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Dany Laferrière, les premières fois d’un immortel

dimanche 16 juin 2019 par Charles

Dany est un pseudo qui lui vient, enfant, de sa marraine ; li te renmen rete sans pantalon lè l te piti ; il a passé une nuit dans une prison à Montréal… Ce sont, entre autres, les aveux de l’Académicien qui s’est prêté au jeu de notre rubrique « Les premières fois ». L’homme qui est pour la deuxième fois invité d’honneur de Livres en folie, la foire du livre qui passe le cap des 25 ans, nous encourage à nous retrouver nombreux ce 20 juin au Parc Unibank pour honorer tous les écrivains qui seront en signature ce jour-là. En attendant, plongeons-nous dans ses confidences

Dany Laferrière, un nom de plume ?
Dany n’est pas un nom de plume. C’est le surnom que ma marraine m’a donné puisqu’elle estimait que mes deux prénoms « Windsor Klébert », paraissaient incongrus. Elle craignait qu’adolescent que mon vrai nom complique mes conquêtes féminines. Selon elle, je devais adopter Dany pour ensuite récupérer Windsor à l’âge adulte au moment d’occuper de hautes fonctions. J’ai gardé Dany depuis lors. Laferrière est mon nom de famille.
Le premier jour sur terre ?
Le 13 avril 1953. C’est probablement le jour de la mort de Staline. Un jour si important que j’ai décidé d’arriver sur terre en cette date.
Première école
Une école qui se trouvait à la rue Lamarre à Petit-Goâve. C’était une école réservée aux cancres. On y allait pour se dégourdir. E mwen menm, sèl sa m te renmen se mache san pantalon. Une connaissance vient d’en parler d’ailleurs sur Arte. J’avais parfois l’envie de me rendre à l’école sans pantalon !
C’était jusqu’à quel âge ?
Jusqu’à 10 ans, j’avais l’habitude de jouer au football sans pantalon, mais je portais des chemises longues.
Premier flirt ?
Premier amour ou premier flirt ? J’étais très timide. D’ailleurs la fille que j’aimais en premier ne savait pas que je mourais d’amour pour elle. Elle avait pour amant Oriol qui lui-même en avait 3 ou 4 à la fois. C’était pas dans ma tête. Mwen menm m te konn gen 3 ou 4 mennaj, men se pa janm mwen ki an premye nan kè yo. Anplis m pa t konn bo.
Première fessée
J’aimais pas étudier. J’étais très maigre, voilà pourquoi on me faisait porter deux pantalons à la fois. Vu ma maigreur, le directeur déconseillait à ma grand-mère de me frapper. Men kèk fwa yo te konn banm tap.
Première grande passion ?
C’était Vava, à qui j’ai dédié le livre « Je suis fou de Vava ». Mais on ne s’est jamais embrassé.
Avec qui tu as eu alors le premier baiser ?
Je venais d’arriver à Port-au-Prince. Il y avait une fille qui avait l’habitude de rendre visite à sa sœur qui habitait le quartier. C’est elle qui m’a embrassé. J’étais sous le choc puisque j’avais longtemps attendu ce moment.
En quelle année êtes-vous donc arrivé à Port-au-Prince ?
Je devais avoir 11 ou 12 ans.
Mais l’amour de Petit-Goâve se reflète dans tous tes ouvrages...
C’est magnifié !
Y es-tu retourné récemment ?
La dernière fois que je suis rentré oui, mais pas encore cette fois à cause de la crise que connaît le pays actuellement.
Premier gros chagrin ?
J’ai eu tellement de possibilités de chagrin. Il y a la fois où j’ai laissé Petit-Goâve, j’ai eu du mal à quitter ma grand-mère en 1964.
Premier mariage ?
J’ai connu deux mariages avec la même personne. Comme il n’y a jamais deux sans trois, on espère un jour se marier une troisième fois.
Premier livre publié ?
