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66 gourdes pour un dollar, une facture économique et diplomatique

jeudi 1er mars 2018 par Charles

Jusqu’à mardi après-midi, avant que le gouvernement n’allume la mèche des hostilités avec les Nations unies, le dollar s’échangeait à 65 gourdes 60 tout au plus dans les banques haïtiennes. Certaines institutions offraient le billet vert à 64 gourdes 95.

Editorial -

À la clôture, ce mercredi, la principale banque de la place, celle la plus active sur le marché des changes, réclamait 66 gourdes en échange d’un dollar pour toute transaction supérieure à mille dollars.
Que s’est-il passé pour expliquer cette accélération ?
Le climat se détériore, répondent économistes, banquiers et observateurs des affaires haïtiennes interrogés par le journal.
Tout commence en janvier. En réunion avec les ambassadeurs accrédités en Haïti, l’exécutif haïtien annonce de nouvelles frontières pour la coopération internationale. Le pays veut changer les règles. Modifier les pratiques. Les bailleurs de fonds sont avertis. Les priorités de l’aide doivent être celles décidées par le gouvernement.
Pour plusieurs diplomates interrogés par Le Nouvelliste, l’intention est bonne, mais le ton est inadmissible.
Haïti peut changer ses règles, mais cela demande du temps et des délais différents, selon la situation de chaque pays, pour s’y ajuster. Aucun pays ni institution ne veut recevoir d’injonction, expliquent ceux qui acceptent de se confier au journal.
« L’argent de l’aide nous appartient, nous avons des comptes à rendre d’abord à nos gouvernements, à nos directions, à nos contribuables, actionnaires ou contributeurs », expliquent des responsables bilatéraux ou multilatéraux en off absolu.
Depuis janvier 2018, le temps passe. Les décaissements ne se font pas. La communauté internationale, de réunion en réunion, se raidit. Dit attendre la signature d’un accord-cadre avec le Fonds monétaire international (FMI) avant de s’engager. Certains financements sont gélés depuis l’an passé.
Avant que l’accord ne soit signé le dimanche 25 février, survient le scandale OXFAM.
Dans les faits, l’ONG n’a pas respecté à la lettre ses propres règlements. Il n’a pas informé ses bailleurs. Ce n’est pas vraiment une affaire haïtienne, sinon que la vulnérabilité du pays offre des latitudes extraordinaires aux expatriés qui viennent aider ou travailler en Haïti.
On dirait que le gouvernement n’attendait que cette occasion. Le président se fend d’une tribune dans le Washington Post. Le ministre de la Planification et de la Coopération externe prend des sanctions contre OXFAM. Tout se passe très vite.
Ce nouvel épisode dans la façon de traiter les ONG inquiète une petite communauté installée dans ses privilèges. Le monde de la coopération se demande ce qui lui arrive.
Quand dimanche Haïti signe enfin avec le FMI, on constate que c’est un accord minimal qui est conclu. L’encre n’est pas encore sèche que l’on lit entre les lignes que les sacrifices exigés d’Haïti et consentis par les autorités haïtiennes ne seront pas suivis d’effets immédiats.
Augmenter les prix de l’essence, réduire le train de vie de l’État, augmenter les recettes, rentabiliser la vente de l’électricité sont des serpents qu’aucun gouvernement ne souhaite avaler en Haïti.
Le même dimanche, le niveau du déficit budgétaire public est connu. 9 milliards de gourdes. Le rythme des dépenses et des promesses aussi. Déjà, les économistes craignent 30 milliards de déficit d’ici octobre. Le budget avait été dénoncé dès la présentation de la loi de finances, les conséquences sont maintenant connues. Haïti vit très au-dessus de ses moyens.
C’est dans ce climat que tombe le communiqué de l’ONU, dimanche après-midi. Si la presse n’en fait pas état, si personne n’a pris la mouche à cause de ce que dit la note, l’administration Moïse-Lafontant se jette dans une nouvelle bataille. L’ONU est clouée au pilori. L’ambassadeur d’Haïti auprès de l’instance mondiale est rappelé. Aucun représentant haïtien ne se présente à une réunion à New York sur le choléra, mercredi.
Pour parfaire le portrait des temps actuels, cela fait des mois que des entreprises du secteur privé parmi les plus importantes, dans la téléphonie, les travaux publics, l’énergie, le négoce des produits pétroliers et autres se plaignent du traitement que le gouvernement leur fait subir. Il y a une grogne qui prend de l’ampleur. Lentement, souterrainement, solidement.
Sans aucune action de l’opposition politique, le gouvernement a détérioré le climat, sapé les bases de sa stabilité, fragilisé son capital confiance auprès de partenaires qui étaient, sinon acquis à sa cause, mais sensibles à ses projets », a expliqué au Nouvelliste un diplomate.
C’est ainsi que le dollar vaut 66 gourdes ce 28 février 2018. C’est autant une facture économique que diplomatique.

Frantz Duval
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