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Patrice Dumont, un sénateur sous haute surveillance

vendredi 15 décembre 2017

Portrait de Parlementaires Le sénateur Patrice Dumont, 59 ans, n’a pas droit à l’erreur dans sa nouvelle fonction. Il aura fort à faire pour ne pas décevoir une certaine « masse critique » de la population qui a misé gros sur ses capacités et sa notoriété à faire les choses autrement au grand Corps. Une tâche qui paraît de plus en plus difficile dans un Parlement jouissant d’une perception négative.

National -
Qui ne le connaît pas ou n’a jamais entendu parler de lui d’une façon ou d’une autre ? Patrice (Pépé) Dumont, né le 22 octobre 1958, fin connaisseur du football, ancien entraîneur d’ailleurs, analyste politique et commentateur sportif, sans conteste se passe de présentation. Le natif de Léogane, fils d’instituteur et institutrice, siège au Parlement haïtien depuis février dernier comme sénateur du département l’Ouest. Cette nouvelle fonction qu’il occupe à la suite des élections législatives de novembre 2016 est perçue comme une sorte de couronnement d’une carrière riche en rebondissements.

Le politique

À l’instar de beaucoup de jeunes de sa génération minée par la dictature des Duvalier, Patrice n’a jamais été indifférent à la politique dès son jeune âge. Ce virus l’a piqué dès son entrée à l’Ecole normale supérieure en 1978. Sans doute avec l’influence de certains professeurs comme Roger Petit-Frère ou Rémy Zamor. Ainsi , en 1981, il s’est fait inscrire au Rassemblement des démocrates nationaux progressistes (RDNP) de Lesly François Manigat pour militer et se perfectionner en politique. Patrice Dumont n’est pas tombé du ciel. Il s’était engagé sur le terrain dans lutte contre la dictature. « En 1986, j’étais à la tête de la jeunesse revendicative et contestataire à Léogâne contre le régime des Duvalier et contre l’embauchage des paysans haïtiens pour la zafra en République dominicaine », soutient-t-il, comme pour prouver son engagement politique.

La marche vers le Sénat

On le voyait au four et au moulin derrière la candidature de Mirlande H. Manigat lors de la présidentielle de 2010. Son choix de se porter candidat sous la bannière d’un petit parti politique au récent scrutin étonnait plus d’un. Mais son divorce avec son parti formateur a déjà été consommé à la cloche de bois bien avant. Motif de cet abandon ? « J’ai dit mille fois que j’étais en désaccord avec la direction que prenait le RDNP depuis 2013, explique le sénateur Patrice Dumont. J’étais surtout préoccupé par son absence répétée aux élections, son oblitération au profit de l’émergence du MOPOD et certaines attitudes jugées inaptes à faire avancer la démocratie. Voilà grosso modo pourquoi je n’ai pas été candidat sous la bannière du RDNP. »

À l’approche des élections de 2015, Patrice Dumont, ex-cadre du RDNP, se lance dans une campagne de charme pour obtenir la bannière du Rassemblement des patriotes haïtiens (RPH) dont son frère est le coordonnateur. Et pour cause, il a été candidat unique du parti aux élections législatives accompagné d’une dizaine d’autres pour les ASEC et CASEC.

Singleton au Sénat

Parce qu’une masse critique de la société mise gros sur lui pour changer la donne au Parlement, le sénateur Dumont n’a pas droit à l’erreur. Ses actions, ses positions au Sénat sont scrutées, suivies à la loupe. Singleton au Sénat, l’élu de l’Ouest n’y voit pas un avantage particulier ni un inconvénient. Il n’est pas le seul dans cette posture d’ailleurs. « Je suis membre d’aucun groupe politique au Sénat. Il m’arrive parfois de voter du coté de la majorité ou avec la minorité », bafouille l’homme de Léogâne, soulignant néanmoins que cette solitude lui a permis d’être autonome dans sa réflexion dans l’assemblée.

