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Interview

Le professeur Samuel Pierre veut contribuer par une action réfléchie à la résolution des problèmes du pays

lundi 30 avril 2018 par Charles

Le professeur Samuel Pierre, président de GRAHN-Monde, apporte sa contribution en vue d’aider Haïti à relever les multiples défis auxquels elle fait face. Dans cette interview accordée au journal, l’éminent universitaire aborde plusieurs sujets, notamment les différentes initiatives entreprises à travers son institution en vue de contribuer à faire d’Haïti un pays émergent dans les prochaines décennies.

National -

Le Nouvelliste (LN) : Pouvez-vous présenter le GRAHN et faire un inventaire de vos projets et réalisations ?
Samuel Pierre (SP) : Créé à Montréal dans la foulée du tremblement de terre qui a frappé Haïti le 12 janvier 2010, le Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle (GRAHN-Monde) est une organisation sans but lucratif, large, inclusive, ouverte et multidisciplinaire, orientée vers l’articulation d’un cadre de reconstruction qui va au-delà de la simple réfection des infrastructures physiques endommagées ou détruites, pour s’étendre à la construction d’une société moins inégalitaire, fondée sur le droit, le partage, la solidarité, l’éducation, le respect de l’environnement et le culte du bien commun. C’est une organisation mondiale de vigie citoyenne, laïque et apolitique, désireuse de contribuer par une action réfléchie à la résolution des problèmes du pays. Compte tenu de la complexité de ces problèmes, le GRAHN considère que l’action à mener devrait s’étendre sur un horizon temporel d’au moins vingt ans, dans une sorte de course de fond où la méthode, la persévérance, la discipline, la rigueur, le suivi et la continuité de l’engagement demeurent les règles d’or du succès. Mais, c’est aussi une course à relais où, compte tenu du long chemin à parcourir, jeunes et moins jeunes doivent se donner la main dans une sorte de « konbit » intergénérationnel qui préserve la mémoire pour construire sur des acquis.
La réflexion et l’action de GRAHN-Monde sont guidées par les six principes suivants :
1. Justice sociale et participation citoyenne : reconstruire une citoyenneté partagée qui permet à chaque Haïtien de jouir pleinement de ses droits, sans aucune forme de discrimination, tout en assumant pleinement ses devoirs envers la société ;
2. Droit et accessibilité aux services de base : reconnaître le droit de tout citoyen à des services de base tels l’éducation, la santé, l’alimentation, l’eau potable, le logement, et entreprendre les actions nécessaires visant à terme l’accessibilité de ces services de base à tous les Haïtiens, sans exclusive ;
3. Continuité des actions positives : identifier, valoriser et poursuivre les bonnes initiatives qui ont cours dans le pays, en évitant de faire table rase des expériences édifiantes pour repartir de zéro ;
4. Arrimage avec le pays intérieur comme manifestation de la solidarité nationale : prendre en compte les aspirations et les préoccupations de la société civile haïtienne afin de contribuer à la réalisation de celles-ci et de les porter au-devant de la scène internationale ;
5. Urgence compatible avec le long terme : régler les problèmes urgents d’aujourd’hui en ayant recours à des solutions intelligentes et responsables qui n’hypothèquent pas l’avenir du pays ;
6. Développement durable : privilégier les choix de reconstruction et de développement qui préservent les générations futures.
D’aucuns trouvent que travailler sur le long terme n’est pas très opportun dans un pays où tout est à faire et les urgences sont présentes dans toutes les sphères d’activités. À notre avis, si on veut bien poser et résoudre certains problèmes fondamentaux du pays, il faut sortir de cette dynamique de l’urgence qui enlève toute perspective et qui limite le regard au seul instant présent. Par exemple, la conception et l’implantation d’un nouveau système éducatif en Haïti, en tenant compte de la dimension linguistique, sont des tâches extrêmement importantes dans la construction d’une nouvelle Haïti. Toutefois, elles nécessiteront environ quinze années consécutives de travail soutenu, de l’étape d’analyse des besoins à celle de l’évaluation des premières cohortes d’élèves issues du nouveau système, en passant par la production des curricula et des manuels scolaires supportant ce nouveau système. De même, si on veut s’attaquer au problème crucial de la dégradation de l’environnement et du déboisement du pays, il faudra au moins une dizaine d’années pour avoir des résultats préliminaires qui consacrent une nette inversion de tendance et qui s’inscrivent dans la durée. Donc, il faut compter avec le temps !
