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Haspil Rivière, une vie dédiée à l’enseignement

mercredi 19 septembre 2018 par Charles

Avec ses trente-quatre ans de carrière dans l’enseignement, la vie de M. Haspil Rivière gravite autour de l’école. De 1984 à nos jours, ce professeur de philosophie se dévoue corps et âme à former les jeunes, symboles de la génération future. Depuis, le personnage célèbre de la bande dessinée « Alain Possible » y a pris goût et ne peut désormais s’en passer. Comme il aime tant à le dire, « l’enseignement est allé le chercher ». Il l’accompagnera donc jusqu’à sa mort.

C’est dans le fief de M. Rivière que nous avons décidé de le rencontrer en ce lundi matin de septembre. Il est 10 heures, le Collège Canado-Haïtien vient de sonner pour la récréation et le professeur termine à peine son cours de philosophie générale. Dans le hall du premier étage, tout dans cet homme grand qui nous reçoit avec le sourire incarne le respect, la discipline et le sens du travail bien fait. Arborant un costume noir, une chemise blanche, une cravate à rayures et des souliers noirs bien cirés, ce géant à la peau basanée et aux cheveux poivre et sel nous domine de la tête aux pieds.
Dans le bureau du Responsable du nouveau secondaire, rien de chic ni d’extravagant, sinon du matériel scolaire étalé sur sa table. Des livres, des crayons, des plumes, une agrafeuse, le journal du jour, entre autres, indiquant le souci d’un éducateur passionné charriant trente-quatre ans de carrière, qui ne fait pas de l’argent sa principale motivation. Il nous dit être un enseignant à l’affut de l’actualité, surtout des articles de presse relatifs au système éducatif. Le professeur de lettres de bientôt 55 ans est piqué par l’amour de sa profession, de ses élèves et n’imagine pas sa vie autrement. « Quand j’ai commencé, l’enseignement était un sacerdoce, et quoi qu’on fasse il le restera. Si on n’est pas passionné, mieux vaut se tourner vers autre chose », explique l’ancien élève du Collège Notre-Dame du Cap-Haïtien, avant que le son de cloche annonce la fin de la récré. « Excusez-moi, les élèves doivent rentrer en classe. »
Assise en face de lui, on a l’impression de retourner dans la peau d’une élève attentive au cours d’un professeur de vocabulaire. Tout dans le discours de monsieur Rivière constitue une source d’apprentissage. Sans nous lasser, il nous conduit donc dans les tréfonds de sa vie où se conjuguent passion et sacrifices. « Moi, je suis un malade de l’enseignement, je suis un passionné. Je professe avec mon cœur, mon âme, tout ce que j’ai comme énergie », affirme le responsable des études du Collège Canado-Haïtien. C’est peu le dire, car, justement, le natif de Terrier-Rouge, de toute sa carrière, n’a jamais enregistré un retard. Du haut de ses 21 années au Canado, Haspil Rivière n’a jamais sollicité un congé pour cause de maladie. « Jamais un retard ni d’absence. Du lundi au vendredi, je suis au Canado à 6 h 10 du matin, en période de pluie comme de sécheresse. Tout le monde le sait. Et si par hasard, j’arrive quelques minutes après cette heure, c’est déjà l’inquiétude », raconte le benjamin d’une famille de sept enfants.

