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L’exploitation pétrolière a-t-elle commencé en Haïti ?

jeudi 5 avril 2018 par Charles

Economie - Les revenus attendus et le possible bien être qui accompagnent souvent l’exploitation pétrolière suscitent beaucoup d’espoir et font rêver la plupart d’entre nous.

En témoigne le luxe de certains pays exportateurs de « l’or noir », tels le Qatar, l’Arabie Saoudite ou, à moindre échelle, Trinidad et Tobago. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas, et le PIB per capita de pays comme le Venezuela (USD 12,400), le Nigéria (USD 5,900) ou l’Angola (USD 6,800), pourtant 11e, 13e et 14e exportateurs mondiaux de pétrole, est loin de celui de la Norvège (USD 70,000) et du Qatar (USD 124,900) et de l’Oman (USD 45,500) qui sont respectivement 15e, 17e et 19e au rang des exportateurs mondiaux par le volume . Cette problématique est l’enjeu principal des « Initiatives pour la transparence dans les industries extractives ». Mais ça, c’est un autre sujet…
De manière pratique, pour exploiter une substance, souterraine ou pas, il faut d’abord prouver son existence, la qualifier, la quantifier et évaluer son importance économique en fonction de la technologie disponible et des conditions actuelles du marché. En d’autres termes, il faut la trouver, puis déterminer si son exploitation est rentable ou non aujourd’hui.
Existe-il du pétrole en Haïti ?
Il faut d’abord savoir que le pétrole se cherche et se trouve dans des bassins sédimentaires d’une certaine importance. Les formations géologiques d’Haïti contiennent effectivement des bassins sédimentaires d’importance non négligeable , quoique limitée, tant sur terre (Plateau central, Plaine du Cul-de-Sac) qu’en mer (Golfe de la Gonâve). De plus, les conditions de genèse (roche-mère) et d’emmagasinage (roche-magasin ou roche réservoir) du précieux liquide sont d’autres paramètres aussi importants les uns que les autres.
En effet, la « roche-mère » et la « roche-magasin » ont été toutes les deux mises en évidence en Haïti. Mais le facteur structural des bassins sédimentaires est un paramètre dont il faut absolument tenir compte parce que conditionnant l’emmagasinage ou non de la substance. Si les conditions ne sont pas réunies, même si le pétrole existe, il ne sera pas en quantité commercialement exploitable.
Et donc, bien évidemment le potentiel pétrolier haïtien existe bel et bien. Mais on parle ici de potentiel, et non de gisements économiquement rentables.
Les recherches pétrolières effectuées en Haïti dans le passé
A ce jour, les onze puits pétroliers effectués en Haïti par des compagnies étrangères sont réputés « secs ». Des traces de pétrole et de gaz sont reportées dans certaines sections des logs (ou registres) des sondages disponibles. Il y a lieu de bien préciser ici que ces informations viennent des rapports rédigés par les compagnies qui conduisaient les explorations et rendues disponibles. Elles ne peuvent donc pas être considérés comme des vérités absolues. Au moment de ces travaux, Haïti ne disposait pas de structure compétente de contrôle des travaux effectués sur le terrain et ces informations n’ont pu être confirmées. Par ailleurs, les rapports sur les trois forages pétroliers sur l’Ile de la Gonâve n’ont jamais été rendus disponibles aux autorités haïtiennes.
Il y a environ 20 ans, onze (11) blocs d’intérêt pétrolier, c’est-à-dire des zones où il est susceptible de se trouver du pétrole, ont été établis à partir des études menées au Bureau des Mines et de l’Energie (auparavant le Ministère des Mines et des Ressources énergétiques).
Tout ceci est bien encourageant, mais il ne faut jamais mettre la charrue avant les bœufs : il convient d’abord de trouver ce pétrole avant d’envisager une quelconque exploitation. Pour y arriver il faut absolument faire des recherches très coûteuses, notamment des forages comme ceux qui historiquement atteignent déjà plus de 2500 mètres de profondeur (Maissade-1). Et on ne peut effectuer de telles recherches que sous l’égide de la loi en vigueur.
Les prescrits de la loi haïtienne en matière de recherche et d’exploitation pétrolière
La loi haïtienne en la matière date de 1976 et prévoit trois différents types de permis et une concession indispensables pour arriver à l’exploitation du pétrole.
Le permis de prospection (PP) d’une durée de 5 ans, plus 2 ans de prolongation si nécessaire. Il permet d’effectuer des sondages en profondeur (forages) avec prélèvement d’échantillons en vue de reconstituer un modèle géologique. Toutefois, une autorisation additionnelle du BME est requise pour extraire et exporter les échantillons vers d’autres laboratoires d’analyses.
Le permis de recherche (PR) d’une durée de 5 ans renouvelable par période de 3 ans. Il accorde le droit d’étudier les conditions d’exploitation et d’utilisation commerciale et industrielle du gisement. L’obtention de ce permis n’est possible qu’après négociation d’un contrat-type avec le Gouvernement, pour fixer les conditions financières et environnementales d’une exploitation éventuelle (si l’étude est concluante). Dès cette étape, un contrat avec le Gouvernement est obligatoire. Légalement, il faut donc un contrat négocié et signé avec le gouvernement, rien que pour faire l’étude de faisabilité commerciale.
La concession d’hydrocarbures d’une durée de 25 ans renouvelable par période de 10 ans. Elle est automatiquement octroyée aussitôt que le bénéficiaire d’un Permis de Recherches découvre un gisement. La demande se fait en présentant les travaux de prospection déjà effectués, l’étude de faisabilité et d’autres documents jugés nécessaires à l’étude du dossier. La concession donne droit à un Permis d’exploitation.
Le Permis d’exploitation (PE). Sa durée est la même que celle de la concession à laquelle elle est associée. C’est une autorisation délivrée à la compagnie pétrolière par les autorités compétentes (BME/MTPTC) après avoir constaté la conformité de tous les documents qui leur ont été soumis. Ce n’est qu’après tous les préalables décrits plus haut et avec ce permis que la compagnie peut enfin commencer l’exploitation pétrolière.
Est-il possible de mener une exploitation clandestine ?
Une exploitation pétrolière clandestine n’est tout simplement pas possible. Les infrastructures d’exploitation pétrolière ne peuvent pas se cacher. Elles sont de très grande taille et donc extrêmement visibles. Ensuite, des pipelines doivent être construits pour amener le produit aux ports. Aussi, des tankers pétroliers sont nécessaires pour évacuer le pétrole brut des ports locaux aux raffineries. Toutes ces structures sont volumineuses et ne peuvent pas passer inaperçus.
Les photos ci-dessous offrent quelques illustrations d’installations d’exploitations sur terre (onshore) et en mer (offshore).

