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« Un an après son entrée en fonctions, Trump reste obsédé par l’idée de se démarquer d’Obama »

mercredi 31 janvier 2018

Pour Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques, Trump reste un président qui entretient les clivages.

Appel à l’unité, économie, infrastructures, immigration, « Etats rivaux », Iran, Corée du Nord, Guantanamo… Alors que son mandat reste plombé par les soupçons de collusion de son entourage avec la Russie et à neuf mois des élections de mi-mandat, dans son premier discours sur l’état de l’Union, Donald Trump a joué la carte du rassemblement.
Selon Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et codirectrice de publication du site d’analyse et d’opinion Chronik, l’enjeu est de taille pour le président, qui doit élargir sa base électorale pour éviter de faire perdre aux républicains leur majorité au Congrès.

Après ce discours, peut-on dire que Trump est en voie de « normalisation » ?

Marie-Cécile Naves : L’exercice du discours sur l’état de l’Union se veut très formel. Il s’agit d’un discours qui a été préparé par ses conseillers et par le vice-président, et Donald Trump le lisait sur un prompteur.

Ce discours est un moment où, traditionnellement, le président appelle à l’unité et à la cohésion nationale. Il a parlé d’une Amérique « forte et fière », mais cela a toutes les chances de rester dans le registre incantatoire, sachant qu’il y a eu des précédents depuis un an — comme le discours qu’il avait prononcé en février 2017 devant le Congrès ou après chaque tuerie de masse, lorsqu’il appelle à l’unité.

Mais dans les faits, il reste un président qui entretient les clivages, ce qui se voit dans son propos, où l’immigration se résume, pour lui, à la violence, la drogue et au terrorisme.

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Trump ne risque-t-il pas de fâcher sa base très à droite et antisystème après ce discours finalement assez « consensuel » ?

Son discours n’est consensuel qu’en apparence : il appelle le Congrès à le soutenir dans les réformes à venir, il promet un vaste plan d’infrastructures — dont on ne sait comment il sera financé —, il se prévaut d’avoir redressé une Amérique qui allait mal sur tous les plans, notamment sur le plan économique. En réalité, il a bénéficié des plans de redressement de son prédécesseur, et sa grande réforme fiscale va bénéficier aux grandes entreprises et aux plus aisés.

Par exemple, on ne trouve aucune mesure en faveur des « oubliés » de l’Amérique, auxquels il avait fait tant de promesses. Mais sa base très à droite sera sans doute satisfaite du discours identitaire contre les immigrés.

On ne peut pas dire non plus qu’il s’agisse d’un discours antisystème, à l’image de sa politique et de ses collaborateurs, qui ne font que conforter le pouvoir de « l’establishment » et les privilèges des plus favorisés.

Est-il plus difficile pour le président de convaincre quelques démocrates d’aller vers un compromis ou bien d’unifier les rangs des républicains ?

Les deux sont très compliqués. A quelques mois des élections de mi-mandat, les démocrates n’ont pas intérêt à montrer trop de signes de coopération avec le président, avec un bémol cependant : le nouveau risque de « shutdown » dans une semaine qui pourrait les discréditer, s’ils jouaient trop la carte de l’obstruction.

Sur la question de l’immigration, les démocrates sont loin d’un consensus au sein même du parti, de même qu’avec la Maison Blanche, même si celle-ci cherche à les apaiser en promettant de régulariser les « dreamers ».

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Côté républicain, les divisions sont anciennes et profondes sur ce sujet : l’aile modérée perçoit les avantages économiques de l’immigration, et de nombreuses Eglises plaident pour une approche humanitaire de la question. Mais l’aile dure, dont l’influence est grande auprès du président Trump — avec son conseiller Steve Miller et le ministre de la justice, Jeff Sessions, notamment — privilégie une approche ultrasécuritaire et identitaire, avec des relents racistes.

La gestion de cette question dans les prochaines semaines sera un véritable test de la collaboration possible du président avec le Congrès, avant l’entrée en campagne pour les élections de mi-mandat, au cours de laquelle le programme des réformes risque d’être ralenti.

Des élus démocrates sont venus habillés en noir et porteur d’écharpes de motif Kenté, en hommage aux femmes victimes de violences, notamment sexuelles, et en signe de protestation contre les propos dégradants de Trump sur les « shithole countries ».
Des membres du Congrès ont arboré divers signes pour marquer leur désaccord, sur l’immigration notamment, ou pour soutenir les luttes contre les violences faites aux femmes. Est-ce inhabituel lors d’un discours de l’Union ?

De nombreux élus démocrates étaient habillés en noir, certains portant également une écharpe de motif kenté. Cela symbolisait à la fois un hommage aux femmes victimes de violences, notamment sexuelles, et une protestation contre les propos dégradants de Trump sur les « shithole countries ».

Le discours sur l’état de l’Union offre traditionnellement une visibilité immense à celles et à ceux qui veulent marquer leur opposition au président. Mais l’édition 2018, à l’image de Trump, lui-même sort de l’ordinaire, alors qu’il n’a pas évoqué les mouvements #MeToo et #TimesUp et encore moins le racisme. Il sera intéressant de voir si le militantisme féministe et antiraciste, notamment, dans la société civile trouvera un écho dans l’offre politique des démocrates.

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Comment expliquer que Donald Trump soit à ce point préoccupé par la question des opioïdes ?

Ce fléau touche les populations rurales et suburbaines, en particulier des hommes blancs, qui ont décroché du rêve américain. L’usage détourné de ces médicaments a contribué à faire baisser l’espérance de vie de ces populations.

Trump considère ces usagers avant tout comme des victimes, non comme des délinquants. Imaginons un instant que les utilisateurs soient majoritairement des Hispaniques ou des Afro-Américains, sans doute le sujet ne serait-il pas à son agenda, ou alors, sur le plan sécuritaire.

Cela est cohérent avec son « story telling » de défense de l’Amérique blanche et patriarcale qui est victime des évolutions sociales, économiques et culturelles. Cependant, pour l’instant, même s’il en parle beaucoup, le président n’a pas donné l’esquisse d’un plan contre l’usage détourné des opiacés, qui est objectivement problématique.

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Une course à l’armement avec la Chine et la Russie est-elle en cours de préparation ?

Trump veut augmenter le budget militaire des Etats-Unis d’au moins 10 % (ce qui est l’équivalent du budget de la Russie). Il a appelé dans son discours à « moderniser et à reconstruire l’arsenal nucléaire », dans un but de dissuasion.

L’objectif est triple : affirmer toujours plus fort la puissance d’une Amérique qui a la nostalgie d’un leadership perdu ; satisfaire les intérêts du lobby militaro-industriel (aux Etats-Unis et dans le monde, parce qu’il incite à une course aux armements) ; marquer une nouvelle fois sa rupture avec Barack Obama, associé à la complaisance et à la faiblesse vis-à-vis des ennemis de l’Amérique.

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Un an après son entrée en fonctions, Trump reste obsédé par l’idée de se démarquer d’Obama. C’est un point qu’il faut toujours garder à l’esprit. Dans son discours, il a annoncé qu’il venait de signer un décret pour pérenniser le camp de Guantanamo, ce qui est moins une mesure efficace contre le terrorisme qu’une attaque personnelle contre Barack Obama.


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