MosaikHub Magazine

Fromantin : « Bientôt, chacun pourra vivre et travailler où il le souhaite »

jeudi 8 novembre 2018 par Charles

ENTRETIEN. Dans un essai stimulant, le maire de Neuilly défend un grand projet politique qui marie nouvelles technologies et organisation territoriale. Propos recueillis par Jérôme Cordelier

Il fut l’homme qui, le premier, avait lancé dans le débat une nouvelle organisation territoriale par une articulation entre huit métropoles et des villes moyennes. Il est l’élu qui avait théorisé, avant le lancement d’En marche ! et l’avènement d’Emmanuel Macron, la disruption politique en cours, lançant un grand mouvement des territoires. Il fut à l’initiative de la candidature de la France à l’Exposition universelle, à force d’audaces créatives, en fédérant autour de lui des partenaires privés, mais il dut abandonner après le désengagement soudain du gouvernement.
Boîte à idées politiques, farouchement attaché à son indépendance, Jean-Christophe Fromantin, le maire centriste de Neuilly-sur-Seine, revient sur le devant de la scène avec un essai stimulant, dont le titre est bien plus qu’un slogan – Travailler là où nous voulons vivre (éditions François Bourin) – parce que cet ouvrage est truffé d’idées et dessine des perspectives historiques pour notre pays. Entretien avec un élu qui dépote.

Le Point : Le titre de votre ouvrage est prometteur, presque trop, pourrait-on dire. Tout le monde a envie de travailler où il veut vivre. Mais est-ce vraiment concrètement possible ?

Couverture de « Travailler là où nous voulons vivre », qui paraît aux éditions François Bourin.
© DR
Jean-Christophe Fromantin : Nous sommes aux prémices d’une révolution anthropologique. Nous passons d’un monde où l’on doit vivre à un monde où l’on veut vivre. C’est une réalité. Le nomadisme des technologies à notre époque soutient nos choix de vie. Jusqu’aux Lumières, au XVIIIe siècle donc, seulement 1 % des Français voyageaient. On était très fortement enracinés. Après la révolution industrielle, on vivait où il y avait du travail, ce qui a provoqué l’exode rural. Aujourd’hui, nous entrons dans un nouveau monde où le modèle d’organisation sociale sera fait des choix de vie de chacun.

