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La lutte contre la corruption est un défi pour sauver la démocratie : un enjeu d’ordre mondial ?

samedi 2 juin 2018 par Charles

La corruption pourrait paraître comme une aporie pour la démocratie. Primo, le système démocratique – processus historicosocial et idéologique de l’Occident étant basé, d’un point de vue philosophique, sur la confiance des citoyens (les mandants) à un autre groupe de citoyens (les mandataires) – généralement ou caricaturalement mis en scène dans le cadre d’une élection afin de déléguer à la fois ses pouvoirs politiques, législatifs, et surtout économiques à ces derniers qui prétendaient les gérer avec rationalité et perspicacité pour la res publica.

Ainsi, la corruption dans sa pratique est une négation de ce contrat social et fiduciaire. De fait, elle met en péril la démocratie elle-même comme modèle politique basé et construit sur la confiance du peuple à ses mandataires ; elle apparaît pratiquement comme étant la négation même du pouvoir du peuple par le peuple, car ce dernier trahi à chaque moment par l’élite politique rompt à première vue ce pacte. Dans ce cas, on pourrait se mettre d’accord sur la thèse de l’État contre la nation.

Les pratiques de corruption mettent en péril les valeurs et les normes de la démocratie en ce que la corruption « substitue les intérêts privés à l’intérêt public, sape les fondements de l’État de droit, nie les principes d’égalité et de transparence en favorisant l’accès privilégié et secret de certains acteurs aux ressources publiques » (Della Porta et Mény, 1995 : 13).

Il en découle, d’une part, le mépris du peuple par les dirigeants et, d’autre part, la méfiance du peuple pour la politique qui se manifeste par le désengagement politique lors des périodes électorales, mais aussi dans la pratique quotidienne même du jeu politique. Il paraît logique de parler d’une crise de la représentation politique, c’est peut-être le défaut même de la démocratie telle que conçue. À preuve, certains parlent d’une réforme de la démocratie, où les qualificatifs de démocratie participative avec référendum contre une démocratie procédurale, d’autres proposent une éthique de la discussion.
Secundo, la corruption révèle si l’on veut bien le visage de l’homme dans la vie pratique. En effet, l’homme, conscient des grands enjeux, Constitutions, lois, règlements, codes et comités éthiques, etc., il les violait constamment et consciemment et il sait pertinemment les risques qu’il encourt, du moins dans les pays où la justice est forte.
Lorsque Dieu était vivant, l’homme était corrompu, et au XVIIIe siècle, d’aucuns parlent de la mort de Dieu, avec le bémol que son cadavre est considérable, pour citer Alain Badiou. On pensait pouvoir construire la morale sans le secours des béquilles de la religion, de la métaphysique et des concepts traditionnelles du bien (Ogien Ruwen).

On s’attache à une petite éthique (Mark Hunyadi) qui se borne à la défense des droits et des libertés individuelles. De la mort de Dieu à la mort de l’homme dans le sens foucaldien, l’homme est encore corrompu même sous la trame des grands systèmes d’idées philosophiques, politiques, moraux, économiques, juridiques et sociaux.

Somme toute, la figure de l’homme corrompu apparaît constamment, la démocratie voulait la rendre floue, voire indicible, en la basant sur la confiance interpersonnelle, mais, à chaque fois brisée, la nation demande des comptes parfois, et c’est la démocratie qui est en danger. Ainsi, elle se tord sur elle-même pour retrouver dans l’appareil judiciaire la manière de surveiller et punir ces dirigeants. Il faut en tout cas garantir la démocratie, c’est un défi plutôt politique que philosophique.

C’est par l’entreprise de sauvetage de la démocratie en tant que système politique que l’on est à même de comprendre cette lutte contre la corruption au niveau mondial. Certains pays européens se donnent la peine de moraliser la vie publique, d’autres dénoncent et poursuivent les prétendus corrompus avec la dernière rigueur. Un peu partout à travers le monde, on combat la corruption, au Nord comme au Sud, en France, en Italie, en Corée du Sud, comme au Brésil, pour ne citer que ceux-là.