GRAHN-Monde comprend cinq banches : GRAHN-Canada, GRAHN-États-Unis, GRAHN-France, GRAHN-Suisse et GRAHN-Haïti. Parmi les grandes réalisations de GRAHN-Monde, mentionnons :
• l’ouvrage collectif intitulé « Construction d’une Haïti nouvelle : vision et contribution du GRAHN », Samuel Pierre (éd.), Presses internationales polytechniques, Montréal, 2010, 617 pages ;
• la revue trimestrielle de vulgarisation scientifique « Haïti Perspectives » disponible en ligne à l’adresse suivante : www.haiti-perspectives.com, qui a publié en 2017 un numéro sur l’agriculture, la sécurité alimentaire et la réduction de la pauvreté : http://www.haiti-perspectives.com/pdf/5.4.pdf ;
• l’organisation de 3 grandes conférences nationales portant respectivement sur l’éducation, la santé et l’économie ;
• l’organisation, sur une base régulière, de séances de formation et de vulgarisation dans les 5 plus grandes villes du pays ;
• l’ISTEAH (www.isteah.edu.ht) qui, lui, a créé la Bibliothèque numérique scientifique spécialisée sur Haïti : SYNTHÈSE (www.haitisynthese.org) ;
• la maison d’édition Presses internationales GRAHN-Monde (PIGM) ;
• le projet de Pôle d’innovation du grand Nord, PIGraN – Cité du savoir (www.pigran.org) qui a reçu en janvier 2016 le « Label de Territoire de demain » de la Fondation française éponyme (http://www.territories-of-tomorrow.org/actualites/la-cite-du-savoir-recoit-le-label-territoire-de-demain/).
GRAHN-Haïti est reconnu d’utilité publique par l’État haïtien (voir Le Moniteur du 6 février 2017). Il est organisé en chapitres qui couvrent l’ensemble du territoire haïtien.
(LN) : Quid justement de PIGraN (Pôle d’innovation du grand Nord) et de l’ambitieux projet d’ériger à Génipailler un vaste campus de plus de 30 carreaux de terre, au coût total prévu pour avoisiner les $100 millions ?
(SP) : Depuis sa fondation, le GRAHN a réalisé plusieurs projets en Haïti, avec un accent particulier sur l’éducation. Mais, le GRAHN a aussi compris que, pour sortir la population de son état de pauvreté chronique, il faut rompre avec la logique d’assistanat qui a toujours prévalu au pays dans ses relations avec la communauté internationale, pour adopter une logique de recherche d’autonomie en créant la richesse par le savoir, l’innovation et l’entrepreneuriat. D’où le projet de Pôle d’innovation du grand Nord, PIGraN – Cité du savoir, conçu par le GRAHN.
Un pôle d’innovation est caractérisé, d’une part, par ses compétences techniques et, d’autre part par sa faculté à développer un réseau de partenaires pertinents au niveau local et à trouver des relais de diffusion au niveau national, voire international. Il est aussi caractérisé par sa capacité à mettre au point des solutions qui répondent aux besoins des petites et moyennes entreprises, et à les accompagner dans leurs démarches de développement par l’innovation (technologique, organisationnelle, environnementale et sociale).
