MosaikHub Magazine

Le doute, toujours

vendredi 2 février 2018

L’exclusion du groupe Sweet Micky de certains défilés carnavalesques est-elle une victoire-vengeance politique a posteriori ou un plaidoyer sincère pour une « moralisation » du discours public dans l’espace carnavalesque ?

National -

Loin de moi l’idée de défendre l’individu, il n’a rien d’une cause. Mais il faudrait s’entendre sur ce qu’on veut faire taire. L’attaque personnalisée contre des individus n’appartenant pas au pouvoir politique, la dénonciation calomnieuse et caractérisée de leur bon renom est une chose répréhensible sur le plan légal et condamnable moralement. Mais qu’il s’agisse de Michel Martelly ou de Lyonel Trouillot ou de Frantz ou de Fritz, les mêmes questions de fond se posent. C’est facile de dire : « Bien fait pour lui » parce que c’est lui. Et quand d’autres groupes de pression demanderont l’exclusion de tel autre en évoquant telle autre valeur « morale » ? Je n’ai pas la réponse, mais la question vaut la peine d’être posée. Il eût été plus simple, plus sain de justifier l’exclusion ou le non- choix en soulignant la nécessité (réelle) de mettre en valeur de nouveaux groupes.…
Par ailleurs, n’y a-t-il pas aussi quelque chose d’incohérent dans la volonté de vider le carnaval de sa dimension de transgression et de parodie ? Ceci n’a rien à voir avec le cas « Sweet Micky ». On entend des discours qui semblent faire croire que leurs porteurs demandent d’aller au carnaval comme on va à la messe, de le purifier de la transgression, voire de la perversion qui le caractérise. Un carnaval d’enfants de chœur et de demi-vierges ? Le carnaval est transgression. Par nature. Un trou dans l’ordre. Sanctionnons le légalement « sanctionnable », s’il en est, mais méfions-nous des prêches. Et, quant au thème, c’est bien de lui donner une valeur éthique mais, comme un journaliste a eu le courage de le souligner, ne serait-il pas plus efficace de fondre cette valeur éthique dans une proposition artistique plutôt qu’un slogan moraliste ?

Le doute toujours : j’ai encore lu « Jacmel, la capitale culturelle d’Haïti ». Ah bon ? Depuis quand, élue par qui ? On sait qu’une condescendance aux relents passéistes a fait de cette ville, ni plus géniale ni plus débile qu’une autre, un de ses coins préférés. On sait aussi que c’est sans doute l’une des villes les plus subventionnées sur le plan culturel. Et qu’il y a là, comme ailleurs, de vrais combats, louables, méritoires, pour maintenir en vie des espaces culturels. Mais « capitale culturelle » ? J’ai lu cette expression il y a quelque temps dans un ouvrage écrit par un étranger. Voilà que je la retrouve dans les journaux haïtiens…

Le doute encore. Toute cette mobilisation. Tout cet argent. Plus de foule que d’art. Plus de dépenses que de bénéfices sur les plans symbolique et économique. À quoi s’accroche cette société dans cette passion du carnaval ?

Antoine Lyonel Trouillot
Auteur


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie