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« Les “fake news” expriment une défiance à l’égard des élites »

mardi 27 mars 2018 par Charles

Faut-il légiférer sur la propagation des fausses informations, comme l’envisage le gouvernement ? Le sociologue Romain Badouard analyse le phénomène.

Romain Badouard, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Cergy-Pontoise, est l’auteur du Désenchantement de l’Internet. Désinformation, rumeur et propagande (FYP éditions, 2017)
On oublie de se poser une question sur les « fake news » : ceux qui les font circuler y croient-ils ?
La sociologie des rumeurs, nous apprend que les individus qui les partagent n’y croient pas forcément dur comme fer ; en revanche, ils adhèrent à la vision du monde qu’elles colportent. Or, ce qui caractérise le phénomène des « fake news », outre l’industrialisation de leur production afin de générer des revenus publicitaires sur les réseaux sociaux, c’est leur utilisation à des fins de propagande politique. Aux Etats-Unis comme en France, des réseaux organisés, le plus souvent situés à l’extrême droite du spectre politique, mettent en circulation de fausses informations qui nourrissent un véritable discours politique – clairement antisystème et xénophobe.

Or, si ces fausses informations ont un tel succès (elles peuvent être partagées des dizaines, voire des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux), c’est qu’elles expriment une défiance à l’égard des élites politiques, médiatiques et intellectuelles. En ce sens, les « fake news » peuvent aussi être comprises comme le véhicule des indignations ordinaires d’une partie toujours croissante de la population.
De quoi ces circulations de fausses nouvelles sont-elles politiquement le symptôme ?
Elles sont un nouvel indicateur d’un phénomène plus ancien et plus profond, celui de la crise de confiance politique qui affecte la plupart des démocraties occidentales. Lorsque l’on observe le contenu des fausses nouvelles, on voit que l’impôt et la mauvaise gestion de l’argent public sont des thèmes récurrents. On y parle beaucoup du sentiment d’injustice ressenti par une partie importante de la population. Ces « fake news » expriment ainsi un mécontentement populaire, certes à partir d’éléments imaginaires, mais qui repose sur un sentiment de défiance bien réel.
C’est aussi pour cela que les « fact-checkers », ces journalistes qui vérifient les informations circulant sur les réseaux sociaux, peinent tant à faire entendre leur voix. Ils peuvent prouver qu’une nouvelle est fausse, mais leur démenti aura au final peu d’influence sur sa circulation, tant ce qui compte pour ceux qui la partagent est moins la véracité de son contenu que le « coup de gueule » qu’elle permet d’exprimer. Cela ne veut pas dire que le « fact-checking » ne sert à rien, au contraire. Son rôle n’est pas de convaincre ceux qui partagent les fausses informations, mais d’alerter ceux qui consultent les informations sur les réseaux sociaux sans les commenter ni les partager, soit, de loin, la part du public la plus importante sur ces plates-formes.
Que pensez-vous du projet de loi contre les « fake news » ?
Le projet de loi associe deux approches différentes. La première est celle de la transparence : il s’agit notamment d’exiger des propriétaires de plates-formes (Facebook, YouTube, etc.) qu’ils communiquent sur les mécanismes d’attribution de leurs espaces publicitaires : concrètement, les internautes pourront connaître l’identité des organisations qui ont payé pour sponsoriser les contenus qu’ils consultent. Cette mesure va plutôt dans le bon sens, dans la mesure où les internautes, en ayant accès à des informations aujourd’hui tenues secrètes, pourront exercer un regard critique sur ces contenus et leur instrumentalisation (qui a payé pour que je tombe sur cet article ? pourquoi ?).
La seconde approche, celle de la censure, est plus inquiétante. Elle consiste à mettre en place un nouveau dispositif juridique grâce auquel les internautes, en faisant appel à un juge, pourront plus facilement faire supprimer un contenu. Mais ne nous trompons pas : cette mesure vise en réalité à faire pression sur les plates-formes, souvent jugées trop laxistes par les pouvoirs publics, pour qu’elles interviennent davantage dans la régulation des contenus. Or, on imagine très bien que si Facebook, ­YouTube ou Twitter risquent une grosse amende, comme en Allemagne, pour ne pas avoir retiré assez rapidement un contenu, alors ces entreprises préféreront censurer trop que pas assez.
Lire aussi : « Fake news » : les pistes du texte de loi en préparation
Là est le danger. Les réseaux sociaux sont encore aujourd’hui un outil au service de la démocratie car chacun peut y prendre la parole et relayer des informations. Si les conditions pour y diffuser des contenus deviennent trop contraignantes, ce potentiel sera perdu. Les « fake news » peuvent être un obstacle à la bonne tenue du débat public, c’est certain. Mais une régulation trop stricte de la circulation des informations sur les réseaux sociaux fera peser demain de lourdes menaces sur l’exercice de la liberté d’expression.


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