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Dermalog-Smartmatic : nouvelle charge, nouveaux faits troublants…

samedi 19 janvier 2019 par Charles

Le gouvernement, sous les feux des projecteurs dans le dossier Dermalog, dénonce les 12 anomalies du Système national d’identification mis en place par Smartmatic pour plus de 45 millions de dollars dans le cadre d’un contrat de 53 millions. Smartmatic se défend, renvoie la balle à la firme de supervision, RTX Partners, « tiers indépendant » ayant signé un contrat de 2,2 millions de dollars avec Smartmatic. Le hic, c’est que l’État dénonce des travaux reçus et certifiés corrects par un ancien directeur de l’ONI, en mars 2016.

National -

Le gouvernement haïtien, à travers le ministère de la Justice, a sonné la charge contre Smartmatic. Le 21 décembre 2018, trois jours avant la Noël, dans une insertion publiée dans le journal Le Nouvelliste, le gouvernement dit avoir révélé, après un audit en novembre 2017, 12 anomalies au niveau du système d’identification commandé pour lequel 45 millions de dollars ont été versés sur les 53 millions du contrat signé en 2012 entre l’Etat haïtien et Smartmatic.
« La firme Smartmatic n’a pas honoré une bonne partie de ses engagements envers l’État haïtien ; la majeure partie des équipements utilisés étaient devenus obsolètes, empêchant ainsi les citoyens d’obtenir la Carte d’identification nationale (CIN) ; 400 des 700 kits d’enregistrement (Parmobiles) fournis par Smartmatic sont actuellement complètement hors d’usage ; le certificat de garantie de sécurité des données est périmé ; les vrais codes sources n’ont jamais été fournis à l’ONI (ceux que la firme a transmis sont corrompus et inutilisables. Conséquences : la maintenance du système devient impossible) ; les serveurs ont été fournis avec des licences de logiciel non professionnelles qui ont expiré dès la première année », selon le ministère de la Justice.
« Le Système de gestion automatique des empreintes (AutomatedFingerprint System -AFIS), conçu pour comparer les empreintes digitales et éviter les duplications, n’a pas été fourni. L’indisponibilité de ce dispositif empêche l’ONI de retrouver dans le système le dossier d’un citoyen ayant perdu sa CIN et incapable de fournir ses informations personnelles correctement comme nom, prénoms et date de naissance. Ce sous-système a été sous-contracté par Smartmatic avec Innovatrics. Cependant, l’intégration n’a jamais été faite correctement. Cela explique les difficultés récurrentes à délivrer les CIN aux citoyens qui en font la demande ; le matériel fourni par Smartmatic pour le système d’impression des CIN sont en « LaminateTeslin », un dispositif non approprié à notre environnement tropical ni aux conditions de conservation des CIN. La durabilité et la sécurité des CIN en sont affectées (des CIN retrouvées en pays étrangers ont été falsifiées) », sont parmi les « anomalies » relevées par l’Etat haïtien, selon ce texte titré « La vérité sur le dossier Smartmatic-Dermalog », écrit par Frantz Pierre de l’unité de communication, ministère de la Justice et de la Sécurité publique (MJSP).
