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Boulos à Martelly : « Vous devez, toujours et partout, vous interdire de dire ou faire n’importe quoi »

mercredi 15 mars 2017

« Vous risquez de sortir du chemin noble et honorable que le destin vous a réservé en faisant de vous le 56e Président de la République d’Haïti », écrit Reginald Boulos, figure de proue du secteur privé haïtien, dans une lettre datée du 10 mars 2017 et adressée à l’ex-président Michel Martelly, dont Le Nouvelliste a obtenu copie. La lettre de Boulos à Martelly intervient après la performance du président chanteur au carnaval des Cayes. Boulos fait référence à : « l’utilisation abusive et incendiaire de la liberté de parole » et à la polémique qui oppose l’ex-président à deux membres de la presse haïtienne. La lettre.

National -
Port-au-Prince, le 10 mars 2017
M. Michel Joseph Martelly 56e Président de la République.
En ses bureaux.
Monsieur le Président,
C’est après mûres réflexions et beaucoup d’hésitation que j’ai décidé de vous écrire cette lettre ouverte, inspirée de l’amour que nous portons tous pour notre pays. Nos expériences communes, lors de la crise de 2014 dans laquelle vous m’avez permis de jouer un rôle essentiel en vue de conjurer le spectre du chaos qui menaçait notre chère Haïti, me confèrent, sans doute, je pense, le droit citoyen de m’adresser à vous et à tous mes concitoyens pour faire appel aujourd’hui à cette sagesse que devrait faire naître en nous notre désir intense de voir ce pays sortir de l’abîme.

Loin de moi toute idée de vouloir, comme d’autres essaient de le faire, jeter le blâme sur l’un ou l’autre dans cette déchirure morale et sociale qui tourmente actuellement notre pays. Je tiens surtout à partager avec vous un message qui m’est venu du cœur. Un message du cœur pour vous dire, en toute modestie et toute fraternité, que vous risquez de sortir du chemin noble et honorable que le destin vous a réservé en faisant de vous le 56e Président de la République d’Haïti. Notre pays ne connaitra point la stabilité et le développement tant que nous ne briserons pas cette chaîne de revanches qui polarise et déchire le corps social haïtien depuis des lustres.

En effet, les évènements regrettables de ces dernières semaines s’inscrivent dans cette lignée de violences physiques et verbales qui agitent notre société depuis plus de trente années. Nous, Haïtiens, pensions, raisonnablement, qu’était révolu le temps des horreurs de la mise à mort par le supplice du collier, des disparitions inexpliquées, du laxisme, de la lutte sélective et partisane contre la corruption. Pourtant, d’une part, le pays assiste, avec inquiétude et amertume, à des attaques continues sur les libertés individuelles, et, de l’autre, à l’utilisation abusive et incendiaire de la liberté de parole jusqu’à cette polémique qui vous oppose à deux membres de la presse haïtienne. Cette polémique est l’expression d’un drame social très profond marqué par une dilution des mœurs, une perte de sens et de valeurs, et une propension, apparemment incontrôlable, à la destruction de l’autre dans l’articulation des frustrations et animosités interpersonnelles, avec des conséquences négatives sur l’avenir de nos enfants.

Il convient de nous dépasser et de faire, tous, preuve de transcendance en cassant résolument cette dynamique d’invectives. Nous devrions nous ressaisir et démontrer, en gens de bien et pétris d’abnégation et de civilités, par nos paroles et nos actes, que l’esprit de transcendance et de générosité est de loin plus grand et plus noble que l’instinct de revanche.

Je me sens d’autant plus à l’aise, Monsieur le Président, à vous adresser ces mots que ma famille et moi faisions l’objet de viles calomnies et d’attaques inouïes, une vingtaine d’années durant. Vous noterez que, jamais, nous n’avions cédé à la tentation de nous ravaler au caniveau d’où nous étions farouchement attaqués et de répondre à nos détracteurs par des actions qui ne font pas honneur à notre famille et qui contredisent notre système de valeurs.

Monsieur le Président,

Notre peuple vous a élevé, par son vote, à la Magistrature Suprême de l’État. Aux droits qui s’y rattachent s’associent, évidemment, des devoirs auxquels il n’est point permis de se soustraire, comme celui de toujours montrer de la retenue et de manifester du respect envers ses concitoyens. Si d’autres, regrettablement, se croient en droit de dire ou faire n’importe quoi en tout temps et tout lieu, vous, par contre, devez, toujours et partout, vous interdire de dire ou faire n’importe quoi.

Votre statut d’ancien chef d’État vous commande plutôt d’agir en modèle et en leader pour amener nos frères et sœurs haïtiens, notre communauté humaine traversée d’angoisses et de dissensions perpétuelles, à se réconcilier avec elle-même dans la concorde, l’harmonie, le respect de l’un pour l’autre, et la tolérance mutuelle dans la diversité des goûts et des préférences individuels. Vous aurez beaucoup mérité de la patrie si vous saisissez l’opportunité enviable qui vous est offerte par l’histoire et le destin de servir de modèle à nos enfants et nos jeunes. Loin de la trivialité de l’ordinaire, le statut de Président est à réinscrire dans l’ordre suprême de grandeur et de prestige qui est naturellement et conventionnellement le sien.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mon profond respect.

Dr Reginald Boulos

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