Champ d’exploitation onshore Plateforme d’exploitation offshore
Y a-t-il des permis actifs ?
Au cours des trente dernières années, moins d’une dizaine de Permis de prospection (PP) ont été octroyés et, à ce jour, aucune concession n’a encore été accordée. De ce fait, à date, aucun Permis d’exploitation (PE) n’a été attribué en Haïti.
Actuellement, deux compagnies détiennent des Permis de prospection sur divers sites en Haïti. Comme expliqué préalablement, ces permis octroient le droit aux compagnies d’effectuer des forages ou sondages en profondeur, avec prélèvement d’échantillons à faire analyser dans des laboratoires spécialisés, en vue de reconstituer un modèle géologique.
Alors quid des travaux en cours ?
Les travaux en cours sur le terrain, notamment à Boucan Carré, s’effectuent donc sous le couvert d’un Permis de prospection, le premier de la série de quatre étapes requises. Au cas où les résultats se révélaient positifs, il reste encore le Permis de recherche à solliciter et un contrat-type à négocier pour, finalement, si tout se passe bien, obtenir un permis d’exploitation.
La photo ci-dessous illustre des travaux de prospection sur un site en Guinée. Ce doit être ce genre de travaux qui sont sur le point d’être menés à partir des permis accordés aux compagnies pétrolières intervenant en Haïti.
Il ressort de ce qui précède que seuls des travaux de prospection sont actuellement en cours en Haïti. Les autres étapes décrites ci-dessus n’ont pas encore été franchies.

Bétonus Pierre détient une licence en Géologie et un Diplôme d’Ingénieur Civil de la Faculté des Sciences de l’UEH. Il obtint aussi un Diplôme d’Expert en Exploration et Valorisation des Ressources Minérales de l’Ecole de Géologie de Nancy / Institut Polytechnique de la Lorraine, France. Il fit carrière au Bureau des Mines et de l’Énergie (BME) où il fut tour à tour Directeur du Projet d’exploration de Lignite, Directeur du Projet de recherche des Hydrocarbures, Chef du service de planification énergétique, puis Directeur des Ressources Energétiques. Il a aussi été consultant sénior en énergie pour la Banque Mondiale, et consultant pour les risques géologiques à la Direction de la Protection Civile (DPC/MICT). Actuellement, il est co-fondateur de l’Institut Haïtien de l’Energie où il est Expert Sénior en Energie et Mines.

Bétonus PIERRE, Ingénieur, Expert Sénior en Energie et Mines, IHE
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