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Kennneth Michel, un grand pari sur le petit mil…

vendredi 1er février 2019 par Charles

Frantz René Kenneth Michel, PDG / CEO de Étoile Du Nord S.A, des Céréales des Planteurs aux Consommateurs, est de ceux qui ont parié gros sur le petit mil en Haïti. Pour Le Nouvelliste, il évoque son choix de produire, les potentiels et les difficultés de cette filière.

National -

Le Nouvelliste : M. Michel pouvez-vous partager l’expérience que vous faites dans la filière sorgho ?
Kenneth Michel : C’est une filière dans laquelle je me suis engagé depuis 2012-2013, à l’époque où je me convertis d’importateur de riz et de sucre à entrepreneur et distributeur de production locale pour consommation sur le marché local. A l’époque le pays produisait entre 100 000 à 120 000 tonnes métriques de sorgho et cette filière me laissait entrevoir un fort potentiel car pratiquement informelle.
LN- Quel intérêt portent des entreprises privées, les pouvoirs publics, les partenaires internationaux comme l’USAID à cette filière ?
KM- Je pense avant tout devoir remercier nos partenaires qui se sont lancés dans cette filière qui reprend force, grâce à Dieu. Avant tout la Brana, membre du groupe Heineken, qui a consenti de modifier ses formules (Malta H en particulier et Kinam) pour y intégrer le sorgho et ainsi valoriser et renforcer l’économie nationale. Le MCI et le MARNDR qui, à travers le CFI, nous ont permis de bénéficier des avantages incitatifs. L’USAID, la BID qui ont financé le projet SMASH en partenariat avec la Brana pour encadrer et assister les planteurs de sorgho.
Depuis 2014, quand un appel à intérêt limité avait été émis par le projet SMASH pour la mise en place d’un centre de traitement et conditionnement de grains produits localement, j’ai été un témoin privilégié des efforts consentis par toutes les parties auxquelles vous faites allusion plus haut.
Entreprises privées : La Brana voulait investir et a investi dans notre centre de traitement. Elle veut s’assurer de la durabilité sans être l’opérateur du centre. Nous avons plus de 15 investisseurs haïtiens et étrangers à avoir investi plus de 1.2 million de dollars dans notre entreprise. Nous avons des discussions tous les jours avec des acteurs privés et nous avons signé des protocoles d’accord avec des entreprises de distribution et de transformation qui ont besoin de la matière première. Nous produisons sous des marques propres qui ne nous appartiennent pas. Ceci permet à tous les acteurs de rester impliqués dans la chaîne de valeurs.
Pouvoirs publics : Nous entretenons de bons rapports avec le MCI et le MARNDR à travers la DCRI et aussi l’UPISA. Il y a eu des séances de partage d’informations et nous avons collaboré à la collecte de grains, la production de semences et surtout la distribution des semences afin de savoir dans quelle région les agriculteurs voulaient travailler à relancer cette culture post-infestation des pichons. Il n’y a pas toujours un alignement entre les institutions publiques et je pense que c’est pour cela que la CHAGHA (Chambre d’agriculture et des professions d’Haïti a un rôle à jouer). Nous avons distribué près de 500 MT de semence en 2 ans. Il y a quand même beaucoup à faire en termes d’opportunités, d’amélioration relationnelle. Pas assez d’inclusion des partenaires de la filière et souvent une relation, dans les débuts, de méfiance.
