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21 ans déjà depuis qu’Ansy Dérose a fait le grand voyage !

samedi 19 janvier 2019 par Charles

17 janvier 1998 - 17 janvier 2019. Voilà vingt et un ans déjà que tu as fait le grand voyage ! Majeur dans la mort, sans mourir dirait-on, car à travers ton œuvre, tu remplis encore l’espace de ton pays et le cœur de tes concitoyens. Nou pale, nou depale jouk nou twaka deraye poutan yo pa ka fè n fou, pi gwo fòs nou se lanmou, Kiskeya reponn pou nou… (Extrait du titre « Kiskeya peyi pa m » sur l’album « Haïti mélodie d’amour ») Si seulement tu pouvais avoir raison ! Si seulement tes cris d’espoir pouvaient résonner depuis le sommet de la Citadelle pour faire écho, secouer, animer, ensemencer, fertiliser les esprits et les cœurs…

Publié le 2019-01-17 | Le Nouvelliste

National -

Ansy Dérose,
On a dit tant de choses à propos de lui et on est si souvent passé à côté de l’essentiel de sa personnalité. Ansy était un artiste au plus profond de lui-même, du jour où il a compris la valeur des pulsions qui l’animaient, il a acquis le sens de la discipline, d’une certaine sagesse ; il est devenu un modèle.
N’importe qui peut, aujourd’hui, être fier de choisir de lui ressembler. Je parle ici d’un homme que j’ai connu, que j’ai côtoyé, observé en tant qu’être d’abord, avant le père qu’il fut pour moi, même avec nos différences et nos différends à un moment de la durée.
L’une des choses qu’on n’ait pas dites est qu’Ansy Dérose vivait comme il pensait et comme il disait. Il pouvait voir très loin, beaucoup plus loin que le bout de son nez. Certaines de ses chansons en témoignent. Des défauts ! Il en avait comme tout le monde mais il avait le courage de reconnaître ses erreurs et cherchait à réparer quand cela était possible, en toute sincérité et sans fausse modestie.
Ansy touche à tout. On ne le connaît pas coiffeur ; la meilleure coupe que j’aie jamais eu, il me l’a faite quand j’avais environ 13 ans. Il se coupait les cheveux lui-même aussi à un moment de sa vie. On ne le connaît pas chasseur et franc-tireur ; il construisit lui-même son premier fusil de chasse. Ansy est aussi sportif, son ami d’enfance Fritz Romnus l’a accompagné dans ses prouesses d’haltérophilie : aujourd’hui encore, il a la chair de poule quand il raconte comment, de retour d’une partie de chasse, à eux deux tous seuls, ils soulevèrent la petite Renault Dauphine pour la sortir de la mare où elle était embourbée, et j’en passe… Les cartes de vœux peintes à la main, être parmi les premiers à peindre les tap-tap sont autant de choses qu’on ne connaît pas de lui.
La peinture, sa porte d’entrée dans l’univers artistique, après maintes expositions ici et ailleurs, avait cédé l’espace à la musique et depuis 1970, après le prix remporté au Mexique, Ansy Dérose s’était dédié à cette discipline comme champ majeur d’expression de ses talents. À côté de la musique qui ne nourrissait pas à elle seule son homme, il était architecte, décorateur, avec un accent fort en boiserie et ferronnerie. Mais c’est tout de même la musique qui l’a hissé au sommet de son art jusqu’à ce fameux soir de décembre 1996 où, à la HENFRASA, il brûlait à côté de Yole, son premier costume de spectacle pour dire adieu à la scène, dans le détour d’un spectacle du même nom.
La peinture a profité de sa maladie qui le forçait parfois à rester chez lui pour reprendre de l’espace. Il fallait que ça soit Ansy, il construisit son propre chevalet comme il lui plaisait qu’il soit, sa chaise longue, tout à fait ergonomique pour épouser son anatomie et garantir un repos des plus parfaits. On ne peut pas dire que la maladie l’a terrassé, elle n’a jamais réussi à lui ôter ses moyens. Les chantiers l’attendaient, il fallait que la vie continuât, il l’a vécue pleinement jusqu’à la dernière minute.
