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Pale franse gen dan

vendredi 23 mars 2018 par Charles

Il y a le français maison de la bourgeoisie et des moyennes et petites bourgeoisies, qui se maintient bon gré mal gré dans certaines familles comme une habitude de classe.

Il y a le ridicule de ceux et celles qui croient parler français en parlant créole. Il y a cette imitation de l’accent des banlieues parisiennes par des garçons qui considèrent la connexion avec des réseaux culturels français comme porte de sortie. Il y a ces jeunes de moins de trente-cinq ans qui envoient des manuscrits aux maisons d’éditions haïtiennes et l’ignorance de la langue qui rend les manuscrits non publiables, parfois carrément amphigouriques, voire illisibles.

Il y a ce réflexe antifrançais de certains intellectuels et idéologues extrémistes, comme si la langue était coupable des usages qu’on a pu en faire. Il y a cette réalité qu’on ne peut aborder l’histoire de ce pays, sa culture, sa pensée, sa littérature sans reconnaître le français comme y tenant une grande place. Il y a ce paysan de l’Artibonite qui m’a dit un jour : la différence entre toi et moi, c’est que tu as deux langues, moi je n’en n’ai qu’une. Il y a ces idéologues qui s’ignorent et qui voudraient remplacer une langue qu’ils accusent d’être impériale par une autre plus impériale encore, comme si on pouvait inventer une réalité socioculturelle par une simple substitution.

Il y a beaucoup de blabla, du fétichisme, du fanatisme et du ressentiment, du conservatisme et du déni. Et un refus de partir de la réalité sociale. Etre locuteur monolingue (du créole) est un désavantage social. Et le restera. Il faut donc remédier à cela. Il n’y a pas de raison, hormis la reproduction des rapports de classe, et pas d’impossibilité, simple question de volonté et de stratégie, pour que la langue française ne devienne pas un patrimoine haïtien. Elle cesserait enfin d’être l’arme et le privilège d’un petit groupe. Le créole, notre première langue, n’est toujours pas suffisamment porté, valorisé, soutenu par les élites et les institutions, et c’est donc un droit de la majorité qui est bafoué. Deux choses donc sur lesquelles intervenir sans démagogie, comme éléments de réduction du déficit de citoyenneté.

Mais, malgré les avancées, on est loin d’un effort systématique et concerté pour produire plus de justice et d’égalité, déjà dans le domaine linguistique. Et on vit le tragi-comique de ceux qui, parlant créole, prononcent « marché », « parlé » parce qu’après tout, il faut montrer qu’on connaît l’autre langue, de ceux qui, après un court voyage d’études ou d’agrément, donnent l’impression qu’ils sont nés pendant ce voyage… Et dans la tragédie d’un peuple sanctionné deux fois : une première langue minorée, méprisée, une deuxième qui pourrait être sienne accaparée comme privilège de classe ou de caste.

Antoine Lyonel Trouillot
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