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Les Etats-Unis doivent-ils rendre l’Angle aux Canadiens ?

samedi 5 janvier 2019 par Charles

Une pétition pour rendre la plus grande enclave des Etats-Unis à Ottawa a été publiée sur le site de la Maison Blanche.

C’est un petit bout de terre, baptisé « L’Angle », où vivent quelque 120 habitants, entre forêts de conifères et grasses prairies du Minnesota, bordées par le cristallin lac des Bois. Sauf que ce lopin de terre est une aberration géographique et la plus grande enclave des Etats-Unis : la zone de 318,81 km2 ne peut être atteinte par voie terrestre qu’en traversant le Canada, à la suite d’une erreur dans la rédaction du traité de Paris, en 1783. Une bévue que certains entendent bien faire corriger : une pétition a été lancée le 30 décembre sur le site de la Maison Blanche pour « rendre au Canada l’Angle nord-ouest ».
Ce texte, qui n’hésite pas à parodier le slogan de la campagne du président Donald Trump, prie Washington de « rendre aux Etats-Unis leur grandeur en corrigeant cette erreur importante ». D’où vient-elle précisément ? D’une mauvaise lecture de carte, vieille de deux cent soixante-quatre ans.
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Perdu en plein Manitoba
Pour établir la frontière internationale entre Canada et Etats-Unis, Benjamin Franklin et les responsables britanniques de l’époque se sont en effet fondés sur une carte datant de 1755, réalisée par l’Américain John Mitchell, qui s’avérait être davantage médecin et botaniste que cartographe. De fait, ce travail était pour le moins simpliste : le lac des Bois y était représenté sous la forme d’un ovale, ne prenant nullement en compte les confettis de terre compris en son sein ou les découpes particulièrement dentelées de son rivage. Surtout, la source de la rivière Mississippi y était placée bien plus à l’ouest que dans la réalité. Sur la carte de 1755 qui a permis d’établir la frontière internationale entre Canada et Etats-Unis, le lac des Bois y était représenté sous la forme d’un ovale, ne prenant pas précisément en compte les confettis de terre compris en son sein ou les découpes particulièrement dentelées de son rivage.
Or, le traité de Paris prévoit que la frontière entre le territoire américain et les possessions britanniques au nord devrait passer « par le lac des Bois jusqu’au point le plus au nord-ouest de ce dernier et, de là, sur un axe plein ouest jusqu’au fleuve Mississippi ». Une découpe qui a créé ex nihilo ce petit îlot de terre américain perdu en plein Manitoba canadien. Et pour rejoindre leur pays par voie terrestre, les habitants de l’Angle doivent franchir deux postes-frontières.

En 2016, la chaîne CBS avait consacré un reportage à cette « bizarrerie géographique ». Des habitants y témoignaient de leurs difficultés quotidiennes, dans ce territoire dépourvu d’hôpital ou de cinéma. Même aller faire ses courses relève de l’expédition :
« D’abord, les habitants doivent stipuler aux autorités canadiennes leur volonté de traverser la frontière. Puis c’est un trajet de 96 km pour traverser le Canada et atteindre la première ville américaine après la frontière. »
« En tout, il faut compter cinq ou six heures à chaque fois », témoigne une habitante, dont les huit enfants ont longtemps compté pour un tiers des effectifs de la petite école, composée d’une seule classe. Dès qu’on est en âge d’aller au lycée, il faut là aussi passer par le périple des deux postes-frontières pour gagner leur établissement du Minnesota.
La guerre du doré jaune
Dans les années 1990, l’Angle avait bien failli passer sous contrôle canadien, après une dispute concernant la pêche. Un texte disait que les dorés jaunes – une variété de perche lucifuge – attrapés côté canadien du lac des Bois ne pouvaient être déchargés sur le territoire américain. Scandale d’ampleur, dans cette paisible enclave dont l’activité halieutique constitue toute l’attractivité – les passionnés y accourent à chaque saison. Mais la « grande guerre du doré jaune » a, finalement, trouvé une issue pacifique, rappelle CBS. Et le débat sur la nationalité ichtyenne a été enterré, tout comme les velléités des résidents de l’Angle de devenir canadiens.
La pétition publiée fin décembre 2018 est la première initiative du genre. Elle a été créée dans le cadre du programme We The People, lancé en septembre 2011 par l’ancien président Barack Obama. Il entend permettre aux particuliers de déposer des pétitions sur le site Internet de la Maison Blanche, qui sont étudiées par des responsables de l’administration dès qu’elles atteignent plus de 100 000 signatures. Pour l’heure, le texte n’en récolte que 3 095.


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