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Bloc-notes

L’insoutenable gravité…

mardi 7 août 2018 par Charles

National -

Je voulais sortir du grave. Donner un air de légèreté à cette chronique. Mais une femme est morte hier, dans la rue, devant un hôpital, après avoir été conduite à trois autres hôpitaux qui ne l’ont pas reçue.

Je ne sais pas si son admission à un centre hospitalier l’aurait sauvée, mais je sais qu’il n’est pas juste que l’on meure ainsi. Parce qu’on n’avait pas d’argent. Ou parce que l’on vous dit qu’il n’y a personne pour s’occuper de vous. Les funérailles auront lieu mardi. Parce que les morgues ça coûte, et l’argent manque. Il y aura juste quelques parents, et cela ne fera pas la une des quotidiens.
J’aurais voulu parler d’une belle histoire d’amour, écrire un conte de fées, pour changer. Mais j’ai passé du temps à écouter deux jeunes femmes parler de viols qu’elles ont subis. Une dans son enfance par un parent. L’autre dans son adolescence par un jeune adulte qui prétendait l’aimer. Et j’ai écouté, malgré moi, hier et avant-hier, fruit du vacarme d’une boîte qui aurait dû être fermée pour nuisance sonore et autres troubles de la paix publique, des « musiques » présentant la femme comme pute et marchandise. L’image publique de la femme comme vile, sale, moins que rien, capable de tout et à qui on peut donc faire n’importe quoi.
J’aurais voulu parler des gouttes de rosée qui aideront à la gouverner pour un monde plus beau. Mais il a plu hier. Et tandis qu’un petit groupe hurlait des insanités dont le bruit couvrait le bruit de l’eau, la pluie a tué deux rues plus haut. On en parle dans le quartier. Ceux qui ont vu racontent. Ceux qui n’ont pas vu racontent aussi en imaginant. Et tous ont peur. Parce que la pluie ne demandera pas leur permission pour tomber. Et elle emportera peut-être tout ce qui lui passera sous les gouttes.
J’aurais voulu rester dans le positif, parler de l’accord possible entre la Bibliothèque municipale de Delmas et la bibliothèque du centre culturel Anne-Marie Morisset, une bonne chose pour une ville en manque de bibliothèques et un exemple de collaboration entre secteur public et secteur privé. Mais j’ai découvert par hasard qu’un demandeur d’emploi dans un centre culturel était analphabète. Il est jeune, se voudrait dynamique. Mais reste coupé du monde, dans la solitude de qui ne connaît pas le miracle de la trace écrite. Pour les bibliothèques, il attendra.
Je voulais parler du vivant, du sain, du viable. Tout cela existe. Mais le malheur fait masse et cela tourne vite à la démagogie de parler de ce qui se fait de bien sans mettre cela en relation avec tout ce qu’il y a à faire. Avec tout ce qui n’a pas été fait. Et mon lundi matin est fait de ces chansons obscènes qui dénigrent les femmes, de cette femme morte dans la rue, de cet homme tué par la pluie, de ces viols impunis, de cet analphabète qui ne trouvera pas l’emploi qu’il sollicite.

La gravité s’impose à moi, et le matin est lourd.

Antoine Lyonel Trouillot
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