Du haut de ces quatre mois au Senat , si Patrice Dumont a toujours fait bonne figure dans les débats, ses rares actions concrètes déjà posées ont suscité des remous dans la société. Tranchant dans son plaidoyer lors de la présentation de l’énoncé de politique générale du Premier ministre Jack Guy Lafontant, l’on s’attendait à ce qu’il vote contre le document. Il s’était de préférence abstenu. De plus, en votant en faveur de la résolution sur le dossier Guy Philippe et de la loi sur la diffamation, le sénateur n’a fait qu’attirer la foudre de ses admirateurs. Ajoutez à cela, le fait qu’il a accepté la subvention d’un million de gourdes durant la période pascale. Cette attention soutenue de ses mandants est pour lui « un grand challenge ».

Membre de trois commissions permanentes, l’ancien animateur vedette de la très prisée émisssion sportive « SportisIbo »promet de tout faire pour ne pas décevoir ses mandants et tous ceux qui misent sur lui durant son passage au Sénat. Mais au lieu de parler de fierté dans sa décision, il préfère parler « d’utilité en apportant sa touche à des questions fondamentales ». Il dit être prêt à défendre ses actes.

En ce qui a trait à son abstention par rapport au vote donné à la politique général du premier Premier ministre de Jovenel Moise, il explique que « c’est une opération arythmétique à somme nulle ». « J’ai été à 50% pour un nouveau gouvernement, car une majorité sans équivoque a fait le choix de Jovenel Moise comme président, et 50% contre, parce que le texte présenté par le Dr Lafontant n’avait rien de programmatique. Dans ce cas, c’est une opération à somme nulle, d’où mon abstention », telle est la démonstration du sénateur Patrice Dumont pour défendre son vote.

Sans pourtant faire de mea culpa, le sénateur indique que s’il y a confusion entre liberté de la presse et diffamation dans la loi sur la diffamation votée en première lecture par le Sénat, « j’enjoins mes collègues députés à rectifier le tir. Je ne suis pas de ceux qui fuient les difficultés. Car la bataille pour protéger la vie privée, promouvoir la parole vraie et utile ne doit pas cesser ». Pour ce qui concerne la résolution sur le dossier Guy Philippe, il souligne avoir été seulement intéressé au principe du respect de la Constitution, de la citoyenneté haïtienne et de notre souveraineté dans le texte. Enfin, pour la subvention d’un million de gourdes, Patrice Dumont de défendre : « J’avais recu le chèque. J’ai distribué l’argent à des associations et institutions ainsi qu’à de nombreuses personnes en difficulté. J’ai commis la faute de n’avoir pas tout de suite mesuré le pouvoir de corruption de cette forme de subvention. C’est pourquoi j’ai remis de mes fonds propres l’argent au Trésor public. Plus jamais, je ne recevrai ce genre de subvention. »

L’enseignant

Dès octobre 1979, la carrière de Patrice Dumont était déjà lancée. C’est avec un bâton de craie qu’il a obtenu son premier job comme enseignant d’histoire, de géographie et de français au niveau secondaire. Cependant, il lui a fallu attendre l’année 1984 pour commencer à atteindre son pic comme professionnel de l’enseignement. Jusqu’en 2005, il s’est donné corps et âme, à temps plein, dans l’enseignement où il accumulait 35 heures de cours par semaine.

L’entraîneur de football

A côté du difficile métier d’enseignant, le fils du couple Marie Lucie Beaubrun et Christian Dumont débute sa carrière d’entraîneur professionnel au club Cavaly de Léogâne, dont il est l’un des fondateurs le 19 mai 1975. Mais bien avant, il entraînait le club sportif Saint-Louis de 1982 à 1985. Puis s’ouvre sa belle expérience d’entraîneur de la sélection nationale de football des U-23 pendant deux ans ( 1990-1992). N’ayant pas fait de grands exploits durant sa carrière d’entraîneur, Patrice Dumont a quand même de bons souvenirs. « Nous avions éliminé les sélections cubaine et de Sainte-Lucie lors des éliminatoires des Jeux Olympiques de 1992. Nous étions éliminés au troisième tour en faisant un match nul (2-2) au Panama », a-t-il rappelé, arguant que le coup d’État du 30 septembre 1991 nous avait empêchés de recevoir le match retour et d’avoir la chance de jouer un match de barrage. Le pire cauchemar de Pépé sur les bancs d’une équipe est la défaite de la sélection nationale devant la sélection américaine sur un score de tennis (8-0) dans le Colorado Springs. Il a également entraîné l’Aigle noir de 1998 à 2000.