Par ce projet, le GRAHN veut créer une cinquantaine de petites et moyennes entreprises sur une période de 10 ans dans la Cité du savoir et sa périphérie immédiate. Une centaine d’autres entreprises et organismes de toute la région du grand Nord bénéficieront également des services de consultation et des innovations technologiques, organisationnelles, environnementales et sociales qui émaneront de la Cité du savoir. En régime permanent, nous estimons à 20 mille le nombre d’emplois directs et indirects qui résulteront de la réalisation de ce pôle d’innovation.
La Cité du savoir, qui est au cœur de PIGraN, est en train d’être construite sur un terrain de plus de 31 hectares et sera constituée de plus d’une vingtaine d’édifices et d’ouvrages d’art étalés dans 4 secteurs : secteur universitaire, secteur scolaire, secteur services et secteur agriculture. Autour de la Cité du savoir sera construit un village de 100 maisons, comprenant un centre communautaire et un marché public. Soutenu financièrement par Food For The Poor Haïti comme participation à PIGraN, ce projet sera déployé sur un terrain de 10 hectares situé à Génipailler. D’autres projets privés de développement immobilier sont en gestation autour de la Cité du savoir.
(LN) : Que va-t-il se passer cette semaine dans le Nord ?
(SP) : Il se déroule le grand événement international PIGraN’2018 du 23 au 28 avril 2018 dans la Cité du savoir à Génipailler, troisième section communale de Milot. L’événement se tient autour du thème "Innover et entreprendre pour développer", dans l’esprit de la mobilisation à promouvoir pour faire d’Haïti un pays émergent dans les prochaines décennies.
En effet, après la pose de la première pierre de cette cité qui a eu lieu le 13 janvier 2016 (PIGraN’2016) et l’inauguration le 7 avril 2017 du premier édifice de la Cité du savoir, le Centre de la petite enfance Paul Gérin-Lajoie de Génipailler (PIGraN’2017), le GRAHN cherche à renforcer ce qui est devenu déjà une tradition en organisant PIGraN’2018.
PIGraN’2018 se veut une occasion de rassemblement des forces vives de savoir et d’innovation dans les secteurs clés de l’activité économique et sociale afin de dynamiser l’entrepreneuriat, la production de richesses et de bien-être ainsi que la création d’emplois dans le grand Nord d’Haïti. Au cours de cet événement qui réunit plus d’un millier de personnes venant d’Haïti et de l’étranger, nous partagerons avec les participants les dernières avancées du projet phare PIGraN Cité du savoir qui a reçu en janvier 2016 le prestigieux label international de « Territoire de demain » de la Fondation française éponyme .
Vingt-deux activités spécifiques se déroulent dans le cadre de PIGraN’2018. En voici quelques-unes :
1. Panel inaugural : Haïti, pays émergent 20 ;
2. Inauguration de la Chaire de recherche-développement en commercialisation des produits agricoles ;
3. Congrès des chapitres de GRAHN-Haïti ;
4. Prix d’excellence du GRAHN ;
5. 1res Journées scientifiques internationales de l’Académie Haïtienne des Sciences ;
6. Mini-école de Mathématiques ;
7. 1er Symposium international sur la petite enfance ;
8. Festival du film Haïti-Québec-Caraïbe ;
9. Foire agriculture et alimentation ;
10. Foire Art, culture, histoire, littérature ;
11. Foire Éducation, Formation professionnelle, Science et technologie ;
12. Foire Santé ;
13. Forum économique du grand Nord ;
14. Clinique d’entrepreneuriat ;
15. Atelier de littératie financière pour les femmes entrepreneures de Génipailler ;
16. Colloque du CIASTH sur les infrastructures municipales ;
17. Soirée culturelle : la lodyans à l’honneur.
Plusieurs délégations venant des régions d’Haïti, de la Belgique, du Canada (Québec, Ontario, Manitoba), des États-Unis, de la France, de la Martinique, de la République dominicaine et de la Suisse sont présentement à Génipailler pour la circonstance.
(LN) : GRAHN organise une cérémonie de remise de 16 prix d’excellence ce mardi 24 avril à Milot. Les distinctions récompensent entre autres l’action citoyenne, le leadership, etc. Que soulignez-vous à travers ce large éventail ?