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Selon le texte, « le gouvernement a demandé à Smartmatic, qui a déjà empoché 45,5 millions de dollars, de prendre en compte ce cahier des charges en remplissant entièrement ses obligations contractuelles ». « Arguant de quelques nouvelles spécifications techniques, la firme Smartmatic a exigé, pour ce faire, le paiement supplémentaire de 50 millions de dollars américains. Si on fait l’addition, suivant l’offre de Smartmatic, la modernisation du système d’identification nationale coûterait à l’Etat : 45,5+8+2,8+50= 106,3 millions USD ».
« Par-delà le fait que la firme Smartmatic doit rendre compte de l’usage fait des 45,5 millions de dollars, l’Etat haïtien est dans l’obligation d’identifier correctement ses citoyennes et ses citoyens. C’est une question de sécurité nationale et internationale mais aussi de respect du droit qu’a chaque individu d’être correctement identifié par l’État. De ce fait, parallèlement à Smartmatic, le gouvernement avait demandé à deux autres firmes de soumettre chacune une offre technique et financière pour le même cahier des charges. Il s’agit des firmes Delarue et Dermalog. De nationalité allemande, cette dernière est considérée comme l’un des leaders mondiaux dans le domaine d’identification », lit-on dans le texte.
« L’offre de la Delarue s’élève à 48 millions de dollars contre 27 millions pour celle de Dermalog qui propose en outre un support technique et du transfert de technologie. Il va de soi que l’offre technique et financière considérée est celle de Dermalog. Le coût défie celui des deux autres concurrentes. Cette firme jouit par ailleurs d’une excellente réputation internationale, gage d’une meilleure réussite du projet », selon le ministère de la Justice.
« Dans ce dossier, seul l’intérêt général avait guidé le choix du gouvernement. Aucune tentative d’influence, d’où qu’elle vienne, n’a pu entamer la détermination de l’État à faire le meilleur choix dans l’intérêt national. On pouvait supposer que cette attitude du gouvernement dérangerait certains. De fait, elle a dérangé. Mais seuls la vérité et le bien-être collectif triompheront », a écrit Frantz Pierre, de l’unité de communication du ministère de la Justice.
L’accord de coopération ayant permis à Smartmatic de réaliser ces travaux dénoncés par l’État haïtien a été signé en octobre 2012 au nom de l’État haïtien, par Me Jean Renel Sanon, ministre de la Justice, Jean Baptiste Saint-Cyr, directeur général de l’ONI avec Antonio Padrino Quintero, président directeur général de Pétion Bolivar SAM, Pedro Mugica, président-directeur général de Smartmatic. Pour la CSS/CA, « Étienne » a signé pour la présidente de la Cour à l’époque, Nonie H. Mathieu.
La réaction de Smartmatic, pas sur la note du ministère, mais prend le contre-pied de l’argumentaire de l’Etat haïtien
« Par la présente, nous souhaitons réagir suite à l’article "Jovenel Moïse face au dilemme des contrats et au poids des situations de rente : le dossier de l’ONI", écrit par M. Pierre-Raymond Dumas, paru dans Le Nouvelliste du 28 décembre 2018. Notre entreprise y est évoquée en des termes que nous estimons inexacts et nous aimerions y répondre par quelques clarifications », a écrit Samira Saba, de la communication de Smartmatic qui soutient, à travers son texte, fournir « une information factuelle et vraie concernant Smartmatic et son travail accompli pour Haïti sur la période 2012-2015 ».