Entre 2000 et 2001, Pépé a repris la tête de la sélection nationale de football pour la campagne des jeux panaméricains de 2001 à Salvador. L’équipe nationale a perdu en demi-finale contre l’équipe hôte dans les séances de tirs au but face au Costa-Rica, et a du coup raté une médaille de bronze.

Un passionné de micro

Ex-présentateur et commentateur sportif à la Télévision nationale d’Haïti, il a coanimé, de 2006 à 2011, sous la proposition de Claude Moise, une émission d’analyse politique « Pi lwen pi fon » sur les ondes de Radio Vision 2000, aux côtés de la journaliste Marie Lucie Bonhomme. Il a abandonné cette aventure pour aller supporter la campagne de Mirlande Manigat lors de l’élection présidentielle de 2010.

Son enfance

Elevé dans la Cité d’Anacaona dans une famille de cinq enfants, dont il est le troisième, Patrice Dumont se rappelle encore de son enfance. « Mon enfance était à la fois turbulente et heureuse, confie celui qui va se tailler une place de choix dans la cour des Grands quelques temps plus tard. Personne, explique-t-il, n’a pratiqué autant de jeux que moi durant son enfance. Je veux parler de billes, toupie, marelle avec les filles, la corde, les contes, lago, le football, etc. »

Jusqu’à aujourd’hui encore, rien ne lui a échappé. Patrice Dumont a en mémoire beaucoup de souvenirs de son enfance. Bons comme mauvais. S’il ne se souvientpas de sa première raclée, il a toutefois souligné que cela était monnaie courante. « J’ai été souvent corrigé par ma mère surtout, ajoute le sénateur Dumont. Je crois avoir enregistré au moins 150 raclées."

Son éducation

Après sa maternelle chez Roselaure et Mario Joachim, le jeune Patrice a réalisé ses études primaires chez les Frères de Léogâne. Il est, par la suite, entré à Port-au-Prince pour poursuivre ses études classiques et universitaires. Il a fréquenté l’Institution secondaire Gérard Gourgues, puis le lycée Toussaint Louverture ou il a obtenu son baccalauréat.
Quitter son coin de confort à Léogâne pour venir s’installer à la capitale n’était pas une partie de plaisir pour l’homme à la taille de 1,66 mètre. La transition était difficile. « Ce n’était pas le même environnement familial. J’ai été accueilli dans un environnement social complexe par une tante appelée Stanella Lambert Lissade, en compagnie de mes frères et cousins. »

Alors qu’il est en Philo A au lycée Toussaint, Patrice Dumont a fait une rencontre qui va marquer tout le reste de sa vie. Il s’agit de Fritz Bissereth, l’un de ses meilleurs amis. C’est à partir de ce moment que son goût pour la culture général commence à se préciser. « J’avais du temps pour jouer au football, fréquenter la bibliothèque de l’Institut français, écouter les émissions sur le cinéma animées par Jean Léopold Dominique, assister à des conférences de Gérard Gourgues, Hubert Desronceray, Roger Gaillard, Grégoire Eugène, etc. »

Son baccalauréat en poche, il est inscrit en 1978 au département des Sciences sociales de l’École normale supérieure et à l’Institut national d’administration, de gestion et de hautes études internationales pour des études en relations internationales. Parallèlement, il a réalisé des stages d’entraîneur de football et d’administrateur sportif.

Patrice Dumont s’est marié avec Nancy René. Il est père de deux garçons, Jetry et Irtan Dumont. Leslie François Manigat est son modèle et son mentor.

Yvince Hilaire
Auteur


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