C’est « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer ? »
Première fois en prison
J’étais sans emploi à l’époque. Un pote m’a suggéré un poste à pourvoir dans une filiale Cegep dans une autre ville du Québec. Il fallait que je pose nu pour des dessinateurs. Je suis tellement arrivé tard que j’étais gêné d’aller frapper aux portes des parents d’un ami qui m’avait indiqué leur adresse. C’est alors que je me suis rappelé avoir lu dans un livre que l’on conseille à ceux qui sont nouveaux dans une ville et qui n’ont pas un endroit pour dormir de se rendre au commissariat le plus proche. C’est ainsi que je me suis pointé au commissariat de cette ville. Celui qui m’a accueilli m’a fait savoir que la seule salle disponible était une cellule et que je serais fouillé avant d’y pénétrer, comme s’il s’agissait d’un prisonnier. Il m’a servi du café au réveil. Il m’a confié que je pouvais demander à me doucher dans le voisinage au nom de la police puisque le bâtiment ne disposait pas de salle de bains. Cette expérience, dormir dans une cellule de prison comme dans une chambre d’hôtel, me fut possible grâce à mes lectures.
Dany est-il téméraire ?
Je l’ai toujours été. Quand il faut faire quelque chose je le fait sans penser au reste du monde.
Premier exil ?
A 4 ans ! Mon père était en exil, moi j’étais à Port-au-Prince. Ma mère a décidé de me faire retourner à Petit-Goâve. Mais c’est bien plus tard que je comprendrai qu’il s’agissait d’un exil. C’était à l’époque où j’écrivais le livre « L’odeur du café ». En fait, il fallait me cacher car je risquais de disparaître à cause de mon père opposant farouche au régime de Duvalier comme les autres fils et filles de bien d’autres dissidents. En plus je portais le même nom que mon père, Windsor Klébert Fils.
Premier succès littéraire ?
« Comment faire l’amour à un nègre sans se fatiguer ? » est sorti un mardi. Jeudi c’était le salon du livre. Lundi j’étais déjà célèbre. Tout le monde pouvait m’identifier dans la rue.
Comment vis-tu la célébrité ?
Ce qui a changé c’est le fait pour moi de passer à la télé. Je suis en effet passé de l’usine à la célébrité. J’étais nettoyeur de toilettes dans un aéroport. J’étais célèbre dans ma famille la première fois que j’ai pu marcher, c’était un événement pour ma famille. Je n’ai pas eu de problème avec la célébrité. Cela m’a amené à la télé où j’animais des émissions. Je présentais d’ailleurs la météo.
La météo ?
Oui, je la présentais à ma manière. Gen de vil m te deside pa bay tanperati yo paske m pa t renmen yo. Ou konn Ayisyen se diktatè. Le maire d’une petite ville m’a fait savoir que sa localité est si insignifiante que la météo est l’une des rares occasions où l’on en parle à la télé. Je lui ai donc promis de citer par deux fois le nom (rire).
Première polémique ?
Dans le Petit Samedi Soir je parlais d’un artiste français. Il y avait un collègue qui ne partageait pas mon opinion sur l’artiste, il m’avait traité de Tonton Macoute. Dès lors je m’étais promis de ne plus faire de polémique dans ma vie.
Premier prix décroché ?
C’est le prix Carbet de la Caraïbe. C’est Frantz Voltaire de CIDHICA de Montréal qui m’a appris la bonne nouvelle. C’était un montant important. Je suis parti en Guadeloupe pour recevoir le prix.
Ta couleur préférée ?
Le jaune
Votre lieu de vacances préféré ?
Je ne suis jamais en vacances, je suis toujours en activité.
Votre premier voyage ?
C’était à Montréal, au Canada, qui accueillait les Jeux olympiques en juin 1976. Tous les Haïtiens qui se trouvaient dans l’avion prétendaient qu’ils ne rentreraient pas dans la ville puisque la ville acceptait une délégation de l’Afrique du Sud. En tant que journaliste, je savais qu’il ne fallait pas se fier à ces protestations.
Votre sport préféré ?
J’aimais le football, le volley-ball, le ping-pong et faire l’amour. Surtout dans un pays chaud comme Haïti.
Une musique préférée
Le rara. La première fois que j’ai eu une émotion musicale, c’était justement à Petit-Goâve. J’avais vu une bande rara. J’étais tellement embarqué ! J’ai fait le tour de la ville avec eux jusqu’à l’aube. Je devais avoir 8 ans à l’époque.
Un péché mignon ?
Le sucre. J’ai un faible pour tout ce qu’il y a de sucré.
Un livre préféré ?
J’aime les livres de Jorge Luis Borges, un écrivain argentin. C’est mon préféré depuis que je l’ai découvert. On va dire depuis une dizaine d’années.
