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La ligne dure du trumpisme à l’épreuve de l’exercice du pouvoir

lundi 13 février 2017

Trois hommes, longtemps marginalisés par un « système » qu’ils exècrent, sont à la manœuvre auprès de Donald Trump. Les décisions du président portent leur marque.

Ils sont unis autant par l’idéologie que par l’envie de régler des comptes avec un système politique qui les a longtemps cantonnés à sa marge, alors qu’ils en occupent désormais le centre. Stephen Bannon, Stephen Miller et Jeff Sessions ont été les artisans de la victoire de Donald Trump. Ils sont désormais attelés à la traduire dans les faits, notamment par un tapis de bombes de décrets présidentiels.

Les débuts mouvementés de la nouvelle administration porte leur marque, notamment le décret anti-immigration dont la suspension a été confirmée par une cour d’appel de Californie, jeudi 9 février, une décision qui constitue son premier gros revers.

Il y a un an, Jeff Sessions n’était encore qu’un sénateur méconnu du Parti républicain, élu et réélu pendant vingt ans dans le bastion sudiste de l’Alabama. Sa confirmation, le 8 février, à une fonction régalienne, celle d’attorney général des Etats-Unis (ministre de la justice), a effacé son échec de 1986, lorsque le Sénat s’était opposé à la nomination de ce juriste à une cour d’appel pour des propos prêtant le flanc à des accusations de racisme.

Miller, un franc-tireur

La procédure de confirmation, qui s’est déroulée dans un climat tendu, a ravivé ce souvenir, mais ce sont les positions de M. Sessions sur l’immigration, illégale comme légale, qui se retrouvent dans une bonne partie des décisions de M. Trump.

Les deux hommes s’étaient rencontrés pour la première fois en 2005, lorsque le sénateur avait invité le magnat de l’immobilier à témoigner au Sénat contre le coût jugé exorbitant de la rénovation du siège des Nations unies, à New York.

En 2014, le sénateur de l’Alabama avait aussi ferraillé contre un projet de réforme de l’immigration élaboré par des sénateurs démocrates et républicains, mais finalement bloqué par la Chambre des représentants. Il avait pu compter alors sur l’activisme de son responsable de la communication, Stephen Miller, pas encore trentenaire.

Ce dernier, issu d’une famille de démocrates de Californie aujourd’hui convertis au conservatisme, a très tôt donné libre cours à son tempérament de franc-tireur.

Il occupe désormais les fonctions de conseiller politique du président à la Maison Blanche. Et il est aussi sa « plume ».

En bon disciple du polémiste David Horowitz – considéré aujourd’hui comme islamophobe par le Southern Poverty Law Center, spécialisé dans le suivi des groupes radicaux –, il est entré en guerre dès ses plus jeunes années contre ce qu’il considère être la chape de plomb culturelle pesant sur les Etats-Unis. C’est d’ailleurs par le biais de M. Horowitz que Stephen Miller avait pu rencontrer Jeff Sessions au Congrès et devenir l’un de ses assistants.

Consécration du « grand manipulateur »

Auprès du sénateur, il a pu mesurer l’effet de levier que procurait un soutien médiatique. Jeff Sessions a en effet disposé de celui, inconditionnel, du site BreitBart News, dirigé depuis 2012 par Stephen Bannon.

Ce dernier est la figure désormais la plus connue de cet axe en place au cœur de la nouvelle administration américaine et notamment à la Maison Blanche, où il occupe les fonctions de conseiller stratégique.

Une couverture du magazine Time, accompagnée du titre « Le grand manipulateur », a consacré sa prépondérance début février, sanctifiée par l’officialisation de sa présence aux réunions stratégiques du Conseil de sécurité nationale, une première pour un non-expert.

Cette promotion, pour un homme passé par la Navy et Goldman Sachs mais dépourvu d’expérience dans les affaires publiques, a été critiquée par l’ancien chef d’état-major Mike Mullen dans une tribune publiée par le Washington Post.

