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« Le sacrifice du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame est un geste chevaleresque »

dimanche 1er avril 2018 par Charles

FIGAROVOX/TRIBUNE - Maxime Tandonnet s’est ému avec la France entière de la mort héroïque du gendarme, égorgé après avoir pris la place d’un autre otage. Il y voit la résurgence de l’esprit des chevaliers, pour qui l’honneur et le devoir avaient plus de prix que leur propre vie.

Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, haut-fonctionnaire, Maxime Tandonnet est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Les parias de la République (éd Perrin).

Depuis le sacrifice du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, le mot « héros » est au cœur de l’actualité, de tous les éditoriaux et des commentaires médiatiques. Donner sa vie pour sauver un inconnu est la quintessence d’un héroïsme à connotation sacrée, de celui qui accomplit le sacrifice suprême pour sauver celle de l’autre, et à travers lui, l’humanité.
Les héros, dans le sens le plus authentique du terme, ne sont pas légion dans l’histoire contemporaine. Ce mot renvoie naturellement à la mémoire des résistants qui donnèrent leur vie pour la libération de millions de compatriotes, et au premier d’entre eux, fusillé par la Wehrmacht à 41 ans, un autre militaire, un marin, Honoré d’Estienne d’Orves. Le geste du lieutenant-colonel rappelle inévitablement une autre image, celle de Maximilien Kolbe, prêtre polonais exécuté par les nazis à Auschwitz après avoir pris la place d’un autre otage, père de famille.
Le frère d’Arnaud Beltrame a trouvé les mots justes : « Je pense que ce qu’il a fait va au-delà de l’engagement de son métier. Il est parti en héros. Il a donné sa vie pour un inconnu, il savait qu’il n’avait pratiquement aucune chance. [...] Il n’a pas hésité une seconde, il a fait ce qu’il fallait. Grâce à lui, on a sauvé de très nombreuses vies. » La mère de l’officier a eu, elle aussi, des paroles bouleversantes : « Je savais que c’était forcément lui. Il a toujours été comme ça. C’est quelqu’un qui, depuis qu’il est né, fait tout pour la patrie. C’est sa raison de vivre, défendre la patrie. Il me dirait : « Je fais mon travail maman, c’est tout. » Cela fait partie de sa façon d’être. »
L’acte d’héroïsme d’Arnaud Beltrame est le miroir inversé de la société française apparente, médiatique, officielle.
Les échos de la presse ne reflètent que partiellement l’émotion qui étreint le pays depuis trois jours. Tout un pays est bouleversé, comme il l’a rarement été depuis longtemps, par le sacrifice du lieutenant-colonel. Arnaud Beltrame a donné sa vie pour des inconnus ; mais combien d’inconnus, dans les foyers de la France dite d’en bas, la majorité silencieuse, dans les villes, les banlieues, les campagnes, n’ont pas pu retenir leurs larmes en apprenant la nouvelle de sa mort ? Cette émotion collective est impossible à mesurer, mais chacun sent bien à quel point la secousse est profonde et la France ébranlée.
L’acte d’héroïsme d’Arnaud Beltrame est le miroir inversé de la société française apparente, médiatique, officielle. Les valeurs qu’il exprime sont à l’inverse de l’air du temps dominant. Son sacrifice, au paroxysme du don de soi et du courage absolu, contraste étrangement avec le spectacle quotidien que donne la France supposée « d’en haut » : triomphe des intérêts égoïstes sur le bien commun, naufrage dans le cynisme, course à l’argent facile ou à la notoriété médiatique, mépris des gens, individualisme absolu, dictature de la vanité obsessionnelle, lâcheté de ceux qui tournent les yeux face à la violence, indifférence, culte de la délation, du lynchage et de la calomnie, tout un monde de mesquinerie…
Le geste du lieutenant-colonel exprime l’esprit chevaleresque, comme venu d’un autre âge, l’humilité du don de soi opposé à l’exubérance narcissique qui s’est emparée des esprits. La France est aujourd’hui un pays fragmenté, plongé dans le chaos nihiliste, privé de repères, comme déboussolé. Elle ne voit son salut et son avenir nulle part. Une méfiance généralisée s’est emparée des esprits. La parole politique est décrédibilisée, comme celle des experts. Les Français ne croient plus en leur démocratie - d’où l’abstention -, ni dans l’impartialité de la justice et des médias, rejettent massivement les dirigeants nationaux et les partis politiques (voir l’enquête du CEVIPOF en janvier 2018). Les événements de ces trois dernières années, l’incapacité des gouvernements face au chômage et à la pauvreté, face à la crise migratoire et à la vague du terrorisme islamiste qui a ensanglanté le pays, ont jeté une ombre sinistre sur toute image du lendemain.
Dans ce contexte lugubre et infiniment délétère, le sacrifice du lieutenant-colonel est un message d’espoir. Il réhabilite l’honneur comme vertu suprême. L’officier de gendarmerie s’est offert en modèle aux jeunes Français. Nous le savons désormais : l’héroïsme, le sens du devoir et du sacrifice qui sublime les moments les plus troubles de l’histoire, sous le manteau de la simplicité et de la modestie, est toujours vivant, comme une ultime braise, enfouie sous les cendres de la médiocrité, mais prête à rejaillir et à redonner un sens aux mots vie, espérance et destin.


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