Un pays étranger préféré
Haïti est un pays étrange mais ne m’est pas étranger. Les deux endroits que j’adore sont Paris et Montréal.
C’est quoi votre cachette préférée ?
C’est dans mon cœur que je cache tout.
Ios ou Android ?
Je ne sais même pas ce que c’est. Je n’ai même pas de fixe. Je ne communique que par e-mail. Je ne suis ni sur Tweeter, ni Instagram, ni Facebook… mais je sais qu’ils existent.
Comment se passe une journée de Dany ?
Je me réveille. Je vais me promener. Si c’est un jeudi, je passe à l’Académie. Je vais à un café à Saint-Germain des Prés notamment le Flore. Je prends un café ou un vin. Je passe chez mon éditeur Grasset ensuite je rentre chez moi.
T’es genre thé ou café ?
Je suis café mais je ne peux pas en prendre beaucoup pour des raisons de santé. Je suis donc thé.
Rhum ou whisky ?
Rhum.
Brésil ou Argentine ?
Brésil. Argentine, si ce n’est pas le Brésil l’adversaire.
La première fois que tu as fait l’amour ?
Dans des conditions désastreuses. J’en fais état dans un roman. Je disais, quand je suis arrivé à Montréal, que j’étais vaguement puceau. Madanm mwen mande m sa k « vaguement puceau » a. J’étais un garçon trop régulier dont il fallait s’en méfier.(rire)
Premier enfant
C’est ma première fille. C’était à New York. Il faisait tellement chaud que le New York Times, le Daily News disaient que la ville bouillait à 108 degrés Farenheit.
Première voiture ?
Une voiture que j’ai acquise sans savoir conduire à l’époque. Je l’ai acquise parce qu’elle était à un prix alléchant, juste 300 dollars.
Premier travail ?
Je travaillais dans une fabrique de tapis confectionnés à partir de peau de bœuf. Il fallait laisser tremper les peaux pendant plusieurs jours. Ça sentait mauvais. J’étais sous-payé.
Première scène de jalousie ?
J’aurais aimé en assister à une.
Première bagarre ?
C’était probablement avec Batichon. Puisqu’il était souvent ivre, il ne pouvait pas savoir avec qui il se battait. Je me suis battu contre un condisciple du Canado. Il y avait aussi le mec qui croyait que je couchais avec sa femme. Il m’attendait dehors tandis que je prenais mon lunch. Je lui ai fait savoir par un tiers que cela ne m’intéressait pas de me battre parce que je ne me souciais que de mon lunch. C’est alors qu’il a décidé de s’introduire dans l’espace. Il m’a avoué trouver singulier que je n’ai pas décidé de me battre contre lui. Ironie du sort, je l’ai retrouvé quelques années plus tard avec sa femme et son fils qu’il prénomme Dany en mon honneur.
Livres en folie a 25 ans, qu’est-ce que ça vous fait ?
C’est la deuxième fois. La troisième fois, ce sera dans 25 autres années car je suis immortel (rire). Une société remplie de difficultés qui garde pérenne une initiative intellectuelle de cette envergure. En plus cela ne cesse de progresser. C’est 181 auteurs cette année. En Haïti, les initiatives de ce genre sont les seules capables de repousser des crises politiques. En 2010 j’étais invité d’honneur tandis qu’on vivait l’après-séisme. J’expérimentais « Etonnants Voyageurs », il y avait des problèmes politiques. Or nous, nous parlions de livres. Ici on a trois passions : politique, langue et livres. Quand ces trois éléments s’aligneront je crois que le visage d’Haïti sera montré autrement.
Cette année avez-vous un nouveau livre à présenter ?
Honnêtement l’invité d’honneur n’est pas censé parler de ses livres. Je pense qu’il doive de préférence inviter le public à découvrir tous les autres écrivains qui participeront à la foire. Je suis le maire du Village de la culture. J’invite donc le public à venir découvrir le livre. Le meilleur cadeau à offrir c’est de s’approcher d’un écrivain qui n’a personne devant sa table et s’offrir son livre. Il y a des auteurs qui sont là pour signer peut-être le seul livre de leur vie. Il ne faut pas que ça soit seulement sa famille ou ses amis qui en font l’acquisition. Vu la difficulté de produire un ouvrage en Haïti, je pense que quand quelqu’un pense à en produire un, il abandonne un fusil pour une arme qui libère, qui civilise.


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