Rationaliser est une protection, de la poudre aux yeux, avance Marc Pistorio, psychologue (6). Tous les hommes beaux et intelligents – et seulement eux – auraient le droit d’être infidèles ? Cela ne tient pas. Pas plus que se réfugier dans la fausse certitude d’être la préférée ou dans l’indulgence – bien trop maternelle – face à ce qu’on veut considérer comme de petites bêtises. On capitule, on assume d’être trompée, non par lâcheté ou parce qu’on a assez confiance en sa propre séduction, mais quand on pense qu’on ne mérite pas mieux. Le pardon est aussi un évitement, une façon de ne pas poser de limites. On ne se fait pas respecter car on se sent peu respectable. »

Position intérieure qui s’explique parfois par des blessures remontant à l’enfance, aux premières rencontres. « Mes parents étaient en adoration devant ma soeur, moi, j’étais la gamine un peu garçon manqué qu’on ne regardait pas, regrette Marianne, 37 ans. A l’adolescence, je ne savais pas me mettre en valeur. Louis m’a remarquée après trois ans passés à travailler ensemble. Nous sommes mariés depuis huit ans et je sais qu’il a des liaisons. J’encaisse, mais j’ai mal. » La plupart des spécialistes du couple vient une satisfaction perverse, masochiste dans l’acceptation de l’offense. D’autant plus, comme l’écrit Françoise Hardy, qu’on ne se sent pas « innocente » de ce qui arrive.

5. « Séduction : la fin d’un mythe » (éd. Payot).

6. « Vérité ou Conséquences » (éd. Les Editions de l’Homme).

Se venger... ou pas ?

Se venger... ou pas ?

Quelle serait la bonne réaction ? Se venger ? Répondre à la trahison par la trahison ? Non. La seule solution est d’interpréter le premier faux pas connu comme un signal d’alarme et de se demander : qu’est-ce qui ne va pas dans notre couple ? Puis, réagir aussitôt. Non pas en cherchant à tout savoir sur la ou les rivales : « Connaître trop de détails fabrique des “fantômes” qui ne s’effaceront pas », prévient Philippe Brenot. Pas la peine non plus de sombrer dans la rage et la colère (pas trop !) : « L’infidèle s’est mis en défaut, mais ça n’arrive pas pour rien, prévient Marc Pistorio. Il a utilisé une réponse à une difficulté au sein de la relation. En passant à l’acte, il a ajouté un problème à surmonter. Mais fermer les yeux pour ne rien affronter, s’installer dans l’incommunicabilité ne règle rien et c’est destructeur. » Alors, pour donner une chance au couple, il va falloir dialoguer, mettre cartes sur table et procéder à une analyse lucide des comportements, des dysfonctionnements, des désirs et des frustrations. « Ce qui n’exclut pas d’obtenir réparation, indique Gérard Apfeldorfer (7), psychiatre. “Tu m’as fait mal, tu m’as mise dans une situation difficile, alors que vas-tu faire pour rétablir l’équilibre ?” devraient demander, en substance, les amoureuses bafouées à leur compagnon. Il va falloir des attentions sincères et convaincantes, des actes capables de contrebalancer l’humiliation subie, de gommer les tourments. » Pour que la sensibilité, la sexualité, l’intimité, la dignité de chacun soient l’objet de tous les soins. Pour transformer la crise en nouveau départ.

7. « Les Relations durables » (éd. Odile Jacob).

L’addiction sexuelle existe-t-elle ?

L’addiction sexuelle existe-t-elle ?

« Sex addict », c’est une maladie ? Les thérapeutes de couple en sourient : « Aux Etats-Unis, on se réfugie derrière cette approche car l’emprise de la religion est encore forte », tranche Gérard Apfeldorfer. Incontrôlable, la propension à séduire tous azimuts ? « La norme est d’apprendre à détourner une partie de la libido et de l’énergie qu’elle dégage vers d’autres activités que le sexe, explique Gisèle Harrus-Révidi. Certains ne font pas cette sublimation. » Ceux qui ont le pouvoir, l’argent, la reconnaissance sociale ont besoin de chercher de nouvelles sources d’excitation. « Ils ne se contentent pas d’une maison, d’une voiture, d’une femme... », complète Philippe Brenot. De l’avis de ces spécialistes, derrière la « sex addiction », il y a toujours la marque d’un individu, de son histoire, « une problématique de l’engagement et de l’honnêteté. »


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