De retour d’Allemagne où il a obtenu son diplôme d’ingénieur-mécanicien, il revient au pays après, au passage, un séjour aux USA où il a travaillé en tant qu’ingénieur dans la conception de pompe hydraulique. De nouveau au bercail, il reprend son poste de professeur à l’École professionnelle J.B. Damier pour devenir directeur de l’établissement quelque temps plus tard.
Pour parler du technicien, on se réfère souvent à sa machine à fabriquer des blocs. C’est bien pauvre, car des machines à fabriquer des blocs, l’humanité en produisait bien avant sa venue au monde. Ansy y traduisait une vision plus large, il était convaincu que à travers les écoles professionnelles, le pays aurait pu produire une pléiade de machines qui alimenterait les besoins en équipement de tous ordres et favoriser ainsi un développement endogène même à partir de matériaux recyclés. Son élève, Jean Marie Léveillé, qui a été professeur puis aussi directeur de l’école, était peut-être le seul à avoir compris.
Avec le renforcement de ces mêmes écoles professionnelles, il y voyait la possibilité de fabriquer et de multiplier des équipements à faible coût. Il avait formulé le concept de Formation-Production à travers des ateliers-écoles. « La précarité de notre économie ne peut pas souffrir d’utiliser des matériaux pour les exercices pratiques des étudiants sans les rentabiliser », disait-il. En plus de ses compétences en pédagogie de l’enseignement professionnel, il devait aussi se faire sociologue pour proposer un modèle approprié. Soit dit en passant, les diplômés de l’école professionnelle J.B. Damier ont tous fait au moins trois années de sociologie dans le cadre de leur apprentissage.
Je me rappelle encore nos échanges émouvant avec feu Willio Noailles, notre professeur de sociologie. Il avait insisté pour que je lise les huit tomes de la série intitulée : Les débuts de l’industrialisation en Allemagne... Cela se passait là-bas après la Deuxième Guerre mondiale.
Pour Ansy, l’homme haïtien devrait recevoir une formation adéquate qui l’amènerait à la réalisation d’un individu complet, c’est-à-dire un être habile des mains comme de l’esprit. Cet idéal, il le traduisait dans le cadre du laboratoire que représentait le Cercle d’études culturelles et d’actions philanthropiques dont il était membre fondateur ; il l’exprimait ainsi :
« Formons des hommes afin qu’ils soient bien plus que des professionnels ou des manuels, mais des êtres éclairés, en cultivant leur esprit propre au-delà des simples besoins quotidiens qui enchaînent le monde dans la dimension du corporel et du mortel. »
Ansy honorait Dieu. Il était un artiste pluridimensionnel et touchait à tous les arts avec brio mais aussi avec beaucoup de rigueur et de discipline, il manifestait beaucoup de respect à l’égard du « temple » qu’il était afin d’être disponible et en bon état pour le message que le divin pouvait avoir besoin d’exprimer à travers lui. Le plus souvent, c’était la poésie ou la chanson qui prédominaient.
Pour répéter Jean-Claude D. Chéry, je dirai aussi : « Ansy Dérose est une somme », l’être peut être lu sur chacun des 360 degrés du cercle, fils, amoureux, père, époux, professionnel, artiste polyvalent, ami, frère, être spirituel, il a su concilier le tout et, au terminal de sa vie, il a su refermer son creuset, sans manquement, sans regret.
Chapeau, Ansy.

Nous proposons que les entreprises de fabrication de biens, utilisent en partie les écoles professionnelles pour les contrats de l’État haïtien gagnés sur concours comme un échange intelligent pour supporter les frais de ces établissements. Des mécanismes peuvent être mis en place pour garantir la bonne exécution et la bonne gouvernance des projets.

Rudy Dérose rudy.derose@gmail.com +509 3701-5009
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