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Ann chita pou’n pale

vendredi 27 avril 2018 par Charles

Idées & Opinions -

Jean Claude DESGRANGES, MD, FAGS
Depuis plus d’un siècle, notre pays est confronté à une situation déplorable affectant tous les aspects de la vie nationale. L’économie haïtienne a vécu un effondrement caractérisé par un net recul de la production nationale qui se manifeste ; au niveau des denrées d’exportation café, cacao, canne à sucre comme au niveau des cultures vivrières. La régression de la production caféière et cacaoyère amorcée après les cyclones Flora, INES, Cloé et l’accélération de la croissance de la population pendant les décennies 1960,1970 n’ont pas trouvé une politique publique adéquate et appropriée. L’agriculture haïtienne exporte principalement des mangues, de l’huile et des vétivers.
Les ressources financières générées par cette production amoindrie n’arrivent pas à couvrir les dépenses occasionnées par le déficit de produits alimentaires. Il en résulte une balance de paiements déficitaire due aux importations de riz et d’autres aliments. Cette régression économique a provoqué une extension de la misère pour la population haïtienne déjà démunie. La paupérisation continue de la population a entrainé une délinquance morale accentuée, la multiplication de local Ti sourit aux abords des écoles secondaires et le recul de la scène émulation entre les élèves et les étudiants.
La dégradation du tissu social s’est accélérée sous la pression d’une démographie non maîtrisée et d’une urbanisation chaotique avec son cortège de maux liés à la situation précaire de ses migrants entassés dans des bidonvilles insalubres. Ils souffrent souvent du chômage, de malnutrition, de la surmortalité, de l’accès difficile à l’eau potable et aux besoins sociaux de base (santé, éducation…). Ces conditions d’extrême pauvreté façonnent un comportement marqué du sceau de l’âpreté, de la lutte pour la survie : débrouillardise, ruse, croc en jambe, coup bas, vol et violences physiques. Les frustrations accumulées dans la vie quotidienne de notre jeunesse livrée à elle-même sans aucune fenêtre d’opportunité l’ont conduite sur le chemin du désespoir. D’où cet exode massif et scandaleux de nos jeunes universitaires vers des cieux plus cléments (Chili, Bresil, Usa...). Apres le départ de la dictature duvaliérienne, il est navrant de constater qu’Haïti continue à tourner en rond autour de son nombril. Notre volonté d’emprunter un autre chemin plus conciliant et plus harmonieux, plus honorable et plus juste, plus prospère et plus moderne pour la conquête du bien être commun. Rien que des vœux pieux !
Chacun s’arrange avec le pays comme il peut, chacun se construit selon ses expériences familiales, ses apprentissages, ses envoutements et ses désillusions et ses coteries. Un véritable « naje pou soti » ! Nous ignorons nos réels atouts et nous nous livrons au ressassement, nous nous battons les uns contre les autres. Un tel comportement fragilise Haïti et tout ce qui fragilise Haïti, fragilise chacun de nous. Nous avons tendance à rater tous les ‘’exit ‘’ d’où la nécessité de combattre nos propres démons, de surmonter nos insuffisances, d’adopter un nouveau pragmatisme. La classe politique, les groupes de pressions, les masses urbaines ont fait irruption sur la scène avec leurs intolérances, leurs esprits de clocher et clanique, leurs penchants régionalistes (Nord-Artibonite vs Ouest-Sud...) Avec pour corollaire violences verbales parfois physiques et auto-flagellation. La compétition politique s’avère être un combat dans lequel il faut vaincre ou même terrasser l’adversaire. Que faire pour établir une ambiance sereine dans laquelle on cesserait de voir l’adversaire comme un ennemi à abattre ?
De l’avis d’un diplomate étranger, expérimenté, le processus démocratique haïtien offre un spectacle de combat et non de débat. En 200 ans d’indépendance nous nous sommes déjà essayés à toutes sortes de formules, de régimes politiques : République, royauté, empire, présidence à vie, Collégiale. Notre histoire comme disait l’autre est écrite dans le sang. Notre société n’a connu ni tolérance, ni stabilité, ni progrès manifeste. ‘’Tout au long de cette transition démocratique qui n’en finit pas’’, peine est de constater que nous n’avons pas non plus mis en place toutes les institutions fortes, des politiques publiques et des mécanismes qui nous auraient permis de gérer nos conflits de manière pacifique. Il faut sortir de ces décennies gâtées où la méfiance, la défiance et, plus grave encore, le dédain et l’indifférence ont cru et se sont multipliés. Tournons la page de l’ère du soupçon. Ensemble reconstruisons une société de confiance pour reprendre un concept cher à Alain Peyrefitte. Cela passe d’abord par une morale du comportement, par un refus de la société du spectacle, par un refus de la politique frénétique qui broie les hommes et les femmes de qualité. Pour ce, nous avons besoin de ce CHITA TANDE car Haïti, notre bien commun vit au superlatif :
• la première colonie de Christophe Colomb au nouveau monde ;
• la seule nation esclavagiste à s’affranchir du joug colonial ;
• la seconde en nombre d’ONG globalement ;
• la plus haute densité de population des pays des Caraïbes ;
• le plus haut taux d’analphabétisme dans les Caraïbes ;
• le moindre accès à l’électricité, l’eau et l’assainissement dans les Caraïbes ;
• la plus rapide croissance d’usage de téléphone portable dans les Caraïbes ;
• la plus pauvre nation de l’hémisphère Ouest ;
• la plus grande victime des catastrophes climatiques dans la Caraïbe.
Malgré tout, il ne faut pas emboucher les trompettes de la décadence, vieille obsession de peuple fatigué. La mélancolie ne doit pas gagner nos esprits et nos cœurs. Il nous faut arrêter cette décente aux enfers. Ensemble dans le cadre de ce chita tande sectoriel, dirigeons cette énergie que nous gaspillons dans le ressentiment vers cet esprit d’initiative, de solidarité et d’innovation. Les fils et filles de cette nation meurtrie ont pour obligation de se réunir, dans un sursaut national, pour réfléchir ensemble, entamer un dialogue fraternel, inclusif et patriotique en vue de transformer les clivages traditionnels et déterminer les objectifs susceptibles d’entraîner le pays sur la voie d’une triple modernisation politique, économique et sociale à l’instar de nos illustres aïeux réunis à l’Arcahaie le 18 mai 1803.
Cette conjoncture difficile et complexe interpelle tous les Haïtiens et Haïtiennes : ceux qui évoluent sur le territoire national, comme ceux qui vivent et travaillent à l’étranger. L’Haïti de l’intérieur et de l’extérieur, pour que, dans un esprit de concorde, ils contribuent à créer une ambiance sereine pour la réussite d’un dialogue fructueux. Un appel de notre Haïti Thomas, berceau de la liberté, pour bâtir ensemble du vrai et du neuf dans le cadre du respect des règles du jeu démocratique et des lois de la République.

Que la nation haïtienne, toutes catégories sociales et générationnelles confondues, puisse répondre à ce rendez-vous historique et patriotique.

Jean Claude DESGRANGES, MD, FAGS Port-au-Prince, ce 17 Avril 2018
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