(SP) : Le GRAHN fonde sa réflexion et son action sur les six principes évoqués précédemment et qui sont les valeurs qui inspirent ses actions. Pour promouvoir ces valeurs au sein de la société haïtienne et dans toutes les régions du pays, le GRAHN a instauré en 2011 un programme de Prix d’excellence visant à reconnaître et à présenter en exemple les individus ou les organismes qui incarnent ces valeurs à l’échelle nationale. C’est aussi pour perpétuer la mémoire des centaines de milliers de personnes emportées par le séisme du 12 janvier que le GRAHN a institué ce programme de Prix d’excellence. C’est enfin pour rendre hommage aux milliers d’anonymes de tous les coins du pays, qui travaillent dans l’ombre à améliorer la vie et entretenir l’espoir dans leur environnement immédiat et bien au-delà.
Dans cette démarche, le GRAHN cherche à renforcer au pays une culture d’excellence dans toutes les sphères d’activités, en mettant l’accent sur la réussite collective et le souci du bien commun. Cette culture de l’excellence se réfère à ce réflexe naturel qui caractérise tout être humain normalement constitué de se retourner vers ce qu’il y a de meilleur pour guérir ses êtres chers, panser ses blessures profondes, calmer ses douleurs intenses, satisfaire ses besoins urgents, résoudre ses problèmes complexes, etc. L’excellence correspond donc à cet idéal que doit poursuivre toute société désireuse de progrès et de bien-être, à cette nécessité de viser toujours plus haut pour éviter la stagnation, les dérives et la descente aux enfers. La démarche du GRAHN s’inscrit donc dans cette quête de progrès social par la valorisation et la stimulation des personnes qui incarnent le goût du travail bien fait, la persévérance dans la quête d’un monde meilleur, le dépassement de soi et le sens de l’éthique.
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(LN) : Le pays, sur le plan politique, a retrouvé une normalité institutionnelle. Mais, contrairement au discours politique dominant sur le changement, les indicateurs macroéconomiques et la propension de plus en plus forte à l’exode de beaucoup de jeunes soulignent la grande précarité du pays. Quelle trajectoire voyez-vous le pays prendre en ce qui concerne ses engagements internationaux, ceux envers ses citoyens, son avenir ?
(SP) : Le GRAHN s’inquiète beaucoup de la dégradation des conditions de vie de la population, particulièrement après le tremblement de terre qui a imposé au pays un recul de plus de 50 ans. Par-delà les chiffres et les indicateurs macroéconomiques, la misère est visible dans la plupart des quartiers de Port-au-Prince et l’extrême pauvreté saute aux yeux quand on parcourt les villes, les communes et les sections communales d’Haïti. Nos villes sont devenues de plus en plus sales, avec des déchets qui ne font l’objet d’aucune gestion, mettant ainsi en danger la santé de la population. Les rues de nos villes et de nos campagnes regorgent de jeunes qui n’ont rien à faire, circulant dans les rues sans destination précise, reflétant l’image d’un désœuvrement inquiétant pour l’avenir du pays : la société haïtienne n’a pas réussi à intégrer sa jeunesse ni à lui donner la perspective nécessaire pour lui permettre de croire au pays. De plus en plus de jeunes perdent confiance dans le pays, considéré comme un bateau en péril qu’il faut abandonner à tout prix dans une sorte de sauve-qui-peut guidé par l’individualisme. Ce n’est pas exagéré de dire qu’Haïti est un pays qui ne s’occupe pas de sa jeunesse, qui ne s’occupe pas de ses citoyens tout court, tous groupes d’âge confondus. À un moment où l’ingrédient de base qui conditionne le progrès des nations demeure la ressource humaine, Haïti est en train de creuser sa tombe en dilapidant cette ressource.
(LN) : La reddition de comptes et la lutte contre la corruption sont dans l’air du temps. Selon vous, Haïti a-t-elle fait des progrès dans ces domaines ?