Au niveau international, régional comme national, la corruption, c’est la nouvelle panique morale, la morale universaliste saisit celle-ci, des attracteurs idéologiques en font leur champ de bataille. Alors, partout on semble dégager un consensus sur le nouveau mal du début du XXIe siècle : la corruption est à abattre.
Haïti a-t-elle besoin de sauver la démocratie chez elle ?

Depuis 1987, la corruption traverse toute la transition démocratique avec son lot constant de scandales et d’indignation. Selon le dernier classement de la Transparency International en matière d’Indice de perception de la corruption (2018), Haïti est placée en 157e position sur 180. Haïti compte parmi les pays dont le niveau de contrôle de la corruption est perçu comme le plus bas au monde. De façon générale, les études internationales à visée comparative et les études nationales réalisées dans une perspective de lutte contre la corruption parviennent aux mêmes conclusions.
La corruption est toujours un abus de pouvoir délégué au détriment d’un tiers, contrairement aux infractions qui impliquent deux personnes, une victime et un auteur, la corruption est une relation d’agence qui suppose trois personnes : deux personnes qui s’accordent au détriment d’une tierce victime. Dans le cas de la corruption publique, la victime est en général le peuple (Éric Alt).
Jusqu’à quel seuil la société haïtienne peut-elle absorber et amortir les externalités négatives du contexte d’incertitude et de non-droit générées par les mécanismes de corruption ? Qui supporte en fin de parcours les coûts faramineux que les trappes de corruption produisent dans pratiquement tous les secteurs : santé, enseignement, justice, équipement, constructions, transports, emplois fictifs, élections, établissements publics, marchés publics, collectivités locales, recettes de l’État…, etc.?
Généralement, le combat contre la corruption en Haïti se heurte à l’opacité et le secret. Néanmoins, ces treize dernières années (2005-2018), du rapport Paul Denis aux rapports Latortue-Beauplan, des enquêtes administratives et techniques ont été menées, mettant en exergue les conditions de passation de certains marchés publics, certaines autorisations donnant lieu à de grands projets d’investissements, à l’établissement des contingents d’importation, à la réglementation de monopoles naturels, à des opérations de privatisation ou même de délégation de services publics locaux (eau, électricité, assainissement…).

Cette forme de corruption est génératrice de distorsions importantes, aussi bien au niveau du coût élevé de certaines opérations, à la sous-qualité de certaines prestations, ou même des fois à des réalisations injustifiées ou non prioritaires à l’aune de projets de développement ou de politique économique. Nonobstant ces preuves, aucune poursuite judiciaire n’est mise en branle par les pouvoirs publics.
Au-delà de ses formes, la corruption n’est pas une tare congénitale pouvant disparaître suite à quelques modifications à la marge, ou suite à quelques effets d’annonce en termes de « sensibilisation » ou de « moralisation ». La corruption n’est pas une abstraction, ou un luxe intellectuel, mais produit, au quotidien, des conséquences négatives et graves pour l’ensemble de la communauté, et qu’enfin la lutte contre elle ne saurait s’inscrire dans le conjoncturel et l’occasionnel.

De même que la communauté internationale n’a pas attendu qu’Haïti ait une économie moderne pour lui imposer en quelque sorte les Programmes d’ajustement structurel ( PAS) dans les années 1970-80. Sans pour autant être une société moderne, Haïti vit les affres de la mondialisation. Et dans la même veine, la lutte contre la corruption enclenchée au niveau mondial sera une obligation pour le pays par crainte d’être mis en quarantaine par la communauté internationale avec toutes les conséquences que cela impliquerait.

Que Haïti veuille ou non lutter contre la corruption, une chose est certaine : tenant compte des rapports géopolitiques et géoéconomiques au niveau mondial, elle doit participer et elle participera de gré ou de force dans cette nouvelle lancée de lutte contre la corruption, c’est un défi mondial, il faut sauver la démocratie dans ses fondements et ses pratiques, car « elle est le moins mauvais de tous les systèmes », disait Winston Churchill.

Feland Jean, sociologue felandjean@yahoo.fr
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