Partenaires internationaux : Les partenaires internationaux comme L’USAID, Affaire Mondiale Canada et la BID ont un intérêt certain et suivent la filière. D’abord pour des raisons de sécurité alimentaire, ensuite pour des raisons de croissance et de développement économique. L’USAID, à travers divers partenariats. Entre les chercheurs et des universités. a un projet, SMIL. Je pense que la fondation CHIBAS et l’université Quisqueya font partie de ce réseau. Affaire Mondiale a financé les champs semenciers sur les variétés résistantes aux pichons et la distribution avec l’Etat haïtien des semences. Il y a des fonds pour les ajustements aux changements climatiques.
LN : S’il y a un intérêt, quelles sont ses expressions ?
KN : Si vous regardez les montants dans le budget déposé au Parlement pour l’agriculture, il y a beaucoup à faire. Si vous regardez les enveloppes des projets USAID, Affaire Mondiale Canada, BID, etc. il y a des montants substantiels. Nous avons des difficultés à absorber lesdits montants de l’international car les partenariats sont avec l’Etat, qui, parfois, est ambivalent, je pense. La BRH vient de sortir une circulaire 113, c’est un autre message favorable de l’Etat. Comment l’utiliser correctement est la prochaine étape.
LN : Quid des difficultés rencontrées et des actions, notamment de Gael Pressoir, pour apporter des solutions à des infestations comme le pichon ?
KN : Les difficultés sont permanentes dans l’agriculture. Nous avons traversé la première tragédie (le Pp chon) et nous devons nous préparer de manière continue aux prochains problèmes.
Il y a eu l’infestation aux pichons, mais grâce à Gael Pressoir et ses sponsors (CIRAD/AMC/ USAID/ etc), le développement des nouvelles variétés est arrivé assez vite, moins de 24 mois. Un alignement parfait avait permis au professeur Pressoir d’être en avance sur plusieurs acteurs et présentement il réfléchit déjà aux potentielles prochaines crises. La variété PapèPichon a ses avantages et est un “ plon gaye”. Elle n’est pas nécessairement adaptée à toutes nos habitudes et les paysans l’ont testée avant de l’adopter. Ceci nous a pris un temps que personnellement je n’avais pas compris au départ. PPP est une variété ouverte, donc ni OGM, ni hybride. Gael Pressoir tient toujours à respecter les requêtes et habitudes des planteurs / cultivateurs haïtiens.
Des adaptations sont aussi de mise. Les habitudes culturales traditionnelles varient de région en région. En 2014, dans le plaine du Cul-de-Sac, on cultivait le PaPèSec (PPS) qui avait un cycle de 3 mois. Le PapèPichon (PPP) a un cycle de 4 mois. Dans le Plateau central, il cultivait des variétés à cycle long, 6 mois à 9 mois. Avec les changements climatiques, ceci pose problème et l’agriculture pluviale ne peut être notre seule alternative. Un dialogue et des adaptations sont de mise.
Nous avons planté plus de 400 ha sur la Route 9 avec nos partenaires de WinAgSA. À cause du vent, des pluies hors cycle, le rendement n’y est pas encore. De plus, nous sommes confrontés à des problèmes de qualité des grains sur lesquels nous demandons à UniQ et CHIBAS de nous assister. La recherche est essentielle et demande du financement continu. Brana et d’autres partenaires sont toujours présents pour assister. L’État n’est pas très impliqué pour le moment et c’est un point de discussion que nous entretenons comme acteur impliqué et concerné.
Gael Pressoir continue de développer des variétés ouvertes afin que les planteurs des différentes régions trouvent les réponses à leurs questions.