(SP) : Pas vraiment ! Je dirais même que la lutte n’a pas encore commencé, ou du moins je n’en vois pas encore les signes. Haïti n’a pas le monopole de la corruption. Ce phénomène est présent, à des degrés divers, dans plusieurs sociétés du Nord comme du Sud. Ce qui singularise Haïti dans ce débat, c’est la persistance de l’impunité lorsque des cas de corruption sont détectés et documentés. On parle beaucoup de la corruption d’État, mais c’en est pas la seule forme : il y a aussi la corruption au niveau de la machine administrative et la petite corruption que l’on retrouve dans toutes les strates de l’organisation sociale. Mais attention, ne généralisons pas trop hâtivement ! Personnellement, j’ai rencontré dans l’administration publique haïtienne des fonctionnaires d’une très grande intégrité professionnelle et qui s’acquittent de leurs tâches avec une rare compétence. Ce sont ces personnes qu’il faut promouvoir et montrer en exemple vivant pour assainir et renforcer l’administration publique haïtienne, fer de lance d’un État moderne et efficace.
(LN) : Vous avez forcément suivi la saga PetroCaribe et les prises de positions allant d’accusations d’instrumentalisation de ce dossier à des fins de nuisance politique à un besoin, une volonté de faire la lumière sur les allégations de gaspillage et de détournement de ces fonds. Qu’en pensez-vous ?
(SP) : Oui, j’ai suivi un peu la saga Petrocaribe. Ce que j’en ai compris, c’est qu’un fonds a été créé grâce à la générosité du Venezuela qui a alimenté Haïti en pétrole à des conditions très avantageuses s’apparentant à une dette étalée sur le long terme mais remboursable par les générations futures. Ce que j’en ai aussi compris, c’est un fonds qui était essentiellement dédié à des projets de développement. Le Sénat de la République a mené deux enquêtes plutôt qu’une, qui semblent conclure à une dilapidation de ces fonds publics. Évidemment, le rapport a été vigoureusement contesté par les personnes qui y sont mentionnées, notamment en remettant en cause la réalité des faits reprochés et la responsabilité des auteurs présumés. Dans un pays de droit, le principe de la présomption d’innocence doit être respecté et la réputation des personnes doit être préservée tant qu’une décision de justice n’a pas été prise contre elles. Cela dit, la question de fond demeure : est-ce que le fonds PetroCaribe a été utilisé à bon escient, c’est-à-dire pour réaliser des projets de développement du pays et au bénéfice de la population ? Cette question est prioritaire dans le débat et la nation a droit à une réponse rigoureuse, documentée et sans complaisance des machines gouvernementales successives qui avaient la responsabilité de gérer ces fonds. J’aurais aimé savoir la réponse que le précédent président Préval, aujourd’hui décédé, aurait donnée à cette question. Quant à son successeur, le président Martelly, il aurait reconnu tout au moins que les fonds PetroCaribe n’ont pas été dépensés à bon escient, ce qui aurait l’allure d’allégations de gaspillage et de détournement de ces fonds. Une telle déclaration à elle seule justifie une enquête sérieuse sur le sujet, d’une part, pour valider, invalider ou corriger éventuellement le rapport du Sénat, et, d’autre part, pour tirer les leçons de cette saga qui ternit la réputation d’Haïti à l’échelle internationale et mine encore davantage la confiance de la population dans ses élites politique et économique.
(LN) : Le président Jovenel Moïse vient de passer un an au pouvoir. Que vous dit le début de sa présidence et son programme phare "la Caravane changement" ?
