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« Popeye », le bras droit d’Escobar aux 565 victimes, sort de prison

mercredi 27 août 2014

Après vingt-trois années passées en prison et 9 millions de pesos colombiens (3 500 euros) versés en caution, John Jairo Velasquez Vasquez est sorti mardi 27 août à 21 h 3 de la prison haute sécurité de Combita, où il avait passé ses douze dernières années de détention. Il faut dire qu’en matière de chiffres et de dates cet homme de 52 ans à la fossette facile et aux cheveux grisonnants aime la précision.

C’est en 1974, à 12 ans et 5 jours, que le petit John, qui grandissait dans la bourgade montagneuse de Yarumal, dans le nord de la Colombie, comprit qu’il était d’une espèce différente. Un jeudi, précise-t-il dans ses Mémoires.

Alors qu’il sort de l’école, le jeune garçon se rend chez son glacier préféré pour acheter une gourmandise. Il assiste alors à un règlement de comptes entre deux hommes. L’un des deux meurt d’un coup de machette dans la jugulaire. « Le sang a jailli. Les gens sont partis en courant, effrayés par ce déchaînement d’horreur. Je n’ai pas couru. Le sang me fascinait. »

C’est après cet événement que « lentement et sans [s]’en rendre compte », John Jairo Velasquez Vasquez est devenu « Popeye », le tueur à gages préféré du légendaire chef du cartel des narcotrafiquants de Medellin, Pablo Escobar.

« POPEYE, ES-TU PRÊT À MOURIR À MES CÔTÉS ? »

Engagé un temps dans la marine, puis après avoir intégré pendant quelques mois les cadets de la police nationale, l’homme végète en multipliant les petits boulots.

C’est en tant que mécanicien que John Jairo Velasquez Vasquez, surnommé « Popeye » du fait de son menton légèrement proéminent, est recruté pour la première fois auprès du « pire cauchemar de la Colombie », comme l’avait appelé le président Cesar Gaviria à la mort du baron de la drogue sud-américain.

Pablo Escobar, lancé dans le trafic de cocaïne en 1975, avait un problème avec son taureau mécanique, et un de ses proches avait employé John Jairo Velasquez Vasquez pour réparer le court-circuit. Après ce menu service, il rencontre Elsy Sofia Muriel Escobar, une beauté – couronnée reine de la Ganaderia, l’élevage de taureaux de corrida – dont s’est amouraché le trafiquant. La jeune femme l’embauche comme chauffeur et garde du corps.

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A son service, John Jairo Velasquez Vasquez découvre l’univers de Pablo Escobar, se lie d’amitié avec sa garde rapprochée : Otto, El Arete, La Kika, Tyson, ou encore le frère du narcotrafiquant, Roberto – baptisé « El Osito », littéralement « l’ourson ».

Quand le chef du cartel de Medellin se lasse de la compagnie de la reine de beauté, il lance au chauffeur : « Popeye, es-tu prêt à mourir à mes côtés ? » « Patron, vous ne mourrez jamais », lui répond le jeune homme. « C’était une telle évidence que je devais travailler pour lui, c’était comme si ma vie était réglée comme une horloge suisse », confessait en 2011 le tueur méticuleux.

UNE ASCENSION FULGURANTE

L’ascension fut ensuite fulgurante. En deux ans, il devient un homme de confiance de Pablo Escobar. Le 16 janvier 1988, il est derrière l’organisation d’un des plus hauts faits d’armes du cartel de Medellin : l’enlèvement d’Andres Pastrana Arango, alors candidat à la mairie de Bogota, pour faire pression sur les autorités colombiennes et réclamer le fin de la menace d’extradition de Pablo Escobar vers les Etats-Unis.

Une semaine plus tard, l’homme est retrouvé sain et sauf par la police. Il sera élu à Bogota et deviendra ensuite le 30e président colombien, entre 1998 et 2002.

Mais tous ceux qui ont croisé la route de Popeye n’ont pas eu cette chance. Après s’être rendu aux autorités en 1991 – quelques mois avant son patron –, il confesse devant la justice 25 meurtres, et la participation à 540 assassinats.

Un nombre qui ne comprenait pas les 101 victimes de l’attentat du vol 203 Avianca – commandité par Pablo Escobar pour éliminer le candidat à l’élection présidentielle de 1990 Cesar Gaviria, qui avait finalement eu l’idée, qui se révéla judicieuse, de renoncer à ce vol – ou les 52 morts du plastiquage de l’immeuble des forces sécuritaires du DAS, le 6 décembre 1989, en plein Bogota. L’homme a également confessé avoir commandité pas moins de 3 000 meurtres au nom du cartel de Medellin.

« MON ÂME EST MORTE »

Jugé pour l’assassinat, en 1989, du candidat à l’élection présidentielle Luis Carlos Galan, il est condamné à trente ans de réclusion. Si son patron s’échappera de prison avant d’être abattu en 1994 par la police, lui est resté.

C’est que l’homme a toujours répété avoir « des principes ». « Ne jamais tuer quelqu’un qui est accompagné d’un enfant », avait-il ainsi donné comme exemple en 2012 au magazine colombien Don Juan. Il affirme n’avoir jamais pris de drogue et avoir toujours observé une hygiène de vie lui permettant de « faire son travail au mieux ».

A la question de savoir comment quelqu’un pouvait tuer tant de gens et dormir paisiblement, l’homme avait formulé une réponse lapidaire : « Mon âme est morte. »

Popeye a pourtant confessé avoir parfois eu des doutes, notamment quand Pablo Escobar lui avait demandé d’éliminer sa compagne du moment, Wendy Chavarria Gil, accusée d’avoir transmis des informations sur le cartel à la police.

Mais, dans un entretien utilisé dans le document Les Victimes du cartel de Medellin, John Jairo Velasquez Vasquez expliquait : « Si pour tuer une seule personne qui posait problème à notre dieu, Pablo Escobar, nous devions tuer mille innocents, il n’y avait pas de problème, il n’y avait pas de remords. »

Une fidélité qui lui a valu quelques problèmes dans les quatre prisons où il a été enfermé aux côtés des membres de cartels ennemis. Popeye, qui affirme que sa tête était mise à prix à hauteur de 1 million de dollars, dit avoir échappé à sept tentatives de meurtre. Pour s’assurer une meilleure protection, l’homme a d’ailleurs collaboré à plusieurs reprises avec la police dans des affaires d’affrontements entre gangs.

Un comportement qui n’a pas apaisé pour autant les critiques après l’annonce de sa libération conditionnelle. « Le pays est-il prêt ? » s’interrogeait ainsi le quotidien colombien La Semana.

Dans un Etat où la violence liée au trafic de drogue est toujours quotidienne, se confronter à l’histoire de Pablo Escobar, devenu légende, est toujours aussi douloureux. Le bureau du procureur a cependant estimé que John Jairo Velasquez Vasquez avait fait son temps. Sa mise à l’épreuve sera de cinquante-deux mois et vingt-deux jours.

Interrogé sur ses projets une fois qu’il sera libre, Popeye explique vouloir « retrouver [s]on fils, faire des choses simples comme attendre [s]on tour à la banque pour obtenir un reçu, ou manger une glace ».

Charlotte Chabas


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