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George Weah, l’enfant du ghetto devenu président du Liberia

mardi 2 janvier 2018

L’ancien footballeur a été élevé par sa grand-mère dans le bidonville de Clara Town. Sa popularité est exceptionnelle parmi les classes les plus défavorisées

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Le champion a pleuré. Jeudi 28 décembre, George Weah, l’étoile du football africain, a remporté une des victoires les plus importantes de sa vie. Mais dans son propre pays cette fois-ci. A 51 ans, l’ancien footballeur international vient d’être largement élu président du Liberia, avec 61,5 % des voix, contre 38,5 % pour son adversaire, le vice-président sortant, Joseph Boakai. Devant une foule en transe venue applaudir son « héros », « celui qui va enfin [leur] donner une voix », comme le répétaient ses partisans, il a du mal à cacher son émotion.
Sa popularité, déjà importante pendant sa carrière à l’étranger, est exceptionnelle parmi les classes les plus défavorisées de Monrovia, qui représentent l’essentiel de la population, entassée dans les nombreux ghettos que compte la capitale. « Imaginez que vous vivez dans un pays où une petite élite a tout, et le reste n’a rien. Aujourd’hui, notre nouveau président va redonner son pouvoir au peuple », expliquait, les larmes aux yeux, une vieille dame venue participer aux festivités.
L’élection de 2017 marque un tournant dans l’histoire du Liberia. Pour la première fois depuis la création du pays, en 1822, le vainqueur est un « enfant du ghetto ». La gloire mondiale du football des années 2000 est née à Clara Town, un bidonville entouré par la mer. Il a été élevé par sa grand-mère dans une petite maison délabrée, dans la plus grande pauvreté. Enfant, il travaillait déjà, comme réparateur de téléphones. Mais le ballon, qu’il a toujours aimé taper dans les ruelles boueuses du ghetto, va changer sa vie.
Après des débuts comme gardien de but dans un petit club de la banlieue de Monrovia, George Weah se retrouve au poste d’avant-centre dans un club camerounais. En 1988, alors âgé de 22 ans, le jeune footballeur est repéré par le Français Arsène Wenger, entraîneur à l’époque de l’AS Monaco. La même année, il s’envole pour la principauté.
Engagé dans l’humanitaire
Pendant quatorze ans, l’attaquant va alors jouer dans les plus grands clubs européens, du Paris-Saint-Germain (PSG) au Milan AC, en passant par Chelsea, Manchester City et l’Olympique de Marseille. En 1995, George Weah, qui reste très attaché à la France, dont il a obtenu la nationalité et parle couramment la langue, remporte le Ballon d’or pour ses prestations avec le PSG en Coupe d’Europe. Jusqu’à aujourd’hui, il est l’unique Africain détenteur du titre.
Pendant ce temps, au Liberia, une guerre civile ravage le pays, de 1989 à 2003. George Weah est absent de ce conflit, qui fit quelque 250 000 morts pendant qu’il menait sa brillante carrière en Europe. « Je n’ai jamais entendu un seul Libérien critiquer Weah pour ça, dit Hassan Bility, militant des droits humains. Au contraire, pour eux, il était la seule chose positive que le Liberia avait à ce moment-là : une success story qui donnait une image brillante, pour une fois, du pays. »
En France, George Weah s’engage dans l’humanitaire. Le joueur plaide alors pour la paix au Liberia, appelant l’ONU à sauver son pays. En représailles, des rebelles brûlent sa maison de Monrovia et prennent en otage deux de ses cousins.
Du temps de Charles Taylor, ancien chef de milice devenu chef de l’Etat, la star du ballon rond « jure de ne plus rentrer au pays tant qu’il est président », confie un de ses proches. Alors qu’il vit aux Etats-Unis, installé en famille à Miami, où il a fait construire une maison, « des proches sont venus le voir pour lui demander de se présenter aux élections de 2005, raconte Hassan Bility. Il était le seul, du fait de son absence, à ne pas avoir été impliqué dans la guerre. C’était le candidat neutre ».
Un fils du peuple
De retour au Liberia, George Weah décide de s’engager dans la vie politique de son pays. Mais pour ravir la présidence, le chemin est plus long que prévu. En 2005, il est battu par Ellen Johnson Sirleaf, l’actuelle présidente sortante. Six ans plus tard, revoyant ses ambitions à la baisse, il se présente à nouveau contre Mme Sirleaf, cette fois sur le ticket électoral de l’opposition. Encore un échec. Finalement, il est élu sénateur du Montserrado, où se trouve la capitale, en 2014.
Si la présidente sortante – première femme chef d’Etat en Afrique – a réussi à maintenir une paix pourtant fragile, le pays est à bout de souffle : 64 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, 62 % des 15-24 ans n’ont pas achevé leurs études primaires et 31 % des Libériens souffrent de sous-nutrition. Dans ces conditions, le discours de George Weah en direction des plus défavorisés a porté, et c’est probablement cela qui l’a mené à la victoire.
Son statut de fils du peuple a aussi joué. Membre de l’ethnie krou et ne faisant pas partie de l’élite descendant d’esclaves affranchis aux Etats-Unis, appelés les « congos », qui dominent traditionnellement la vie politique, George Weah est considéré comme un « native », mot utilisé pour décrire les Libériens d’origine.
« Au Liberia, il existe un système d’apartheid, en quelque sorte, car les esclaves affranchis ont instauré une ségrégation et ont dirigé le pays sans interruption depuis », analyse Maurice Mahounon, docteur en sciences politiques. A l’exception de la présidence de Samuel Doe (1980-1990), qui a pris le pouvoir grâce à un coup d’Etat. « Là, Weah n’a aucun lien avec cette caste », appuie M. Mahounon.
Les critiques ne manquent toutefois pas. On lui a notamment reproché son manque d’éducation – même s’il est titulaire, depuis 2011, d’un master en management d’une institution privée américaine. A cela, le peuple répond : « Au moins, lui, il connaît nos problèmes. Il travaillera sans relâche pour nous aider. »

Des supporteurs de George Weah près du QG de campagne du nouveau président, le 29 décembre. Crédits : SEYLLOU / AFP
Autre reproche, son programme électoral qui ressemble à un catalogue de bonnes intentions. Et les vraies solutions pour éradiquer la corruption, développer les infrastructures, l’éducation et relever le système de santé manquent à ses promesses.
George Weah compte peut-être sur sa colistière, Jewel Howard-Taylor, une ancienne banquière et sénatrice du comté de Bong, pour pallier son manque d’expérience. Mais elle est aussi l’ex-femme de Charles Taylor, condamné en 2012 par la justice internationale à cinquante ans de prison pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre en Sierra Leone voisine.
Une telle alliance, autant que le soutien, au second tour, de Prince Johnson, qui s’était fait connaître en 1990 en faisant filmer la mise à mort du président Samuel K. Doe, qu’il venait de capturer sur le port de Monrovia, fait planer le doute sur ses intentions de traduire en justice les principaux responsables de la guerre civile. Au Liberia, ceux-ci n’ont jamais été condamnés pour leurs crimes commis sur le territoire.
Pour l’heure, à Monrovia, les nombreux partisans de « Mister George » n’ont aucun doute quant à sa capacité à changer leur vie. « George Weah peut changer les choses. Mais les gens attendent trop de lui », avertit toutefois Hassan Bility.


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