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La foi, la justice, la médecine et les punaises

vendredi 21 septembre 2018 par Charles

Editorial -

Depuis quelque temps, la machine de la justice haïtienne se met en marche et s’arrête en route. On lance des affaires qui finissent dans des impasses. Alors on casse des feuilles et on les recouvre tout doucement.

Sur plusieurs dossiers, ces dernières années, l’appareil judiciaire s’est mis en branle en pensant avoir raison, puis a dû s’arrêter devant les exigences du droit. Les carences légales des poursuites sauvent les justiciables de mésaventures qui auraient pu avoir de graves conséquences.
Ces derniers jours, les punaises n’ont jamais été aussi dans les conversations. Il est beaucoup question d’un fameux pasteur qui prescrit à ses fidèles des remèdes insolites pour des maladies bien réelles. Devant le tollé soulevé dans l’opinion et pour apaiser la clameur publique, la justice et l’État, dans ce cas précis le parquet et le ministère des Cultes, ont cru bon de se mettre en action.
Il n’y a pas encore de décision arrêtée. La chose n’est pas encore jugée. Mais il est bon de rappeler quelques principes de base : il n’y a pas de crime, pas de peine sans loi. « Nullum crimen, nulla poena sine lege », disent les juristes.
De plus, la Constitution haïtienne en vigueur prescrit à l’article 28 dans sa section C traitant de la liberté d’expression que « Tout Haïtien a le droit d’exprimer librement ses opinions, en toute matière par la voie qu’il choisit ». La section D, qui dispose de la liberté de conscience, en l’article 30, stipule : « Toutes les religions et tous les cultes sont libres. Toute personne a le droit de professer sa religion et son culte, pourvu que l’exercice de ce droit ne trouble pas l’ordre et la paix publics ». L’article 31, inséré dans la section E qui traite de la liberté de réunion et d’association, est claire : « La liberté d’association et de réunion sans armes à des fins politiques, économiques, sociales, culturelles ou à toutes autres fins pacifiques est garantie ».
À chaque fois qu’un officier judiciaire ou un fonctionnaire veut traiter un cas qui relève de ces libertés, il se doit de relire la Constitution et de prendre connaissance des traités et conventions dont le pays est partie. La porte aux abus est grand ouverte et les textes sont disponibles. Juges et fonctionnaires doivent s’en souvenir.
Dans le cas du pasteur, du prophète ou du simple charlatan, chacun attribuera l’épithète qu’il croit convenir, ne serait-il pas plus constructif de chercher d’abord les preuves qui permettraient de nommer l’infraction commise, de la rattacher à une loi et s’il y a lieu d’engager des poursuites en bonne et due forme ?
Au lieu de s’aventurer sur le sable mouvant des croyances,
la justice haïtienne a-t-elle examiné le cas pour voir si on se trouve pas devant un cas d’exercice illégal de la médecine, de mise en danger de la vie d’autrui, de non-assistance à personne en danger ou autres ?
Dans notre pays, il y a un vrai problème de société avec nos guérisseurs, hougans, médecins-feuilles, pasteurs et autres faiseurs de miracles. Ils retardent l’entrée à l’hôpital de malades ou écartent des chemins de la médecine de vrais patients. La justice haïtienne peut avoir un rôle à jouer pour y remédier. En aucune manière cependant, le déficit d’éducation ne pourra être comblé par des interdictions maladroites ou des assignations bancales.
La justice haïtienne, parce qu’elle ne prend pas le temps de bien préparer ses dossiers, laisse trop souvent sur les bras de la société des problèmes complexes. Là aussi, malheureusement, les prières et les miracles ne peuvent porter remède aux maux de la dame aux yeux bandés.

Frantz Duval
Auteur


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