Enfant, le petit Haspil présentait déjà des aptitudes pour le métier d’enseignant. Ce qui n’échappait pas à ses professeurs qui lui assignait le rôle de responsable de récitation. Très calé en calculs, en arithmétique et en problèmes, il était celui qu’on retrouvait constamment au tableau. Rentré à Port-au-Prince en 1980, ses aptitudes se sont développées au Collège de Côte-Plage où il a poursuivi ses études secondaires. « Tous les responsables m’identifiaient au professorat. De temps en temps, je travaillais avec d’autres camarades en groupe. L’enseignement est allé me chercher dès la classe élémentaire. Je me suis donc dit pourquoi ne pas aller dans cette direction, par la grande porte. J’ai donc fait le choix de devenir professeur en m’inscrivant en 1986 à l’École normale supérieure au département de philosophie », conte de sa mémoire d’éléphant l’ancien étudiant en service social de la Faculté des sciences humaines qui, dès la 2e année, a troqué la FASCH contre l’ENS. On n’échappe pas à son destin, diraient les fatalistes.
Diplôme en poche, de la passion et de la détermination à revendre, Haspil Rivière ne jure alors que par son métier. Des lycées aux écoles privées, celui qui aurait dû devenir médecin s’il s’était résolu au choix de ses parents, a roulé sa bosse dans pas mal d’établissements du pays. « Depuis 1987, j’ai enseigné dans plusieurs écoles : FTEC, Collège Lucien Hubert, Collège Roussan Camille, Centre d’études Lumière, Collège Élie Blaise, Collège Juvénat du Sacré-Cœur, Collège Canado-Haïtien, Collège Univers Frères Raphael, Lycée Marie-Jeanne et Lycée national de Mirebalais », énumère le détenteur d’une maîtrise en sciences de l’éducation d’un programme de l’Université royale, qui porte tous ses élèves dans son cœur, particulièrement celles du Lycée Marie-Jeanne. « Le Lycée Marie Jeanne représente à lui-seul une partie de moi-même. Notre aventure dure depuis 28 ans. J’aime le lycée, j’aime les Mariejeannaises », avoue l’ancien professeur de français du collège de Côte-Plage.
Toujours soucieux du travail bien fait, de la formation des élèves et de la discipline, Haspil Rivière dénonce le laisser-aller qui sévit dans les écoles publiques du pays. Directeur du Lycée Fritz Pierre-Louis du temps de l’ancien ministre de l’Éducation Gabriel Bien-Aimé, il a failli y laisser sa peau. « J’avais compris combien certains professeurs ne sont pas partisans de l’amélioration des conditions d’apprentissage des élèves dans les lycées. On me pointait du doigt comme une bête noire, pour avoir seulement demandé aux professeurs de venir travailler. Certains ne voulaient pas travailler en semaine afin de réclamer de l’argent des élèves pour compenser les cours le samedi et le dimanche. Ce que je n’avais pas accepté. N’était-ce la Providence, ma seule présence à ce lycée aurait pu me coûter la vie. Des détracteurs ont déguisé des malfaiteurs dont la plupart étaient de Fort Saint-Clair, de Cité de Dieu pour venir au lycée avec des armes à feu », se rappelle-t-il le regard rempli de tristesse.
Passé le cap de cette mauvaise expérience, le père de deux jeunes filles se réjouit d’avoir la chance de poursuivre son combat dans des écoles de qualité, comme le Collège Canado-Haïtien et le lycée Marie-Jeanne, lesquelles affichent de bons résultats aux examens d’État et sur le marché du travail. « Le rendement dépend de la pédagogie adoptée et une école de qualité affiche un pourcentage de rendement scolaire supérieur ou égal à 9, soit de 90 à 100 %. De plus, les produits qu’on envoie sur le marché du travail doivent donner au moins une démonstration de leur intelligence pratique, car si vous restez seulement au niveau livresque, vos idées n’atterriront jamais. Il faut donc offrir à la société et au marché du travail des produits adaptés à la réalité du moment », fait remarquer le natif de la Vierge. Il croit dur comme fer que seulement l’application de l’ordre dans les écoles dites « borlettes » forcera l’échec scolaire à se résorber.
Qu’en est-il de la retraite de M. Rivière ?
Un long temps de réflexion s’impose… On sent que ce mordu de la lecture tient encore à former d’autres générations de jeunes. N’empêche qu’il ne pense quand même à plier bagages en 2028, soit à l’âge de 65 ans. « Je dois me contenter de partir comme Monsieur tout le monde, car au-delà de 65 ans, dans l’enseignement, c’est trop risqué. De plus, ce n’est pas une profession facile, c’est un domaine tellement exigeant qui requiert beaucoup de temps pour la préparation, la lecture surtout. Dans dix ans, je souhaite mettre un terme à l’enseignement en classe et me consacrer plutôt à celui de tout le monde grâce à des conférences. On est enseignant pour la vie », indique-t-il.
Entre-temps Haspil Rivière continue de partager son cœur entre ses élèves et sa chère Violette, sa tendre compagne. Encore un tour du destin, Violette est la maman d’une de ses anciens élèves. Les tourtereaux sont ensemble depuis quinze ans, pourtant l’amour que le professeur porte à sa femme demeure aussi vivant qu’en 2003. « Violette c’est ma sœur, mon amie, ma femme, ma confidente, ma mère. Violette c’est nous », déclare-t-il les yeux étincelants. Pour conclure, il prend le temps de faire un vœu. Lequel, selon vous ? « À ma mort, j’aurais aimé avoir comme épitaphe "Ici repose un homme qui n’a rien fait de sa vie autrement qu’enseigner". »


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