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National - J’ai rencontré Manno Charlemagne...

mercredi 13 décembre 2017

National -

J’ai rencontré Manno Charlemagne très tard dans sa vie et probablement après tout le monde. Je l’ai découvert en septembre 2009, quelques jours seulement après mon arrivée en Haïti, en entendant sa voix à la radio.

Ça a été un véritable choc. Je ne comprenais pas ses mots mais je pouvais déjà saisir le sens de ses chansons. Il y avait du Félix Leclerc dans sa façon de jouer, du Brassens dans la limpidité de ses mélodies, du Vladimir Vissotski et du Victor Jara dans les puissants tremblements de sa voix. J’ai vite compris qu’il appartenait à la grande famille des chanteurs à texte. Celle-là même qui m’a façonné musicalement et que j’invitais les soirs chez moi pour un tour de chants solitaire. Tout en m’étant inconnu, Manno m’était terriblement familier.
La première fois que j’ai assisté à un concert de Manno, dans un bar de Pétion-Ville, j’ai été surpris de constater que j’étais le seul à lui demander un autographe. Manno me rappelait souvent cette anecdote car il trouvait assez saugrenu qu’un « blan » lui fasse une telle demande. Je ne lui ai pas dit que j’avais compris à ce moment qu’il était un vrai patrimoine vivant et que, comme tout monument, il ne pouvait être bien visible qu’avec la distance que mon regard externe pouvait me conférer.
C’est peut-être un peu pour lui rendre hommage que j’ai voulu apprendre ses chansons. Je me suis mis à chercher ses disques et je me souviens avoir eu beaucoup de mal à trouver ses textes, que ce soit sur Internet ou en librairie. Je n’avais que des enregistrements. C’est donc avec un genre de folie propre aux autodidactes que je me suis mis à retranscrire ses textes en même temps qu’on me les traduisait.
Un jour, j’assistais à un concert de Manno et Wooly Saint-Louis quand ce dernier, qui connaissait mon genre de folie, m’invite à monter sur scène pour jouer avec Manno. Celui-ci resta sceptique et m’a dit : « Ki sa w konn n jwe ? ». Je lui répondis en commençant avec les accords de « Zanmi pre » en utilisant son style d’arpèges si caractéristique. Rassuré, il m’a souri et on a enchainé les chansons sans répétition.
Depuis ce jour et malgré sa maladie, on s’est retrouvés plusieurs fois à la maison. Je me souviens de ce soir où, prenant la guitare, il s’était mis à chanter « Bonsoir mes amis » de Frédérik Mey. Il me disait dans son créole trop imagé et rapide pour moi que Françoise Hardy et Frédérik Mey avaient été ses deux premières influences qui lui ont donné le goût de la chanson.
Derrière une apparente simplicité, le répertoire de Manno est d’une incroyable précision mélodique. Au-delà d’être « la voix qui dit merde » comme le dit affectueusement Lyonel Trouillot, Manno était aussi la voix sensible qui savait rendre hommage et se souvenir dans un pays où on oublie vite. Ces chansons comme Pou Lobo ou Pou Gasner Raymond restent des chefs-d’œuvre et sont à leur manière aussi des chansons engagées.
Aujourd’hui, je fais le vœu que soit créé un prix Manno Charlemagne qui récompense les jeunes poètes et chansonniers engagés de ce pays, emprunts des mêmes idéaux de justice et de liberté hérités de l’œuvre de Manno.

Christian Ubertini cubertini@bluewin.ch
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