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« Gilets jaunes » : « La perspective d’une réunification d’un bloc populaire inquiète les politiques »

vendredi 8 février 2019 par Charles

Pour le sociologue Nicolas Duvoux, le mouvement de protestation a fait renaître une conscience de classe parmi les couches populaires.

Nicolas Duvoux est professeur de sociologie à l’université Paris-VIII. Il a codirigé, avec Cédric Lomba, l’ouvrage collectif Où va la France populaire ? (Presses universitaires de France, 120 p., 9,50 €), qui montre que la fragmentation du monde ouvrier est le principal facteur de son désarmement identitaire et politique.
On ne parle plus aujourd’hui de classe ouvrière, mais de classes populaires. Pourquoi ?
Parce que la réalité et la représentation sociales de ces groupes ont changé. Le monde ouvrier, depuis trente ans, a connu de très fortes évolutions avec l’accès à l’éducation, la tertiarisation des emplois et leur féminisation. L’image sociologique de ce monde-là au sortir de la seconde guerre mondiale était celle de l’ouvrier masculin qualifié de Billancourt. Il incarnait le groupe et lui donnait sa force.
C’était un univers soudé autour d’une forte centralité professionnelle et d’un mouvement social et politique capable d’agréger l’ensemble, pourtant disparate, même pendant les « trente glorieuses ». Cette unité n’existe plus. Les classes populaires sont aujourd’hui constituées de groupes éclatés.
Comment se définit alors ce monde populaire ?
Par ce qui l’unifie encore, à savoir sa position subalterne dans le monde socio-économique et la contrainte économique qu’il subit – celle des travailleurs qui ont des emplois d’exécutants et qui reçoivent des ordres. Ces modes de vie sont aussi un marqueur commun. Les classes populaires ont ainsi un attachement aux sociabilités locales et un fort sentiment d’appartenance au groupe, un sens du collectif qu’on ne perd pas.
Mais dans cet ensemble, des différenciations importantes sont apparues. On n’a pas la même vision du monde selon qu’on a un emploi stable ou précaire, selon qu’on réside dans une commune reléguée ou incluse dans une métropole, selon qu’on habite dans un petit pavillon ou dans un grand ensemble en banlieue, si on est en couple avec deux salaires ou une mère célibataire, si l’on appartient à une minorité visible ou non, etc.
Ce qu’il y a derrière cette appellation de classes populaires n’est donc pas un bloc homogène, mais un continuum qui va des strates les plus précaires – les allocataires des minima sociaux – jusqu’aux frontières inférieures des classes moyennes – ouvriers et employés qualifiés.


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