Qu’est-ce qui vous permet d’être aussi optimiste ?
Plusieurs éléments viennent corroborer cette évolution. D’abord, notre besoin de nous enraciner. Nous sommes aujourd’hui dans une séquence hors-sol très artificielle liée à trois paramètres : l’un, physique, est la métropolisation ; l’autre, social, est que cette urbanisation croissante ne fabrique plus de la sociabilité, mais, au contraire, de l’isolement ; et un troisième, économique, conduit notre vie hors-sol à produire une économie de plus en plus standardisée. Notre monde devient uniforme. Et les premiers à le dire, ce sont les spécialistes de marketing qui nous alertent sur le fait que nous fabriquons un monde de marques. Et ce monde-là est sans issue. La ville dense génère de la spéculation, première impasse. La seconde, l’impasse sociale : on détruit le lien entre les hommes, parce que l’aspect financier est hypertrophié.
Pour survivre dans un tel monde, chacun s’y crée sa petite alvéole ?
L’enjeu est de passer d’un modèle de concentration urbaine à un modèle de redéploiement géographique, une société où nous devons vivre à une autre où nous voulons vivre. Au XVIIIe siècle, Benjamin Constant parlait déjà de l’artificialisation des villes. C’est une question plus globale, qu’abordait la philosophe Simone Weil en 1950 dans son dernier grand ouvrage L’Enracinement : dès que l’on perd ses racines, on abandonne le sens de sa vie. La problématique est au centre de l’encyclique Laudato Si’ du pape François, viatique pour refertiliser la diversité du monde. Le sociologue allemand Harmut Rosa démontre, lui, que chaque individu est traversé par trois dimensions : la quête d’absolu, les relations sociales, le côté matériel. La dimension absolue dans nos sociétés existe de moins en moins, la sociale se résume à la communication sur les réseaux sociaux et la matérielle est hypertrophiée. J’ai beaucoup lu et rencontré de penseurs pour cet ouvrage, et beaucoup d’entre eux soulignent que notre monde a laissé trop d’espace à l’optimisation, aux rendements, pas seulement pour l’argent, mais aussi pour les personnes et les relations sociales… Tout doit être optimisé, rentabilisé ! Impasse globale.
Vous qui avez été chef d’entreprise et êtes un responsable politique, que proposez-vous ?
Les technologies peuvent grandement nous aider à promouvoir ce nouveau mode de fonctionnement. Celles-ci, en effet, peuvent avoir un usage débridé, sans issue, mais aussi permettre à chacun de vivre et de travailler où il le souhaite. Si l’on prend les paramètres qui façonnent nos vies quotidiennes, à savoir l’éducation, la santé, le travail, la mobilité, la consommation, les loisirs, jusqu’à présent, on ne pouvait les trouver qu’en ville. Maintenant, et de plus en plus, ce sera possible partout. Le gouvernement vient d’autoriser les consultations médicales à distance remboursées par la Sécurité sociale. On pourra bientôt effectuer des examens de santé dans des pharmacies ou dans des cabines d’analyses. Le courrier sera distribué par des drones. Le cinéma, on l’a chez soi avec les homes vidéo et Netflix. Pour la consommation, Internet propose tout. Partout dans les villes moyennes se créent des espaces de coworking, dans lesquels les entreprises prennent des participations, et qui sont reliés par Skype ou vidéoconférence. Nous arrivons à un moment où l’on peut donner du sens aux technologies afin de les mettre au service de l’homme et d’un projet de vie. Et ainsi nous allons à nouveau fertiliser les territoires.
Si l’on peut vivre où l’on veut, tout le monde va se reconcentrer, ce qui est déjà le cas, sur des territoires baignés de soleil…
Dans les études, on voit tous les cas de figure : certains recherchent le soleil, mais d’autres aussi veulent se rapprocher de leurs racines, d’un tissu artisanal, d’un beau paysage, d’un espace pour pratiquer un sport en particulier, et que sais-je encore… Tout le monde n’a pas les mêmes rêves. La diversité de nos paysages, de nos cultures et de nos villes permet à chacun d’assouvir ses projets. Si l’on soutient ce mouvement en cours, on résout toutes les crises : la crise des métropoles hypertrophiées, celle du logement, celle du sens de la vie. En refertilisant les territoires, on crée des solutions aux déséquilibres économiques, sociaux, environnementaux et familiaux.
C’est un vœu pieux, non ? Le télétravail, par exemple, a du mal à s’ancrer dans les mentalités…
Tout le monde est prêt à s’y mettre ! En Grande-Bretagne, 25 % des actifs travaillent ainsi. Le coworking explose littéralement, y compris en France. Récemment, un chef d’entreprise de Neuilly qui dirige 1 000 salariés m’a dit qu’il avait installé au siège 500 postes de travail et que pour le reste, il louait un peu partout, où ses salariés le désiraient, des espaces de coworking. Autre exemple, la Région wallonne a équipé tous ses employés avec un ordinateur portable, une liaison Skype, un cloud, et les gens deviennent totalement mobiles. L’État du Vermont aux États-Unis a démarché des entreprises à New York en proposant des primes de 10 000 dollars et aussi d’aider à la scolarisation les enfants des personnes qui viendrait s’installer chez lui. Partout, il faut un projet politique pour massifier ces initiatives. Nous, politiques, devons exprimer cette nouvelle vision du monde.

Comment ?
Il y a six grandes familles de mesures à prendre. Un, l’aménagement du territoire : ce n’est pas tant la vitesse que le maillage qui compte. Deux, reconnaître le primat de la culture et du patrimoine de notre pays. Trois, faire des villes moyennes des satellites des métropoles. Quatre, lancer des emprunts nationaux, comme ce fut le cas pour financer les infrastructures au XIXe siècle : de 1850 à 1900, 60 % de la capitalisation de la Bourse de Paris a été consacrée aux grands travaux. Cinq, réformer la gouvernance territoriale autour de binômes métropoles-régions, et métropoles-villes moyennes. Et six, redéployer la politique de logements, en particulier dans les villes moyennes. Cette politique globale que je défends, pour le coup, est nouvelle et disruptive.


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie