MosaikHub Magazine

Bas les masques !

samedi 30 août 2014

"On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment." Cette maxime d’un frondeur roué, et que prisait Mitterrand, aura enlisé la France et l’Europe dans ses sables mouvants. Notre grande affaire, c’est désormais de quitter ce vice politique national. Et de chasser toute sa bande : l’évitement, la défausse, le dilatoire, l’évasif du rêve, la langue de bois et sa peur des mots vrais. "Quand il y a du flou, c’est qu’il y a un loup." Avec la crise, la battue est ouverte, mais beaucoup de loups courent encore.

Pour la France, le "loup", c’est l’incapacité à quitter, peu ou prou, un modèle social estimable mais dévoyé par l’outrance et le déficit. Arracher la France à son addiction, extirper des "avantages acquis" qui ont pénétré les reins et les coeurs de la Nation, ce défi est d’une telle ampleur qu’on ne fera pas à Hollande le procès prématuré de refuser, aussitôt élu, une chirurgie expéditive. On n’attendra pas du socialiste qu’il rallie d’emblée les recettes de Mrs Thatcher pour redresser un pays jadis aplati, comme le nôtre aujourd’hui. On espère seulement qu’en social-démocrate européen "bon teint" son bras ne tremblera pas pour recourir au traitement réformateur de ses pairs sociaux-démocrates. Le coupable, chez nous, gît dans la dépense publique et l’emplâtre fiscal ne le ménage que trop.

Hollande a pour handicap d’opérer à chaud, sous l’aiguillon de la crise financière et d’une Europe en désarroi. Il a pour avantage d’avoir soudain les mains libres aux commandes de l’État. Le politique y souffrira de trahir des chimères. L’homme d’État, s’il se révèle, s’enorgueillira de les sacrifier à une Nation en péril. Sur Hollande rôde le couperet du "trop peu, trop tard". On espère qu’il le surveille tous les matins en se rasant.

Pour les Français rassis, le bon viatique est d’admettre, avec Sartre, comme fatal le "pathétique de toute grande mutation, celle de l’insecte en train de muer". Quand tombent les écailles d’un ordre ancien, quand s’engloutit le passé avantageux d’une Nation chérie par l’Histoire, alors l’arrachement de la chrysalide est en effet "pathétique". Car, ne rêvons pas, la France n’est pas sommée, comme le raconte une polémique subalterne, de tourner le dos au quinquennat sarkozyste : elle est sommée de quitter les aîtres d’une antique demeure. Dans ce qui fut, en Europe, le beau château de la Maison France, elle vit, depuis belle lurette, en douairière rencognée, empruntant à tout-va, dilapidant son patrimoine et regimbant contre les "parvenus" du monde nouveau. L’heure sonne où elle ne peut ni mentir aux autres ni se mentir à elle-même. L’espérance, au bois dormant, n’est pas morte. Mais pas encore réveillée.

C’est, de même, l’ambiguïté qui paralyse la France devant le sac de noeuds européen. Magistrale dans le verbe, dans l’élaboration de concepts europhiles, elle renaude, au jour le jour, à respecter ce qu’elle prescrit : ainsi du pacte de stabilité recommandé puis défoncé par nos soins. Héritière, en cela, du bicentenaire Rousseau, auteur d’un ouvrage édifiant sur l’art d’élever un enfant... et qui abandonna les siens à l’Assistance publique, elle dessine, pour l’Europe, un avenir mirifique avec l’idée d’y recouvrer une grandeur par procuration. Mais elle se dérobe dès lors qu’il s’agit d’écorner les apanages de son intouchable souveraineté. Aujourd’hui l’Allemagne, en prônant un sursaut fédéral, chante à la France : "Tu veux ou tu veux pas...". À nous de répondre, sans se tortiller : "Quel fédéralisme, et pour quoi faire ?" (1).

La réponse, c’est vrai, n’est pas facile. Par référendum, la France, en 2005, a dit non à l’Europe. Et Sarkozy, pour en sauver le processus, usa de l’approbation parlementaire. L’européen Hollande appelle à ses côtés Fabius, le plus éminent des anciens "nonistes" de son camp. Pourquoi pas, s’il s’agit d’engranger une conversion opportune ou de désarmer une opposition inopportune ?

L’essentiel, c’est que Hollande, sur l’Europe, seul à la manoeuvre, ose se défaire du gallo-centrisme (2), cette croyance rampante dans la supériorité de toute démarche française. On y oublie que la France est seule, sur le Vieux Continent, à se priver de la participation délibérative du Parlement. Notre gouvernance monarchique a ses avantages dont Sarkozy usa et dont Hollande peut user encore. Mais elle n’est pas pour rien dans l’éloignement de l’opinion envers l’Europe technocrate de Bruxelles. Combien de Français en remâchent les défauts exploités par nos démagogues en ignorant les fruits considérables de l’intégration patiente du Marché commun ?

Sur l’atout de l’euro, et les obligations que sa santé exige, la crise délivre une salutaire pédagogie. Il revient au politique de dissiper, à son tour, l’enfumage européen. Pour dire enfin en Europe qui fait quoi. Pour, là encore, sortir d’une ambiguïté verbeuse qui endort l’Europe et décourage l’opinion. Alors, oui, bas les masques ! Autant les ôter avant qu’on nous les arrache !
L’éditorial

de Claude Imbert


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