(SP) : Le moins qu’on en puisse dire, c’est qu’il a tenu sa promesse électorale de mettre l’agriculture à l’avant-scène de son programme de développement, et c’est un choix opportun. La Caravane du changement est une initiative qui démontre de la part du président un certain intérêt pour l’interaction directe avec la population et une volonté de s’attaquer de front à certains besoins exprimés. Cependant, l’opération comporte son lot de risques et ces derniers sont multiples. En voici quelques-uns :
• le risque d’affaiblir l’appareil d’État déjà fragile qui demeurerait à la remorque des initiatives du chef de l’exécutif agissant à la fois comme instance d’exécution et de contrôle ;
• la réduction de la transparence dans les dépenses si jamais celles-ci ne respecteraient pas les processus réglementaires de passation des marchés publics ;
• l’effet d’éviction que pourrait causer un tel programme caractérisé par une baisse de l’investissement et de la consommation privée provoquée par une hausse des dépenses publiques, ou encore une extension des activités du secteur public au détriment du secteur privé, avec un impact négatif sur la vitalité des entreprises et sur l’emploi. Il faudrait tout au moins que des mesures efficaces soient prises pour mitiger ces risques.
(LN) : Le GRAHN est un vivier d’études et de propositions de solutions à différents problèmes d’Haïti. Presque huit ans après, est-ce que tout ou une partie de vos recommandations ont servi, ont été transformés en politiques publiques ?
(SP) : Très peu ! Beaucoup de nos idées et recommandations en matière de développement d’entrepreneuriat ont été reprises et transformées en politiques publiques. Mais, pas assez à notre goût. Le jour où Haïti aurait un État qui souhaite véritablement utiliser toutes les ressources du pays pour développer celui-ci, des groupes comme le GRAHN seront très utiles au pays pour proposer, recommander, accompagner et réaliser des politiques publiques. Nous croyons que ce jour-là arrivera, sans mettre d’échéance. Avec très peu de moyens, le GRAHN dispose d’une grande capacité d’agir et de réaliser des choses concrètes au pays selon une approche citoyenne. Cela pourra aider quand la volonté de construire ce pays dépassera la phase cosmétique.
(LN) : Comment peut-on créer l’indispensable articulation entre les think thank et les responsables politiques de la section communale au palais national pour mettre la science et la technique au service de la cité, au service des populations ?
(SP) : Toutes les sociétés qui progressent aujourd’hui sont alimentées par des think thank qui les alimentent en réflexion, en études de toutes sortes, pour éclairer le débat public et optimiser le processus de prise de décision. Certes, les think thank ne sont pas neutres et ne prétendent pas l’être non plus. Dans le cas du GRAHN, nous avons pris le parti d’une société fondée sur la justice sociale, la défense du bien commun, la protection de l’environnement et une éducation de qualité pour tous. Ce sont nos choix et nous les assumons entièrement. Le GRAHN a toujours affiché clairement sa disponibilité à collaborer avec toute instance gouvernementale qui partage ses valeurs. D’ailleurs, nous avons déjà eu par le passé des ententes de collaboration avec le ministère du Commerce et de l’Industrie, le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle. Nous venons de signer, le 24 avril dernier, un protocole d’accord de coopération avec la ville de Milot, ce qui permettra justement de mettre la science et la technique au service de la cité, au service des populations.
(LN) : La distinction à trois journalistes, dont un Haïtien et deux étrangers intervient dans un contexte particulier, la disparition et fort probablement l’assassinat de Vladjimir Legagneur, un photojournaliste haïtien de 27 ans. Est-ce qu’il faut chercher un sens à ce choix et à la volonté du GRAHN de mettre en avant l’importance des travailleurs de la presse dans une société démocratique ?
(SP) : Le GRAHN croit beaucoup dans la démocratie comme modèle d’organisation de la vie politique, en admettant néanmoins que c’est le moins mauvais des systèmes. Et cette démocratie doit reposer sur une liberté responsable de parole et une quête rigoureuse de la vérité des faits pour mieux éclairer l’opinion publique. En ce sens, ce prix du GRAHN vient effectivement mettre en évidence l’importance des travailleurs de la presse dans une société démocratique, importance qui se mesure par le degré d’indépendance d’esprit et de professionnalisme des journalistes.

Propose recueillis par Frantz Duval
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