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Conjoncture Jovenel Moïse : magnifique jongleur

jeudi 17 octobre 2019 par Charles

Le président Jovenel Moïse peine à sortir de la bulle des faits alternatifs, de la réalité telle qu’il la perçoit et à assumer la responsabilité de sa propre incapacité à gouverner le pays. En chute libre, il jongle avec son avenir et celui du pays...

Le président Jovenel Moïse a épargné le pays du ridicule. En conférence de presse au Palais national le mardi 15 octobre 2019, il n’est pas allé jusqu’à enfiler l’armure du chevalier qui essuie des flèches parce qu’il défend le peuple.
Cependant, son discours antisystème, caricatural à certains égards, a confirmé que le chef de l’État, décrié, acculé dans ses derniers retranchements, peine à sortir de la bulle des faits alternatifs, de la réalité telle qu’il la perçoit et à assumer sa propre incapacité à gouverner correctement le pays, dans le respect des lois et de la Constitution.
En mode contre-attaque, le président Jovenel Moïse, sans le nommer, s’en est pris à l’homme d’affaires fraîchement converti en homme politique Réginald Boulos pour avoir obtenu des prêts représentant quelque 2 milliards de gourdes, soit, selon les calculs du président, plus de 30 % du portefeuille de l’ONA, ce à 3 % d’intérêts.
Si Réginald Boulos a toujours avancé qu’il s’agit d’un placement dont les dividendes sont versées sur une base régulière à l’ONA, le président Jovenel Moïse a estimé que les deux milliards de gourdes en question auraient pu servi à fournir du crédit à 96 000 marchandes à raisons de 25 000 gourdes à 1 % d’intérêts.
L’intérêt apparent que porte le chef de l’état à la démocratisation du crédit aux petits porteurs est noble. Mais la manière, les éléments de langage utilisés pour exploiter ce dossier, taper sur un adversaire politique, montre les limites et les incapacités du président Jovenel Moïse.
Le président, au cours de cette conférence de presse, n’a malheureusement pas affiché de préoccupations particulières quant à la gestion de l’ONA, à l’état de santé de son portefeuille de prêts et placements, à l’état de ce fonds de pension. Il n’a rien dit non plus sur la nécessité d’un audit actuariel, administratif et financier de cette institution, essentiel pour baliser l’avenir, la situation financière de centaines de milliers d’assurés retraités et de donner confiance aux cotisants actuels.
Le président, malgré la grande sollicitude envers le peuple, n’a même pas annoncé un changement dans la gestion de cette institution et du crédit en général dans le pays pendant sa présidence.
Le chef de l’État s’est exprimé comme n’importe quel quidam alors qu’il est l’autorité de nomination du directeur général de l’ONA, du Conseil d’administration des organismes de la sécurité sociale (CAOSS) dont le mandat a expiré depuis plus d’un an.
Le président Jovenel Moïse a fait aussi l’économie de souligner que le ministre des Affaires sociales, autorité de tutelle de l’ONA, siège en Conseil des ministres, en Conseil du gouvernement où se discutent les grands dossiers de la République et impriment les orientations, les directives et les programmes.
Le président Jovenel Moïse a aussi fait fi des normes prudentielles et n’a pas évoqué les éléments à prendre en compte comme l’inflation, la situation du change, les taux pratiqués, la solvabilité des 96 000 débiteurs évoqués pour octroyer plus de 2 milliards de gourdes de crédits à 1 % d’intérêt.
Le président Jovenel Moïse, parfaitement au courant que l’argent de l’ONA est le fruit de la mobilisation des cotisations des employés et des employeurs pour assurer les vieux jours des employés retraités, n’a même pas évoqué la création d’un fonds d’urgence pour garantir ces prêts dans l’éventualité qu’ils seraient octroyés.
Jovenel Moïse n’a pas dit non plus que le crédit octroyé par le système financier, aux grands comme aux petits porteurs, financent à plus de 50 % les importations, le déséquilibre de la balance commerciale, l’inflation. Qu’il faut finalement la mise en cohérence de réformes, de politiques au niveau fiscal, monétaire, commercial et surtout le développement des capacités visant à renforcer les institutions en vue de permettre à l’économie d’avancer sur un agenda pro-croissance avec plus de valeur ajoutée et de valeur partagée.
Le président Jovenel Moïse, oublieux au point de tirer un trait sur les années d’entente cordiale avec Réginald Boulos, l’un des artisans du montage financier du prêt de plus 123 millions de dollars américains de plusieurs compagnies de la place à l’État pour l’acquisition d’équipements lourds, a omis de faire l’historique de son parcours personnel avec le système. Il n’a rien dit non plus des prêts, dont certains restructurés, obtenus par lui-même et/ou ses entreprises de la part de la Banque populaire haïtienne, de la Banque nationale de crédit et particulièrement du Fonds de développement industriel (FDI).
Le président Jovenel Moïse, pistonné par le président Michel Martelly, encadré par son ami et mentor Wilson Laleau, a obtenu du FDI plusieurs millions de dollars américains de prêts et/ou de prise de participation pour mettre sur pied sa ferme agricole qui n’a toujours pas pu inonder le marché européen de figues-bananes comme annoncé.
Il n’est pas inutile de souligner que l’une des toutes premières décisions du président Jovenel Moïse, en février 2017, a été de remplacer le directeur du FDI. Actuellement, la personnalité qui dirige FDI est réputée proche d’anciens associés du président Jovenel Moïse et du président lui-même. Certains sont des membres du conseil d’administration de la SOFIDAI, reconnue en tant que société financière capable de faire des prêts mais qui n’aurait pas encore reçu de fonds de la BRH, mais qui attend des milliards de gourdes de fonds publics à dépenser discrétionnairement.
Le président Jovenel Moïse, dans l’habit du pourfendeur du système, s’était enfermé récemment dans un mutisme assourdissant en pleine controverse et dénonciation de conflit d’intérêts quand le public a su que le Premier ministre qu’il a nommé pour remplacer Jean Michel Lapin avait des entreprises qui vendaient des biens à l’État alors qu’il était encore chef de cabinet du ministre de l’Économie et des Finances.
Sans dire peut-être, il y a lieu d’écraser une larme de regret que la révision, les amendements de clauses, la renégociation ou l’annulation de certains contrats qui posent problème effectivement n’aient pas été gérés avec transparence, fermeté, efficacité, dans la préservation effective des intérêts de l’État et non au profit de nouveaux amis du chef des chefs.
Il faut aussi regretter, au-delà des effets de manche d’un président en chute libre, que la réforme du système de sécurité sociale, l’application stricte des lois sur la passation des marchés publics, sur la prévention et la répression de la corruption restent des vœux pieux.
Le président Jovenel Moïse, en dénonçant le « système » dont il l’un des grands bénéficiaires, renforce la cacophonie, galvaude la compréhension, la réprobation populaire de cette organisation rétrograde, non progressiste, corrompue, productrice de cette pauvreté dans laquelle végètent la majorité des Haïtiens depuis si longtemps. Le président Jovenel Moïse, bien installé dans ses impuissances, incapable d’agir depuis des mois mais en capacité de faire des mi-dénonciations, des dénonciations altérées ou travesties pour s’offrir le beau rôle, a perdu un peu de son reste d’épaisseur en tant que chef de l’État. Et voilà qu’il se laisse découvrir en admirateur secret du duvaliérisme et du jeanclaudisme au point de banaliser la geste de 1986…
Le président est définitivement un magnifique jongleur qui manipule avec brio des vérités invisibles.

Roberson Alphonse
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