Pour la modernisation du système de gestion des identités et mise en place d’un registre civil en Haïti, « la solution livrée en 2015, entièrement opérationnelle, était en tout point conforme aux spécifications détaillées dans le contrat établi avec l’Office national d’identification (ONI) ainsi qu’avec toutes les normes internationales applicables ». « L’ONI signera une lettre d’acceptation par là-même confirmant officiellement que Smartmatic avait complété toutes les étapes clés du projet et livré une solution fonctionnelle et satisfaisante », a indiqué Smartmatic, qui a souligné que « l’ensemble de l’équipement matériel : des logiciels, des processus opérationnels et logistiques, ainsi que le contenu de la formation dispensée, a été examiné, vérifié et testé par l’ONI ». « En conformité avec les meilleures pratiques, l’ONI a accrédité un tiers indépendant pour la surveillance de l’exécution du projet. Ce même tiers consultant a aussi validé que Smartmatic a rempli exactement tous les prérequis du contrat établi avec l’ONI.
Le système ainsi livré est totalement fiable et, sous réserve d’une maintenance adéquate et des mises à niveau régulières, servira les institutions haïtiennes et leurs citoyens pendant de nombreuses années », a affirmé Smartmatic, qui a donné d’autres détails.

Le fait troublant…
Le ministère de la Justice, autorité de tutelle de l’ONI, n’a dénoncé publiquement les « 12 anomalies » qu’après les controverses provoquées par la décision du gouvernement de payer au moins 10 des 27,7 millions de dollars à Dermalog dans le cadre d’un projet de contrat non autorisé par la CSC/CA et après que la première a été dans l’œil du cyclone dans ce dossier. La dénonciation du ministère de la Justice, sous Jean Woody Aly, éclabousse au moins un ex-directeur de l’ONI, Jean Baptiste St-Cyr, Edwin Phanord, le responsable de RTX Partners, la firme ayant eu un contrat de 2,2 millions de dollars pour réaliser la supervision des travaux. « Les principales activités ont été exécutées pendant le projet », lit-on dans une lettre du directeur général de l’ONI, Jean Bapstiste Fils Saint-Cyr au président de Smartmatic SA, Pedro Mujica le 31 mars 2016. « Nous sommes satisfait de l’ensemble de prestations et équipements fournis et assurés par Smartmatic. Les services associés ont été effectués avec un haut niveau de qualité nous permettant de compléter notre projet dans les temps impartis. Fait pour servir et valoir ce que de droit », lit-on dans cette correspondance de M. Saint Cyr.
Le journal a appris que c’est la firme RTX Partners à laquelle Smartmatic fait référence dans sa lettre à Pierre-Raymond Dumas. Le journal a aussi obtenu copie d’un mémorandum d’entente indiquant que la firme RTX Partners avec Smarmatic stipulant que cette firme de supervision recevra 2 250 000 (deux millions deux cent cinquante mille dollars). Cette firme, basée aux États-Unis, a disposé de contact au plus haut niveau, particulièrement à la Primature, sous le gouvernement de Laurent Lamothe, a appris le journal, qui a contacté sans succès le responsable ayant engagé RTX Partners, Edwin Phanord. Le site internet de RTX Partners n’était pas fonctionnel. Le journal a contacté l’ex-directeur de l’ONI, Jean Baptiste Fils St-Cyr. Il n’a pas souhaité faire de commentaires.
Les commentaires du sénateur Youri Latortue
« Contrairement à ce qui a été avancé par les autorités nationales aujourd’hui, notre enquête a révélé que l’Etat haïtien a en effet validé, à l’écrit, les travaux de la firme Smartmatic comme étant conformes au contrat avec cette dernière. Ce qui a été remis à Smarmatic est une décharge en bonne et due forme », a confié le sénateur Youri Latortue
« En fait, l’ONI a non seulement octroyé à Smartmatic un certificat de satisfaction pour toutes les composantes du contrat, elle a aussi autorisé l’intégralité des paiements prévus par le contrat ; tandis qu’aujourd’hui elle dit qu’elle aurait fait une retenue de plusieurs millions de dollars », a poursuivi le sénateur.
« C’est pour cela que la Commission demeure perplexe lorsque, subitement, il est fait état par l’Etat haïtien de travaux bâclés par Smartmatic comme justification du contrat octroyé à Dermalog, contre avis de la Cour des comptes, pour près de 30 millions de dollars américains de services comparables à ceux théoriquement déjà fournis par Smartmatic. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette équation », a observé Youri Latortue.
« De plus, il importe de signaler que la commission Ethique et Anticorruption n’a pu identifier aucune réclamation de la part de l’Etat pour les travaux d’identification nationale qui auraient été mal exécutés par Smarmatic tel que déclaré aujourd’hui », a indiqué le sénateur de l’Artibonite.
« La commission n’est pas en train de dire que les travaux de Smartmatic étaient corrects. Elle dit tout simplement que l’Etat a un changement de position qui n’est pas soutenu par les faits ni les documents présentés. Nous nous réservons le droit de continuer à sonder l’information, mais comptons baser nos conclusions sur des justificatifs logiques. », a dit le sénateur Latortue.
Roberson Alphonse

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