Présentement, je suis assez confiant de dire que la production sur les 5 dernières années se présente ainsi :
2014 : 100,000 à 120,000 MT de grains disponibles
2015 : 100,000 à 120,000 MT de grains disponibles
2016 : < de 10,000 MT de grains disponibles
2017 : 15,000 à 20,000 MT de grains disponibles. Première distribution de PapèPichon.
2018 : 40,000 à 60, 000 MT de grains disponibles. Deuxième distribution de PapèPichons.
Les projections pour 2019 sont en croissance continue et nous pensons que certaines régions du pays comme le Sud et les Nippes seront en net dépassement de leur volume avant la crise du Pichon de 2016. Ceci est dû au fait que ces régions étaient plus ouvertes à l’adaptation et surtout grâce à une collaboration avec ORE de l’agronome Eliassaint ainsi bien que l’appui du projet SMASH qui avait commencé dans ces régions.
LN : Souvent on formule des reproches aux investisseurs qui désertent la production nationale en capacité de générer plus de valeur ajoutée pour le commerce. Quelle est la réalité de production en Haïti ?
KN : Tout entrepreneur est motivé par le gain et souvent le gain à moindre effort. Je ne peux parler de manière générale mais je pense que mon cheminement est particulier. D’importateur dans un marché de consommateurs, je me suis converti en acteur et investisseur dans une filière à fort potentiel. Il me fallait 6% de la production nationale et avec l’épidémie, l’impact avait été ressenti dès notre première année. Il n’y a pas de statistiques disponibles. La dernière étude du MARNDR date de 2014. Depuis, il est difficile de savoir où est quoi et qui a quoi. Nos références de quantité ou volume sont : Anpil / Twòp / Yon pakèt / Ti krasx, et j’en passe. Ce n’est que maintenant que certains acteurs essaient de se formaliser en permettant de savoir les surfaces cultivées, les variétés, etc. Je pense que c’est difficile mais pas impossible de travailler avec la production locale et l’expérience Etoile du Nord S.A. avec la Brana et nos 15 investisseurs en est la preuve. Cela demande la mise en confiance et cet aspect prend du temps. Il faut des pionniers et surtout des incitatifs non négligeables. Un système de drainage, une irrigation disponible, des centres de recherche, l’accès à des semences, etc. sont des pistes à envisager lorsqu’on demande ou pense à un secteur particulier. Je veux croire qu’avec la dévaluation actuelle de la gourde et les difficultés commerciales, les acteurs économiques du pays seront obligés de s’adapter et d’investir dans la production nationale. A l’Etat et aux différents partenaires de s’asseoir pour définir les priorités. Je dois avouer que j’ai fait le choix de rester et de reconstruire mon pays. Pour le faire, il faut tolérer nos frères et aimer les autres. J’aimerais pour l’année 2019 ne pas avoir l’incertitude de la politique et des élections. Elles handicapent le développement commercial et appellent au clientélisme politique.
LN : Le journal a vu vos tweets, les difficultés rencontrées pour acheminer une cargaison de sorgho bloquée entre Mirebalais et Croix-des-Bouquet, à cause de manifestations, d’obstruction de la RN 3 par des membres de la population qui réclament du courant électrique. Vous avez tweeté que gouverner c’est prévoir et agir. Avez-vous le sentiment que des actions sont posées pour permettre aux entrepreneurs d’évoluer dans un cadre normal, stable pour qu’ils puissent entreprendre et créer les emplois qui manquent à notre économie ?
KN : Si ceci était le cas, nous ne serions pas en train de parler de mon weet. Sans vouloir m’éterniser sur ce point, la réponse simple est que nos dirigeants ne prévoient pas en conséquence. Ceci est la raison même de la prise d’opportunités dans certaines régions. On parle de tourisme sur la Côte-des-Arcadins et aucune présence forte de l’Etat n’y existe. Alors les spoliateurs voient une opportunité. On parle de courant 24/24, mais les gens qui en avaient et qui payaient pour ne l’ont plus. On voit donc la RN 3 bloquée pour réclamer le courant. Dans tout ce vacarme, les entrepreneurs trouvent des solutions peu durables comme privatiser la police ou autres et les politiciens font campagne. Nos députés sont souvent à la radio pour parler non pas des lois en discussions mais des problèmes de leur localité. Ceci pour que les votants se souviennent d’eux aux prochains scrutins.
Que cherche la Société Étoile du Nord S.A. ?
Nous cherchons à établir un réseau de partenaires à travers le pays qui sera rémunéré sur les volumes livrés à nos centres tout en permettant aux agriculteurs de croître leur rendement et leurs revenus. Nous voulons permettre au finissant des facultés de travailler dignement comme entrepreneurs sans pour autant leur donner les handicaps propres aux start-ups. Nous voulons favoriser le scale-up et non le start-up.

Propos recueillis par Roberson Alphonse
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