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Qu’est-ce qu’une libération d’otages réussie ?

mercredi 15 mai 2019 par Charles

Ariel Colonomos
Chercheur CNRS-CERI, Sciences Po
Pour éviter des morts comme celles survenues lors de l’opération de sauvetage menée au Burkina Faso, il faut, selon le politiste, que les Etats s’organisent à l’échelle mondiale et créent des institutions internationales chargées de gérer ces interventions.

Tribune. Dans l’après-coup de la libération, dans la nuit de jeudi 9 mai au vendredi 10 mai, au Burkina Faso, des quatre otages retenus au Sahel, et de la mort des deux militaires français, l’opération a été qualifiée de « demi-succès ». Cette phrase interroge, on peut se demander si c’est vraiment le cas et quelle aurait été une opération réussie. Face aux prises d’otages, l’usage de la force est une décision politique, alors que l’Etat a d’autres possibilités.
Celui-ci peut simplement refuser de négocier, il peut aussi engager des pourparlers. En cas d’intervention, si tous les otages sont libérés et leurs sauveteurs rentrent sains et saufs, l’opération est considérée comme un succès. Si les otages sont tués et, éventuellement, si les soldats qui viennent les libérer meurent aussi, l’opération est un échec. Mais qu’en est-il dans les autres cas, si nombreux ?
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Aujourd’hui, la thèse du « demi-succès » est une réponse dictée par la pudeur, notamment par respect pour les familles et les proches des deux officiers qui ont été tués. Cependant, au-delà du fait qu’un succès n’est pas sécable, politiquement, cette idée est approximative. Dans le système politique où nous vivons, cette opération est bel et bien un succès. Cependant, dans un autre monde possible, les gages politiques d’un meilleur succès seraient réunis.
L’usage de la force : un choix politique
Les opérations de sauvetage d’otages sont extrêmement périlleuses et il est fréquent qu’au-delà des ravisseurs des personnes dont la vie est précieuse meurent, les sauveteurs ou bien les otages eux-mêmes. Ces derniers peuvent être tués par leurs ravisseurs, ils peuvent également tomber sous les balles de leurs sauveteurs. C’est même un paradoxe – parfois, des Etats acceptent de risquer la vie de leurs citoyens pour les sauver. Dans ce cas, l’objectif prioritaire est d’empêcher qu’une fois hors d’atteinte les otages vivants ne se transforment en monnaie d’échange (ce que la France voulait éviter).
Ainsi, l’usage de la force est un choix politique qui a pour objectif de libérer les otages, tout en refusant de négocier avec les ravisseurs. C’est une question de souveraineté. Pour l’Etat, il est inacceptable que la vie de ses citoyens dépende d’un autre groupe, qui plus est d’un rang inférieur.
Au fondement de la souveraineté, on trouve un principe : l’Etat dispose des vies de ses citoyens. Il décide qui sauver, en l’occurrence ici des civils. Il décide aussi des vies qui seront mises en danger, en l’occurrence ses soldats, qui acceptent de mourir au service de la nation. Un Etat qui se dit souverain doit préserver les termes de cette équation politique. Sa souveraineté toute patriarcale repose sur ce pouvoir de vie et de mort.


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