Autre preuve de sa consécration, Stephen Bannon a fait l’objet d’une question sur son image dans le dernier sondage de la Quinnipiac University, aux côtés du président, du vice-président Mike Pence et des responsables du Sénat, le républicain Mitch McConnell et le démocrate, Chuck Schumer.

Parmi la multitude de décrets signés par M. Trump depuis le 20 janvier, une partie relève certes du programme républicain classique. Il s’agit des mesures en faveur de la dérégulation, en particulier celle de Wall Street, de la relance de projet d’oléoducs demandée avec insistance par le lobby pétrolier, ou encore de la suppression de la réforme de la couverture sociale créée par l’administration précédente, du fait du rôle central que cette dernière réserve au gouvernement fédéral.

Nationalisme économique

Une autre partie relève en revanche des convictions du trio, partagées par M. Trump. Lors du débat organisé au Congrès en 2015 pour accorder au président Barack Obama des pouvoirs accrus en matière de négociation de traités commerciaux, Jeff Sessions avait été l’un des rares élus républicains à faire part de son opposition à des accords qui, selon lui, empiètent sur la souveraineté américaine.

Le sénateur de l’Alabama avait considéré que les projets de traités alors en vue avec des pays riverains du Pacifique et avec l’Union européenne lui évoquaient la mise en place d’un espace supranational. Il avait d’ailleurs fait la comparaison avec les débuts de la construction européenne, évidemment pour le déplorer.

Cette défiance est partagée par Stephen Bannon qui développe par ailleurs la vision d’une entité occidentale menacée par l’éloignement des valeurs judéo-chrétiennes, et par la sécularisation de la société.

A peine arrivé à la Maison Blanche, M. Trump a fait la preuve de la vigueur de son protectionnisme – que M. Bannon assimile à un nationalisme économique –, en retirant les Etats-Unis du projet de libre-échange dans le Pacifique.

Le décret anti-immigration qui prévoit un gel des entrées en provenance de sept pays à majorité musulmane d’Afrique et du Moyen-Orient porte aussi la signature des trois hommes, en plus de celle du président. Selon la presse américaine, MM. Bannon et Miller, auraient été décisifs pour que le texte soit rédigé sans consulter les agences concernées.

Rupture

Le décret concernant la lutte contre l’immigration illégale en provenance de la frontière Sud des Etats-Unis est frappé du même sceau, tout comme les attaques contre un système de visas (H-1B) considéré comme un facteur de sous-traitance favorable aux sociétés étrangères.

M. Trump a cependant résisté jusqu’à présent à l’exhortation de M. Sessions de remettre en cause un décret de M. Obama protégeant les sans-papiers arrivés aux Etats-Unis alors qu’ils étaient mineurs. De même, le président n’a pas nommé comme juge à la Cour suprême le protégé de l’ancien sénateur de l’Alabama, William Pryor, un choix jugé trop provocateur compte tenu des prises de position radicales de ce dernier.

Un dernier texte est inspiré de la campagne : celui qui vise à séparer plus strictement les activités politiques de celles de conseil et de lobbying. M. Trump a aussi été élu sur la promesse d’« assécher le marigot » que représente selon lui Washington, où les élus font souvent le va-et-vient entre le Congrès et les groupes d’intérêts.

MM. Miller et Bannon ont activement milité par le passé contre des figures républicaines jugées trop liées à ces milieux, qu’il s’agisse de l’ancien responsable de la majorité à la Chambre des représentants, Eric Cantor, ou du speaker (président) de la même assemblée, Paul Ryan.

Car la rupture avec une partie des idées classiques du Parti républicain ne vise pas des aspects secondaires de son programme. Le conseiller stratégique de M. Trump ne cache pas son ambition, partagée par MM. Miller et Sessions, de transformer en formation populiste un « Grand Old Party » (GOP) jugé sous la coupe d’un « globalisme sans âme », selon l’expression du nouvel attorney général des Etats-Unis. Une formule que MM. Miller et Bannon ont également faite leur.


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